samedi 7 novembre 2020 - par lisca

Aspirine

 

11 novembre 2020. La guerre pour le pouvoir à la tête de l’État-Hosto (l’ÉTAU) faisait rage depuis 7 jours en Océania. D’un côté Athalie Sorrows, la prétendante, qui prônait la maladie permanente, de l’autre Ken Needy le chef de service en activité, désireux d’entamer un processus de guérison opératoire, se disputaient le poste suprême de Grand Chirurgien.

Athalie Sorrows présentait les caractéristiques habituelles des adoubés de l’ANGSOC (Angoisse et Socialisme), son parti. Synthèse ou patchwork, Femme Idéale pour son camp, la candidate combinait le rictus chevalin de Jacinda Ardern* avec le rire carnassier de Kamala Harris*, et le ton mordant si distingué de Lætitia Avia. Elle se coiffait et s’habillait comme une Sibeth, son charisme rappelait celui d’Élisabeth Borne, sa famille celle d’Ursula Von Leyen-Albrecht. Enfin la vénération de la candidate pour la magie numérologique et pour l’envolée virtuelle des revenus en banque, évoquait fortement Christine Lagarde.

Petite-cousine d’une ex-militante de la Fraction Armée Rouge*, Athalie Sorrows avait pour programme intérieur la Répression Sanguinolente de toute initiative non conforme (avec interdiction de soins), et, pour l’extérieur, un projet d’étroite collusion idéologique et financière avec la cruelle puissance Estasia, tout en intensifiant les attaques d’hystérie sournoises contre Eurasia, dont les habitants parlant latin* avaient pour destinée projetée un sempiternel avant-dernier voyage* très dépouillé.

 

Le problème essentiel à résoudre pour Athalie, c’était la réduction de tout : coûts, êtres humains inessentiels, intelligence, revenus, poids corporel, moral et moralité ; pour que gonflent à l’hélium et au gaz carbonique les orgies et les paradis fiscaux du Forum Caligula, le cogitank du monde, sa petite bande à elle, dont les slogans proclamaient : l’Enfer, c’est le Paradis ! La Prison, c’est la Maison ! Respirer, c’est la Boucler !

 

De son côté, Ken Needy ne contrôlait qu’une partie de l’armée et des services de sécurité. Il s’appuyait sur la population méprisée de tous ceux qui n’aiment pas rester au lit. Il avait fort à faire, ayant dû lutter, tout au long de son mandat, contre d’incessantes persécutions et coups fourrés, déjoués à grand peine et contre lesquels il dépensait presque toutes ses forces de chef de service.

Pour l’heure, il devait affronter une opération de fraude électorale gigantesque. Les votes postaux − rappelons qu’ils sont interdits en France depuis 1975 pour lutter contre la fraude électorale − en faveur de Sorrows, signés par de vénérables résidents de cimetières et autres Jeanne Calment, arrivaient hors délais par millions, post-datés, pour tenter de voler la victoire électorale du chef en poste. Dans certains des districts de l’ÉTAU, le nombre de ces votes dépassait même celui des électeurs inscrits.

La triche était manifeste, visible de loin, connue de tous ; et pourtant Athalie Sorrows affichait une assurance bizarre.

− J’ai gagné, affirmait-elle en découvrant ses célèbres gencives rouges à dents vertes. Et je vais en croquer plus d’un quand je serai cheffesse, en janvier 2021. 

− Que nenni, répliquait Ken Needy. Le gagnant au 4 novembre, c’est moi, le héraut des gens debout. Tes bouts de papier arrivés après la fermeture des bureaux de vote, tu peux te torcher avec. 

− Hi hi, ricanait la Sorrows, j’ai plus d’un tour dans mon sac. Déjà, je gagne du temps : je ne communiquerai l’annonce de ma victoire et les résultats des comptages de bulletins que le 12 novembre 2020.

Aucun doute : il se préparait quelque chose.

Et en effet, le 11/11/2020, quelque chose arriva.

Des émeutes subventionnées avaient secoué dès le 4 novembre quelques grandes villes d’Océania, afin de dévier l’attention et d’occuper les forces de police. Elles rassemblaient pêle-mêle des muselés qui avaient peur de leur ombre, des égocentrés, des pillards, des zanards et des criards.

Tout ce petit monde compensait sa faible mobilisation relative par des dégâts et des vociférations propres à semer l’effroi chez l’adversaire.

Patients, les partisans de Ken Needy, attendaient la prise de poste légitime de leur candidat et fourbissaient en silence leurs armes légales.

Athalie Sorrows se leva ce jour-là d’excellente humeur. La date lui convenait : 1*1*1*1+2+0*2+0 =6. Six comme 666, le chiffre de la Bête !

