mercredi 6 février 2008 - par GHEDIA Aziz

Algérie : à propos du « 3e mandat »

La politique n’étant pas mon domaine de prédilection, j’ai juré plus d’une fois de ne pas évoquer des sujets de cet ordre. En peu de mots, de ne pas me mouiller. Mais peut-on rester neutre quand toute la nation est en effervescence ? Peut-on ne pas en parler quand la question fait, tous les jours depuis quelques jours, la une des journaux et le sujet de discussion à tous les coins de rue ?

Pas plus tard que ce matin d’ailleurs, alors que j’étais attablé dans un café, en train de siroter tranquillement un Vichy menthe et à feuilleter mon canard préféré, en face de moi, deux hommes (un jeune et un vieux) ont failli en venir aux mains à cause de ce "3e mandat" : chacun essayant de convaincre l’autre de la justesse de ses propos et de la force de ses arguments. Puis, ce qui était au départ une banale discussion, entre deux amis de longue date probablement, a failli tourner au drame. Sans l’intervention d’un vieillard qui ne survit que grâce à la vente des cigarettes à l’intérieur même de ce café maure (1), la discussion aurait dégénéré et, n’en doutons pas, le jeune homme aurait pris le dessus sur son rival courbé par le poids de l’âge. La sagesse du vieillard a porté finalement ses fruits. Lessivés, les deux hommes se sont séparés en se tapant mutuellement sur les épaules, mais chacun campant cependant sur ses positions. Mais que leur avait-il dit donc le vieillard, me direz-vous, pour qu’ils reviennent à la raison ? Que leur avait-il dit pour qu’ils cessent de se chamailler pour une question... euh... j’allais dire futile mais, en réalité, elle est loin de l’être. Elle est loin de l’être car d’elle, de cette question-là, je le répète pour que vous me compreniez, dépend l’avenir de toute la nation. Le vieillard, qui assistait médusé au début, comme tout le monde, à cette discussion, a dû faire des efforts surhumains pour se remémorer, pour remonter à la surface ce vieil adage algérien qui dit en substance ceci "le berger et le serf se sont chamaillés à cause des biens de leur maître". Et il le balança en pleine gueule des deux énergumènes.

Là est donc le secret de la sagesse de notre terroir. Le vieillard a visé juste et frappé de plein fouet. Si les deux hommes ont mis fin à leur "fitna" si j’ose dire pour reprendre un terme qui, il n’y a pas si longtemps encore, était à la mode, c’est parce que ni l’un ni l’autre ne voudrait être comparé à un serf ou à un berger. Question de dignité. Les Algériens sont comme ça. Ils réagissent au quart de tour quand on vient à toucher à leur "nif", à leur dignité. Le sang chaud, qui ne fait qu’un tour dans leurs veines lorsqu’ils sont devant une situation délicate, est vite refroidi à l’idée de se faire traiter d’un nom d’oiseau de mauvais augure. Qu’en est-il donc du fait de se faire rabaisser au rang de berger ou d’esclave ? Mieux vaut en mourir que d’accepter un tel sobriquet.

En fait, j’ai longuement réfléchi pour vous restituer intégralement la traduction la plus fidèle possible de cet adage, mais l’outil linguistique m’a faussé compagnie ce matin : à force de tourner et retourner la phrase, je me suis vite rendu compte que celle-ci risquerait de perdre complètement son sens si je m’entêtais à jouer un rôle qui n’est pas mien. La traduction d’une langue à une autre n’est pas si évidente que ça ; c’est une affaire de spécialistes. Alors j’ai opté en définitive pour cette traduction moins poétique, certes, mais largement significative. Significative de l’état d’esprit qui règne actuellement dans toutes les sphères de la politique algérienne.

Au Sénat, à l’APN, dans les rédactions de la presse quotidienne, c’est ce sujet-là qui préoccupe actuellement l’esprit des gens. Il accapare toute leur attention et aspire toute leur énergie. Mais sans chamailleries. Ce qui est déjà pas mal, je dirais même une avancée démocratique sans précédent. On semble avoir retenu la leçon de 1991 lorsqu’il y a eu, rappelez-vous, l’interruption du processus électoral qui allait certainement permettre au FIS de faire un tabac. Alors, 3e mandat ou pas ? A dire que tous les autres problèmes de l’Algérie ne trouveront leurs solutions que dans un "3e mandat" présidentiel.

