jeudi 15 septembre 2005 - par Tahar Hamadache

Algérie : réconciliation ou consensus en recherche ?

« Le boycott du référendum, c’est grave ! » ; « L’Algérie n’a besoin de projet de société » ; « C’est la seule alternative » ; « La prochaine étape sera l’amnistie générale » Appel de détresse pour l’Algérie » ; « El fahem yefhem ». Expressions de leaders à propos de la charte.

S’il est grave de boycotter le référendum, qu’en serait-il de voter « non » à la paix et à la réconciliation ? Si la charte, soumise à référendum, n’a pas pour vocation de constituer une sorte de contrat, un projet collectif de ce que devra être la société algérienne et de ses repères les plus sûrs, les plus consensuels et les plus en harmonie les uns avec les autres, quelle est donc sa vocation ? Si la charte est la seule « alternative », quelle est donc la deuxième option faisant le pendant à la charte dans cette alternative ? Indésirée ou inconnue ? Si la prochaine étape est l’amnistie générale et si l’amnistie générale s’accompagne (toujours) d’un changement de régime politique, en quoi la charte la prépare-t-elle ? Dans la définition des référents identitaires de la nation et de l’Etat ? En quoi consistera le changement ?

Est-ce que l’appel de détresse pour l’Algérie, lancé par l’un des fondateurs du FLN/ALN, signifie que l’actuel secrétaire général du FLN n’a pas consulté ses aînés avant de postuler que la société algérienne n’a pas besoin (ou peut-être pas la possibilité) de se projeter dans l’avenir de l’espace algérien et d’avancer, malgré tout, qu’il y aura un changement de régime politique puisqu’il y aura amnistie générale ? Un tel appel, de détresse, signifie-t-il que la charte n’est pas parvenue à regrouper
fidèlement dans sa lettre et dans son esprit les référents identitaires, les repères historiques et les mécanismes éprouvés ou fonctionnels qui devraient être communs la société, à la nation et à l’Etat algériens ? Notamment à la société et à la nation, dans leur évolution et dans leurs épreuves, et les accidents de parcours d’individus, de groupes, de courants d’idées qui ne peuvent ni être pris en tant que tares congénitales, ni retarder les opportunités amélioratrices dont d’autres ont pu bénéficier chemin faisant ?

Quand monsieur Mohamed Mechati supplie les intellectuels (dont les neurones semblent pour certains atteints d’arthrose, d’entassement, et, pour d’autres, du syndrome du corail, brillant davantage par leurs idées les ‘’mieux’’ sédimentées) de remuer leurs méninges et, par la même occasion, l’histoire révolutionnaire et sociale du pays, il semble les inviter avec insistance à revisiter l’atmosphère des réunions du CRUA et, à partir de celles-ci, à voir dans la déclaration du 1er Novembre la forme, tandis que le fond se trouve plutôt dans le contexte que dans... le texte.

Et l’historien qu’il est sait à quel point il va être prodigieusement difficile de rétablir une telle réalité. Pire encore, la réhabilitation de certaines vérités fondatrices, les seules par lesquelles un consensus peut être fertilisé sans peine et sans fin, risque d’être simplement impossible à opérer si l’on attend que les derniers témoins, marginalisés ‘’à souhait’’, viennent à s’éteindre. Novembre deviendrait ainsi une épopée inconnue. Ou, comme diraient certains amis qui aiment à se référer à des titres de bouquins non lus, ce sera « la mort absurde des Aztèques ».


Pirissime, on se retrouve face à l’attitude effarouchée de vrais messieurs, à l’image du chef du MNCD, qui appelle Ait Ahmed à rentrer, trahissant par là le souci de mettre un voile de pudeur à dame Révolution qui est née, comme tout un chacun et toute une chacune le sait, ou doit le savoir, de la rencontre des fondateurs de l’Etoile Nord-Africaine et de l’intelligentsia de la Révolution ouvrière sous l’enseigne de : « Ouvriers de tous les pays, unissez-vous ! » ; on se retrouve face à la disparition de Boudiaf qui aurait, par une inspiration révolutionnaire originale à même de semer tous les limiers de la contre-révolution, chamboulé les étapes admises du lancement d’une révolution (réflexion - organisation - soulèvement), de telle sorte que la diffusion de la déclaration du 1er Novembre a été précédée par le saccage de l’état de domination coloniale par les premiers coups de feu, tandis que la Révolution s’est donnée le temps de réfléchir pour produire l’excellent document de la Soummam ; on se retrouve face à monsieur Ben Bella, qui ne semble pas être témoin de la consigne de Boudiaf et de ses pairs de l’intérieur ; on se retrouve face à des parties qui sont prêtes à ne pas toucher à la dénomination (RADP) pourvu que l’on n’aborde pas la promesse de l’Etat républicain, démocratique et social, faite par la Révolution. On se retrouve à confondre l’attachement des Américains à leurs USA par l’identification à leur drapeau et à leur constitution, et l’usage propagandiste de la prière par son président actuel et fervent du « God bless America ».

Pourtant, si on avait pensé à allier les métamorphoses que la société a opérées, contrainte ou volontaire, sur elle-même depuis ces derniers siècles dans des étapes successives dont on peut encore retrouver des traces à travers des documents ou à travers la mémoire orale, pour sa survie surtout face à la colonisation, à la genèse de la Révolution algérienne, si on avait cessé de regarder de travers le fait que la guerre de libération s’est déclinée d’abord par une communication de combat (le 1er Novembre 54) avant d’élaborer une réflexion structurante de l’histoire, de la société, de la nation, de la Révolution et de l’Etat algériens, on n’en serait pas à « programmer des crises futures », sans savoir faire autrement, ni à assister à la lutte entre de soi-disant héritiers des Ulémas et de soi-disant héritiers des communistes, alors que les Ulémas et les communistes (de même que Messali Hadj et l’UDMA) avaient pu produire leurs propres littératures politiques au lendemain du déclenchement de la guerre de libération par le FLN, dont le véritable document de référence synthétisait au mieux de l’époque tous les autres en les approfondissant, tout en rassemblant tous leurs initiateurs qui le désiraient.

Cela, pendant que les acteurs du 1er Novembre et du 20 août disparaissent en silence ou s’efforcent, comme Mechati et Ait Ahmed, d’appeler les intelligents à comprendre, et les tenants du pouvoir à se réconcilier avec la société réelle et avec la genèse de la Révolution et de l’indépendance. Car celle-là seule est de nature à garantir l’égalité renouvelable des chances et l’alternance aux différentes positions d’élite de la nation. Au lieu de tendre à consacrer une « caste pouvoiriste » qui ne peut produire, à terme, que des Boabdil. N’est-ce pas que « Nnidhal ddwam wa lmess’oulieyya âwam » (La militance est continue tandis que la prise de responsabilité dure va selon les uns, dicton politique algérien qui s’inspire d’un proverbe agricole) ?

Il n’y a point d’opprobre à se rendre à l’évidence et à la conscience et il n’est pas encore trop tard pour bien faire en conséquence. N’est-ce pas que nous n’avons ni peuple, ni pays, ni histoire révolutionnaire de rechange...

Sidi Aich, le 14 septembre 2005
Tahar Hamadache.
Liens associés :

http://www.elwatan.com/2005-09-14/2005-09-14-26145

http://appelalgerie.africa-web.org/article.php3?id_article=1




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