lundi 19 octobre 2020 - par Bruno Hubacher

Accolade bipartite

 

C’est dans une atmosphère joviale et détendue que s’est déroulée l’audition de la nouvelle juge au tribunal du dernier ressort, la Cour Suprême des Etats-Unis, Amy Coney Barrett, nommée par le Président Donald Trump.

Après une accolade chaleureuse entre la sénatrice démocrate Dianne Feinstein (87 ans) et le président républicain du comité judiciaire du Sénat Lindsey Graham, le dernier remercia ses collègues démocrates pour leur « fair-play ». Il faut dire que le Parti démocrate a le mérite de ne pas être rancunier pour un sou, un noble trait de caractère.

Suite au décès du juge ultraconservateur, Antonin Scalia, au mois de février 2016, une année électorale, le Président Barack Obama, proposa, le 16 mars suivant, son candidat, Merrick Garland, au comité juridique du Sénat. Le dernier, déjà majoritairement républicain à l’époque, refusa formellement toute entrée en matière avant l’élection présidentielle, un fait sans précédent depuis la Guerre de sécession (Wikipedia). Ainsi, le 31 janvier 2017, le nouveau Président, Donald Trump, combla la vacance avec le juge Neil Gorsuch.

Il est donc fort probable que la jeune juge joindra la majorité ultra conservatrice du collège, six juges sur neuf. Finalement, l'argument de son adhérence au courant « originaliste » (1) n’aura pas pesé lourd face à l’effroi médiatique de façade. Le quatrième pouvoir a fini par se ranger assez rapidement derrière « le choix judicieux » d’une « juriste éloquente et très compétente ». On pourrait argumenter que c’est la condition « sine qua non » pour accéder à un poste d’une telle importance, à moins que, bien-sûr, dans le contexte actuel de la « bouffonnerie politique », ce serait devenu une qualité accessoire. 

« It’s two cheeks of the same arse », dirait George Galloway, le remuant observateur britannique de la vie politique, en parlant de la démocratie bipartite des Etats-Unis, ou, pour citer le regretté humoriste américain George Carlin, « It’s a big club but you ain’t in it ».

Il se trouve que la nouvelle juge, jeune et plutôt avenante, mère de sept enfants, dont deux adoptés, est connue pour ses attitudes plutôt conservatrices, quant aux enjeux sociétaux controversés, tels que l’avortement, le mariage de couples du même sexe ou la prière à l’école.

Ce qui est moins mis en avance est son adhésion, entre 2005 et 2006, ainsi qu’entre 2014 et 2017, à l’organisation à but non lucratif et donc non imposable, la « Federalist Society for Law and Public Policy Studies » (2) une des plus influentes organisations juridiques des Etats-Unis, d’obédience « libertaire », non pas dans le sens anarchiste du terme, mais dans le sens objectiviste, dans la veine de la regrettée Ayn Rand et de ses semblables, un courant économicopolitique qu’on appelle aujourd’hui communément le « néolibéralisme ».

Près de trois quarts des décisions, prises par la Cour Suprême, touchent au droit du travail, et donc, aux intérêts du capital. Ainsi, on pourrait, dans ce contexte et pour la petite histoire, rappeler une des rares interventions courageuses touchant à ce sujet sensible et tabou de la part d’un sénateur, celle du démocrate Alan Franken, au mois de mars 2017, dans le cadre de l’audition du juge Neil Gorsuch, accessoirement également un éminent membre de la « Federalist Society ».

Le sénateur eut l’audace d’épingler, et ceci de manière vigoureuse, le vote controversé du dernier dans un litige au sujet d’un licenciement abusif, opposant une compagnie de transport à un de ses employés dans ce qui est devenu le cas emblématique du « frozen truck driver ». Al Gorsuch fut le seul du collège à voter en faveur de la compagnie de transport.

Il faut dire que le sénateur Franken a payé cher son audace. Il fut accusé par la suite d’harcèlement sexuel et a quitté entre-temps la scène politique.

Sur les ondes du podcast progressiste « Katie Halper Show », l’activiste politique et journaliste américain, David Sirota, pourtant lui-même une composante « touche-à-tout » du système politico-médatique, car directeur de campagne et rédacteur de discours politiques pour divers candidats du Parti démocrate (Bernie Sanders 2020), mais également affilié à des institutions libérales, telles que le think-tank « Center for American Progress » ou « American Israel Public Affairs Committee » AIPAC, fait cette analogie, sans doute en connaissance de cause, entre l’élection de la juge Barrett et la stratégie, de longue haleine, du Parti républicain d’attirer les votes des travailleurs, notamment les déçus du Parti démocrate, en mettant en avant des enjeux sociétaux controversés au détriment des réels enjeux sociaux, la répartition équitable des richesses produites. Et ça marche, pas seulement aux Etats-Unis.

A commencer par le scabreux William Jefferson Clinton, le Parti démocrate, de son côté, lui emboîte le pas. Dans le but de s’attirer les faveurs du grand capital, au détriment de son adversaire, le Parti républicain, il commença à courtiser ce qu’on appelle dans la zone anglo-saxonne la « liberal elite », Hollywood, les beaux-arts, les cercles littéraires, les universités, quitte à perdre les votes des travailleurs qui se perdent dans les méandres du populisme républicain. 

Tant que la question de la répartition des richesses produites reste délibérément occultée par les enjeux sociétaux, une solution démocratique des derniers reste sujette au bon vouloir du capital.

 

  1. Ce que pour les créationnistes représente la bible, la Constitution des Etats-Unis représente pour les originalistes, une interprétation littérale de la volonté des pères fondateurs. 

 

  1. Fondée en 1982, la « Federalist Society » est une organisation conservatrice et juridique à but non lucratif dont le siège est à Washington DC. L’association comprend trois départements, étudiants, facultés et avocats (70'000 membres). Elle est présente dans plus de 200 facultés de droit. Des neuf juges à la Cour Suprême, cinq sont des membres actuels ou anciens de l’organisation (Brett Kavanagh, Neil Gorsuch, Clarence Thomas, John Roberts, Samuel Alito, Amy Coney Barrett).


3 réactions


  • leypanou 19 octobre 2020 11:22

    Pour résumer donc, c’est une mauvaise chose que B Obama, en fin de mandat, fasse nommer un juge à la Cour Suprême qu’il faut refuser, mais par contre c’est une bonne chose qu’il faut accepter que, D Trump, en fin de mandat aussi, fasse nommer une juge au SCOTUS.


    • lisca lisca 19 octobre 2020 12:16

      @leypanou
      C’est une bonne chose que les enjeux ne soient plus trop sociétaux (troudic).
      Et que des personnes droites et bienveillantes, cent pour cent américaines, décident pour les Américains qui veulent travailler pour gagner quelque chose.
      Et que les menteurs doivent rendre des comptes.


  • Bruno Hubacher Bruno Hubacher 19 octobre 2020 12:27

    Erratum 

    « Près de trois quarts des décisions, prises par la Cour Suprême, touchent au droit du travail » Près de trois quarts des décisions, prises par la Cour Suprême, ont trait à des enjeux économiques, dont le droit du travail,

     


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