Les uns après les autres, donc, nos partis politiques se positionnent. Du moins, il s’agit-là de ceux qu’on a l’habitude de qualifier de "grosses cylindrées". Autrement dit, les partis politiques qui font partie de la coalition gouvernementale. Ceux qui, en fait, contrairement à ce qui était attendu d’eux, n’ont jamais fait de l’opposition leur credo. En Algérie, c’est malheureux de le dire, la vocation des partis politiques n’est pas de faire de ou dans l’opposition. Est-ce parce que notre démocratie spécifique ne le permet pas ? Ou alors est-ce parce que le fait de s’opposer à un pouvoir incarné par l’un de "ses enfants prodiges" fait peser le risque de perte de tous les privilèges à ces partis dits de l’opposition ? En fait, j’ai une petite idée quant au comportement de nos partis politiques. Elle me trotte dans la tête depuis tout à l’heure. J’ai envie de vous l’exposer, mais je vous préviens à l’avance que je ne suis pas un analyste politique et il se peut donc que je me trompe. M’enfin ! Ça reste une hypothèse. C’est juste une petite supputation de ma part, mais je crois que la situation "à cheval" entre être dans l’opposition et faire en même temps partie du pouvoir convient mieux à ces partis. Ainsi ceux-ci pourront-ils tenir deux discours diamétralement opposés selon l’évolution de la situation : l’un pour leurs ouailles et l’autre destiné aux tenants du véritable pouvoir. C’est une politique qui consiste à contenter le loup sans faire de ravage dans la bergerie. Il fallait y penser. Et ils sont trois, ces partis politiques qui siègent aussi bien à l’APN qu’au Sénat et qui détiennent des portefeuilles ministériels. Pas besoin d’étaler leurs sigles ici puisqu’ils sont connus de toutes et de tous. Ils se positionnent et s’alignent sur un même mot d’ordre : oui pour un troisième mandat présidentiel pour l’actuel président de la République. Mais, pour cela, il faudra d’abord que la Constitution soit modifiée. Pas de fond en comble, certes, mais du moins sur l’un de ses aspects qui porte justement sur la limitation à deux mandats de la plus haute charge au niveau de l’Etat : la présidence.

Mais, contrairement aux deux amis dont j’ai parlé plus haut, nos partis politiques n’ont pas l’intention, du moins pour l’instant, de se chamailler et c’est mieux ainsi : ils s’alignent. Ils soutiennent. Ils sont tous ou presque pour un 3e mandat quitte à "mettre la charrue avant les bœufs"(2) pour paraphraser le chef du MSP autrement dit un de ces trois partis qui, lui, n’a pas encore tranché sur la question. Pour être encore plus explicite, ce dernier a même donné l’article de la constitution dans lequel il est clairement stipulé qu’avant de songer à briguer un 3e mandat, le chef de l’Etat doit au préalable soumettre le projet de modification de la constitution au Parlement et ensuite au peuple sous forme de référendum. En, dernier ressort donc, il revient au peuple SOUVERAIN de se prononcer. De ce côté-là donc, A Bouteflika n’a pas de souci à se faire : ses désirs sont des ordres !

Alors pourquoi tout ce tapage médiatique autour d’une question qui, de prime abord, paraît réglée à l’avance ?

(1) L’interdiction de la cigarette dans les lieux publics n’est pas encore entrée en vigueur chez nous. Sur ce point donc les Algériens sont plus libres que les Français.

(2) Des marchands de tapis aux perchoirs. Le"Soir d’Algérie"



2 réactions


  • HELIOS HELIOS 6 février 2008 17:03

    Sympa votre article... un peu tourné algero-algerois oserai-je dire puisqu’étant français les aventures politico-structurelles de mes voisins, surtout hors UE, ne m’interressent que peu.

    On sent toutefois a travers votre texte une certaine tendresse envers votre peuple, mais hélas aussi la résignation bien comprise et populaire des simulacres de démocratie que nous connaissons ici aussi.

    Au diable la rébellion, laissons faire - pensez-vous - qu’est-il utile de se battre contre des moulins a vent, Bouteflika révisera la constitution algérienne et effecuera son troisiemme mandat pour "le bien du peuple algérien" qu’il ne saurait laisser tomber dans l’aventure risquée d’options politiques nécessairement mauvaises.

    Votre président a toutes les caracterisqtiques d’un vrai homme politique ; pret a tout pour prendre le pouvoir... qu’il ne souhaite pas mais qu’il assume pour le bien de tous parce qu’on le lui demande.... et pret a tous pour le garder... afin de préserver le pays du chaos.

    on l’a bien compris, Bouteflika est comme les autres, ce ne sera pas non plus la faute de la France cette fois.


  • GHEDIA Aziz Sidi KhaledI 6 février 2008 20:49

    Je sens bien que vous avez saisi le fond de ma pensée, Helios. Effectivement, ça ne sert à rien de se rebeller contre un pouvoir qui veut coute que coute se maintenir. L’expérience des années 90 est encore vivace et traumatisante. 


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