jeudi 23 mars 2023 - par Desmaretz Gérard

Afrique : Croisière des Sables, Croisière Noire & Mission Dakar-Djibouti

Le 17 décembre 1922 cinq autochenilles Citroën suivies d'une sixième embarquant des journalistes du Petit Parisien et transportant le courrier postal transsaharien partent pour un aller-retour Touggourt (Algérie) Tombouctou (Soudan français). Le convoi parcourt les 3.500 km en 21 jours contre six mois pour les caravanes de chameaux. Les autochenilles de 10 CV construites sur un chassis B2 10 HP, celui utilisé pour les taxis et les camionnettes de la marque, ont consommé 30 litres aux cent kilomètres. La « Croisière des Sables » en créant une piste automobile a démontré la fiabilité et les capacités de franchissement des véhicules à chenilles et retenu l’Intérêt des armées et celui des douanes. André Citroën, le polytechnicien et homme d'affaire, travaille aussi sur un projet et sur lequel il se montre peu disert, développer le tourisme en Afrique subsaharienne.

André Citroën achète en 1920 le brevet déposé par Adolphe Kégresse en 1917. Ce Français qui s'est installé en Russie en 1905 s’occupe du garage automobile du Tsar Nicolas II. En 1910 il conçoit l'autochenille (châssis Mercedes), le train avant à roues est directeur, le train arrière (propulsif) est équipé de chenilles. Si les premières chenilles étaient faites de corde ou de cuir, il dépose le brevet des bandes de roulement en caoutchouc le 28 février 1913. Au cours de l'hiver le véhicule roule sur la Neva à la vitesse de 60 km/h. En 1916 les chenilles équipent les automitrailleuses Austin-Putilov, des véhicules d'état-major et des ambulances. Les avantages de l'autochenille sont multiples : déplacement en terrains accidentés ou sur des surfaces meubles, la grande surface des chenilles répartit mieux la masse du véhicule, l’adhérence est meilleure (sculptures en chevrons), et la bande caoutchouc réduit le bruit de roulement.

 

Une longue liste de brevets conteste la paternité « des pistes continues » (chenilles) à un créateur unique. En 1837 Dmitry Zagryazhsky dépose un brevet pour un « chariot à chenilles mobiles », projet qui ne verra jamais le jour et le brevet tombera dans le domaine public deux ans plus tard. En 1878, Fiodor Abramovitch Blinov, un autre Russe, dépose un brevet pour le « wagon déplacé sur des rails sans fin » tracté par un cheval. En 1896 il présente un tracteur à vapeur chenillé lors d’une exposition d’agriculteurs. Au mois de novembre 1917 Kégresse se doit de quitter la Russie. De retour en France en 1919, il présente ses chenilles à différents constructeurs, aucun n'est intéressé. Un ami, Georges Schwob d’Héricourt lui présente Jacques Hinstin du département de véhicules tout terrain chez Citroën. Le 28 août 1920 les deux hommes déposent le brevet « Kégresse-Hinstin ». Un accord triparti est conclu avec André Citroën qui se réserve 50 % les droits d’exploitation du brevet « Kégresse-Hinstin ». Après une série d'essais du 1 janvier au 10 avril 1922 sur la dune du Pyla (Arcachon), dans la neige des Alpes et sur les pistes du Sahara Algérien. Le rapport technique Poivre valide l'Autochenille Citroën B2 K1 propulsée par un moteur 4 cylindres en ligne, 1452 cm3 à soupapes latérales et développe 20 ch à 2.100 tr/mn.

 

La Croisière des Sables conduite par Georges-Marie Haardt, le directeur général des usines Citroën et Louis Audouin-Dubreuil un ancien aviateur durant la Première Guerre mondiale, comprend dix hommes dont 5 mécaniciens. Le 17 décembre 1922 le convoi s'ébranle pour traverser une bande désertique de 2.000 à 2.500 kilomètres de large. Les hommes se dirigent au compas, la première carte détaillée a été publiée par Richard de Régnauld de Lannoy de Bissy en 1888 avec le soutien du bureau de cartographie de l'armée française. A chaque halte l’expédition est glorifiée par un comité de notables et en fanfare sous l’œil de la caméra.