La Bête n’est pas bien terrible, se dit Athalie, elle est juste bête. Et c’est moi qui la tiens et j’en tiens une sacrée couche. Et je m’en vais vous la tartiner !

De son bureau hyperconnecté, elle allait frapper un grand coup, que d’autres allaient donner, et encore d’autres recevoir, comme d’habitude.

Collée à son portable, elle attendait les nouvelles de l’arrestation imminente de Ken Needy, cueilli à l’aube dans le Salon Ovale de sa Maison Pâle par les redoutables mercenaires du groupe Pinte-à-Gônes, l’armée privée de la famille Sorrows.

Elle imaginait son pire ennemi gris et défait, sur le chemin d’une prison de haute sécurité où les surveillants s’endorment après avoir éteint les caméras, ce qui laisse le champ libre à l’inventivité.

Mais rien n’arrivait. Un silence étrange emplissait la pièce à douze pieds sous terre ou elle émergeait d’un rêve agité.

La tête lui faisait un peu mal ; elle tendit la main vers son remontant du matin et heurta un verre d’eau qui, en tombant, alerta quelqu’un. La porte s’ouvrit brusquement.

Espresso ! annonça un garde, porteur d’un plateau avec une tasse collée emplie d’un liquide jaune, flanquée de pain sec.

Athalie Sorrows reprit brusquement ses esprits. Elle n’était pas dans son safe space habituel. Tout autour d’elle arborait une couleur vert-de-gris.

− Où suis-je ? s’écria-t-elle éperdue.

− Vous ne vous souvenez pas ? On peut dire que vous étiez bourrée, vous. Vous avez été mise aux arrêts dans la nuit, et transférée dans cette cellule.

− Arrêtée ! Par qui donc ?!!!

− Par le président élu, missiz Sorrows. La Haute Cour venait tout juste d’évaluer le crime de triche électorale. Vous avez pris dix ans.

− Dix ans ! Mais c’est justement en 2030 que nous prévoyions avec Estasia, de libérer Océania et Eurasia par des bombardements intensifs de pilules, d’injections et autres ! C’est alors que tout le monde allait enlever son masque et sortir de son trou, lessivé ! Dix ans, qu’est-ce que c’est ! Nous aurions sauvé des vies ! Empli nos coffres !

− Allez calmez-vous. Le virus a plongé dans l’Hudson River, et si vous avez la grippe j’ai du baume du Tigre, c’est exotique, bien dans vos goûts. Il sert à tout !

− J’exige ma libération immédiate ! Mes avocats !

Le garde posa son plateau et sortit. Athalie Sorrows tapait furieusement sur son portable.

− Allô Pinte-à-gônes ! Bande de nuls ! Que se passe-t-il ici ? Mayday !

Mais au bout du fil, ça sonnait occupé.

Athalie Sorrows jeta son café par terre et prit son aspirine. A l’autre bout de la pièce, un drôle d’œil la fixait sans trêve.

 

Liens

 

Jacinda Ardern

Kamala Harris

Fraction Armée Rouge

Focus sur la France

Avant-dernier voyage

 



6 réactions


  • Clark Kent Séraphin Lampion 7 novembre 2020 09:07

    la réalité dépasse la fiction

    pourquoi écrire une dystopie quand on en vit une en direct, e, cinémascope haute définition et BO surround ?


    • lisca lisca 8 novembre 2020 05:41

      @Séraphin Lampion
      Oui, nous sommes en plein suspense.
      Trump a gagné, mais en face, le big business veut la guerre, qui rapporte.
      Attendons patiemment la suite.


  • V_Parlier V_Parlier 7 novembre 2020 17:52

    Bon style, bien fait. Il aurait fallu ajouter : « Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existés... »


  • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 8 novembre 2020 01:29

    Excellente parodie pleine de bon sens. Dommage que le fil de discussion n’ait pas pris le relais. Il y avait une hypothèse forte derrière les noms, elle méritait d’être discutée.


    • lisca lisca 8 novembre 2020 05:48

      @Luc-Laurent Salvador
      Oui, c’est du bon sens. C’est dommage en effet que peu de lecteurs réagissent (voient-ils même cet article ?) ; mais c’est sans doute que nous manquons actuellement d’information, et que qu’on se sentt un peu nerveux.
      Les méchants contre les gentils, c’est une guerre mythologique en ce moment.
      Comme tout le monde, je ne voudrais pas que ça dégénère en URSS années 20, en révolution culturelle, en Terreur, bref. C’est si grave, ce qui se passe.
      Il paraît qu’il y a de l’espoir. C’est un peu ce que j’ai voulu dire.


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