vendredi 17 janvier 2014 - par L’Audible

Assises internationales du journalisme, un espoir déçu

Les 5, 6 et 7 novembre derniers se tenait, à l'arsenal de Metz, la 7ème édition des Assises internationales du journalisme et de l'information. Organisées par le ministère de la culture et différents médias de masse, ces assises affichaient une grande ambition, sous-titrant à l'impératif : "Réinventons le journalisme". Une révolution était-elle en marche dans l'univers contesté du journalisme et de l'information ? L'Audible a voulu en avoir le coeur net et s'est rendu sur place pour savoir si la promesse était tenue. (voir également notre entretien avec Denis Robert, que nous avons rencontré en cette occasion).

Les thèmes abordés lors de ces trois journées furent nombreux et variés : de l’influence des lobbys sur les médias à la protection des sources, en passant par l'automatisation de vérification des faits (« fact checking »), le programme de ces assises avait de quoi allécher le citoyen intéressé par le journalisme et le fonctionnement du système médiatique.

On peut globalement dégager deux motivations principales au sein de la profession journalistique à vouloir « réinventer » la pratique de leur métier : la perte de rentabilité grandissante de la presse, et, dans le même temps, la défiance grandissante de la population vis à vis des médias dans leur ensemble, comme le montre le dernier baromètre de TNS Sofres et de la Croix.

Si les problèmes financiers de la presse furent largement débattus, la réflexion sur la défiance des citoyens envers les médias a été à peu près escamotée. Pire, ce sont les lecteurs qui ont été régulièrement pointés du doigt : ils seraient peu enclins à payer pour une information de « qualité », ils ne seraient pas, comble de l'ironie, assez vigilants dans le contrôle de la véracité des informations véhiculées... Bref, c'est le citoyen, et non le journaliste, qui serait responsable de la piètre qualité des grands médias en France.

 

Nous n'avons pas la prétention de faire un compte rendu objectif et exhaustif de ces assises : pour reprendre les termes d'un hacker invité, « les journalistes gagneraient à réaliser que leur prétendue objectivité n'est qu'un mirage  ». Nous avions nos raisons propres de choisir les conférences auxquelles nous voulions proritairement assister, et c'est à travers les yeux de journalistes citoyens et désenchantés que nous y avons participé ; nous le reconnaissons volontiers.

 

Ce qu'on nous avons vu ou entendu

 

Première journée :

Le journalisme et le lobbyiste : comment éviter les conflits d’intérêt ? Etonnamment, c'est surtout les rapports entre lobbys et politique qui furent débattus. On aura ainsi entendu à plusieurs reprises qu'à Bruxelles la pression des lobbys était transparente, contrairement à ce qui se constatait à Paris. Alors que la rédactrice en chef de Contexte expliquait que le journaliste n'était peut-être pas assez « expert » pour décrypter l’influence du lobbying dans le journalisme, il a tout de même été fait mention, rapidement, des cadeaux en nature que pouvaient recevoir les journalistes ; en l’occurrence il était question de voyages... Peut-être faudrait-il inclure dans la formation des journalistes que le don de cadeaux cache souvent une intention et peut nuire à leur « objectivité » dans le cadre de leur travail ?

Nous tenons à citer Daniel Lebègue, président du comité d'éthique et de déontologie du Monde, qui n'hésita pas à affirmer que "les lobbys faisaient partie prenante du système démocratique".