 

Les membres de l’expédition de retour à Paris au mois de Mars 1923 y sont accueillis en aventuriers des temps modernes. C’est un succès technique pour les autochenilles qui apportent une renommée aux automobiles de la marque. Les autochenilles Citroën seront adoptées par l'Armée Française (artillerie de 75 mm), l'armée américaine et l'armée Polonaise. André Citroën est l'un des premiers industriels à recourir aussi largement à la publicité : affiches, encarts publicitaires, articles, etc. L'expédition fait les actualités Gaumont, un film est projeté aux enfants des écoles et Hergé va s’en inspirer dans Tintin au Congo. Une exposition de l’art indigène des colonies françaises est présentée au musée des arts décoratifs ; la tour Eiffel rayonne le nom CITROEN tracé avec des lettres de 26 mètres de haut illuminées par 250.000 ampoules colorées visibles à 40 km.

 

André Citroën a préparé l’accueil de touristes fortunés au milieu du Sahara dans des camps de toile et des complexes hôteliers avec au programme navigation sur le Niger, chasse au Soudan, visites des tribus, etc. Se rêve t-il en Thomas Cooke ? Une ébauche du tourisme saharien est apparue après la Première Guerre mondiale avec l'ouverture des lignes maritimes et l'achat par la Compagnie générale maritime d'hôtels au Maghreb. Le projet d'André Citroën ne verra jamais le jour et les bâtiments seront rachetés par l'Armée française. L'industriel passionné par les romans de Jules Verne y perdra 15 millions de francs. Ce fils d'un diamantaire hollandais émigré à Paris est possédé par le jeu. Il lui arrive de perdre plusieurs millions de francs à la table du Baccara du Casino de Deauville (Salaire moyen d'un ouvrier 1 fr 80 de l'heure (1926) en une seule nuit.

 

L'avortement du projet est éclipsé par l'annonce de l'Expédition Centre-Afrique chargée de différentes missions par le ministère des Colonies, le Muséum d'Histoire naturelle, la Société de géographie de France et le sous-secrétariat d’État à l'Aéronautique. La Croisière Noire prévoit de parcourir le continent africain de Colomb-Béchar (Algérie) à Tananarive (Madagascar) en « poussant » une reconnaissance jusqu’à Le Cap (Afrique du Sud). Le 25 octobre 1924, après une année de préparation, huit véhicules et leur seize équipiers quittent Colomb-Béchar aux accents d'une cérémonie militaire. Les véhicules tout terrain vont devoir parcourir 20.000 km et franchir des fleuves, des gués, traverser des oueds, des forêts, rouler sur des sol pierreux, du sable, affronter des marécages, la brousse, la savane. Les autochenilles ont été équipé en conséquence : système de refroidissement du moteur, six vitesses au lieu de trois, surface des chenilles plus large, chaque véhicule porte un surnom : « Scarabée d'or », « Colombe », « Pégase », etc. L'expédition est suivie quotidiennement sur les postes TSF par de nombreux auditeurs.

 

La Croisière Noire va traverser : Algérie, Soudan, Niger, Tchad, l’Oubangui-Chari, Congo belge, Tanganyka, l’Union sud-Africaine (Afrique australe), Mozambique. J'en oublie sûrement, certains pays ont changé de nom pour marquer leur rupture avec la puissance coloniale : Oubangui Chari/Centrafrique 1958, Soudan fr/Mali 1960, Rhodésie du Nord/Zambie 1964, Congo belge/Zaïre 1971, Dahomey/Bénin 1975, Rhodésie du Sud/Zimbabwé 1980, Haute-Volta/Burkina Faso 1984. À partir de Kampala (Ouganda), l’expédition se divise en quatre groupes de deux véhicules afin de reconnaître les différents itinéraires praticables vers l’Océan Indien avant de se rejoindre à Madagascar le 26 juin 1925. L'expédition a parcouru 28.000 kilomètres en 242 jours et sans avoir perdu une seule autochenille.

 

Les participants de retour à Paris y reçoivent un accueil triomphal. L'expédition a rapporté des relevés cartographiques et topographiques, des études géologiques, un rapport sanitaire sur les épidémies, 300 planches botaniques, 300 mammifères, 800 oiseaux, 1.500 insectes, des armes locales, des instruments de musique, des pièces rituelles, des masques, des statuettes, 6.000 photographies et un film d’une durée de 70 minutes. En 1925 Marcel Mauss et Lucien Lévy-Bruhl fondent l’institut d’ethnologie à Paris. Le pavillon de Marsan, grand palais du Louvre, présente l'exposition la Croisière Noire en 1926. L’Afrique va attirer des entrepreneurs, des hommes d’affaires, des géographes, des ethnologues, des anthropologues, des archéologues, des aventuriers en mal d'exotisme, des missionnaires et des fonctionnaires appartenant à divers corps, santé, éducation nationale, l'administration, etc.

 

L'exposition coloniale internationale (1931) à Paris, Bois de Vincennes, attire huit millions de visiteurs ! Le 6 mai 1931 marque l'inauguration du Musée des Colonies qui deviendra musée des Arts d'Afrique et d'Océanie en 1960. La Croisière noire va inspirer la mission Dakar-Djibouti financée par voix parlementaire. La mission composée d’ethnologues, linguistes, musicologues va traverser seize pays entre le 31 mai 1931 et le 30 janvier 1933. « Tout objet, même le plus modeste, est intéressant parce que témoin de sa culture ». Les milliers de pièces et documents rapportés vont enrichir les musées de l'Homme et du quai Branly. Certaines pièces ont été acquises, aux dires de Michel Leiris, l'organisateur de l'expédition, de manière dolosive, voire subtilisées. La controverse va s'inviter sur la scène internationale des décennies plus tard.

 

Emmanuel Macron à l’université de Ouagadougou le 28 novembre 2017 : « Je ne peux pas accepter qu’une large part du patrimoine culturel de plusieurs pays africains soit en France. Il y a des explications historiques à cela, mais il n’y a pas de justification valable, durable et inconditionnelle, le patrimoine africain ne peut pas être uniquement dans des collections privées et des musées européens. (…) Je veux que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ». Les conservateurs de souligner que les pièces muséales sont inaliénables. Le 23 mars 2019, une trentaine de pièces originaires du Bénin mises aux enchères publiques, à Nantes, sont retirées de la vente à la demande du ministère de la culture. Vingt-six pièces pillées lors d’un siège au XIXe siècle réclamées par le Bénin en 2016 lui sont restituées en 2022. Ces pièces devraient être exposées au Musée de l’épopée des amazones et des rois du Dahomey financé par un prêt de 12 millions d’euros de l’Agence française de développement, les travaux n'ont toujours pas commencé... Les marchands d'art stigmatisés de faire remarquer : « Sans les collectionneurs d’art, 99 % des objets qui se trouvent en Europe auraient presque tous disparu, victimes de l’ignorance, des termites, des autodafés des religieux de tous bords » Réginald Groux.

 

Pour le président du Collectif des antiquaires de Saint-Germain-des-Prés : « Comme la France a perdu toute forme de prédominance en Afrique, le président a proposé les restitutions aux dirigeants africains pour conserver des marchés face à la Chine ». Si quelques chefs d’État africains et entreprises se sont enrichis, la politique Françafrique a coûté à la France 0,7 % de son PIB sous la forme de crédits finançant : chemins de fer, écoles, hôpitaux, infrastructures, logement, etc. L'Afrique Subsaharienne a une dette extérieure de 790 milliards de dollars, et l'Afrique qui connait des conflits sans fin un endettement externe de 36 % de son PIB (Banque Mondiale 2022). Trente-cinq pays africains à faibles revenus sollicitent l'annulation de leur dette tandis que la Chine détient 62 % de la dette de la zone subsaharienne. Par contre, le continent d'une qui connaît la croissance démographique la plus élevée de la planète représente un quart des pays membres de l'ONU, soit un vote capable de peser dans les relations internationales. Quid du Franc CFA adossé à l'Euro et de la francophonie... Une remarque, une correction, une précision ?

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