 

L'Observatoire de la Déontologie de l'Information (ODI) présente son premier bilan : L'ODI a un peu plus d'un an d'existence et a été créé en réponse à l'augmentation d'erreurs factuelles dans les médias, relevées notamment par les indignés du PAF, et en réponse à la défiance grandissante des citoyens à l'égard des médias. En introduction plusieurs intervenants ont insisté sur la demande citoyenne d'accorder la priorité aux faits sur les commentaires, et les reproches de plus en plus nombreux et virulents adressés par des particuliers et associations aux différentes rédactions des grands médias, reproches qui se comprennent si l'on considère les 1,2 milliards de subventions accordées chaque année par l’État à la presse. A été évoqué notamment la manière partiale dont ont été couverts certains petits candidats lors de la dernière élection présidentielle en comparaison des deux "grands" candidats "programmés" pour être au deuxième tour. Il fut remarqué aussi que bien qu'Arte fût au sommet dans les sondages d'opinion, l'audience de la chaîne ne suivait pas.
Lorsque nous nous sommes étonnés, via une question, du contraste entre les motivations initiales de la création de l'ODI et le fait qu'à aucun moment n'a été évoquée dans son rapport une participation de la société civile à la réforme ou au contrôle de la profession journalistique, en guise de réponse nous avons reçu une fin de non recevoir.

 

Soirée d'ouverture :

Ce fut le seul "moment" des assises où il fallait faire patiemment la queue pour être placé dans la salle, et ce au grand dam d'un certain nombre de journalistes de profession qui étaient logés à la même enseigne que les autres.
La table était composée de quatre intervenants : Patrick de Saint-Exupery (Revue XXI), Nicole Kauffmann (le Monde), Edwy Plenel (Médiapart) et Denis Robert (indépendant).

Globalement, chacun semblait là pour défendre sa chapelle ou mettre en avant son activité. Seul Denis Robert faisait contraste (voir par ailleurs notre interview de ce journaliste), insistant par exemple sur le fait que le financement n'était pas LE problème du journalisme. Il rappela aussi que lors de ses graves ennuis judiciaires (pas de moins de 60 procès) consécutifs à ses travaux sur l'entreprise Clearstream, seul le Syndicat National des Journalistes lui avait fourni un semblant de soutien.

Pour le reste les interventions des autres participants laissaient à désirer en terme de réinvention du journalisme. Quelques citations en pagaille : « Il n'y a pas besoin de réinventer le journalisme, il y a tout ce qu'il faut, ce serait comme vouloir réinventer la roue  » Saint-Exupery, Revue 21. « La société a la presse qu'elle mérite » Nicole Kauffmann, le Monde. « Nous sommes comme un poisson au milieu de requins dans une eau polluée...et c'est à vous (les lecteurs) de dépolluer l'eau  » Ce morceau de poésie provient d'Edwy Plenel et suggère qu'en s'abonnant à mediapart on dépolluera l'eau (« payer pour de la qualité »). Dans le même langage métaphorique, il s'adressa à la salle en l'informant : « la balle est dans votre camp  »...

 

Deuxième journée :

La matinée nous aura permis d'apprendre que les groupes de presse, en plus de très généreuses subventions publiques, profitaient d'une réduction de TVA importante, même dans les cas où ils n'imprimaient pas de papier, comme Médiapart, et de constater le fossé grandissant qui se creuse entre journalistes honoraires et pigistes.

Nous nous attarderons sur le débat organisé autour d'un des « grands témoins » invité à ces assises : Cory Haik en charge du concept de « truth teller » au sein du Washington Post.

Cette technique est issue du « fact checking », procédé visant à vérifier la véracité des faits exposés par les politiques lors de leurs discours, et ce en temps réel via des algorithmes tournant sur des bases de données extensibles. Participaient notamment à ce débat deux journalistes « fact checkeurs » travaillant à Libération et au Monde respectivement dans les rubriques intitulées « Désintox » et « Décryptages ». Il est à noter que ces deux derniers travaillent de manière « manuelle », le « fact checking » devenant alors plus simplement une vérification systématique des faits. Les questions de la salle portèrent souvent sur la possibilité d'étendre ces méthodes à d'autres domaines que le discours politique. Dans cette veine nous avons demandé dans quelle mesure il serait envisageable d'utiliser ces méthodes pour « décrypter » la véracité des faits présentés dans les JT par exemple.

Après un silence gêné l'un des intervenants répondit en deux temps que cela prendrait trop de temps, et invita les citoyens à le faire eux même...

 

Troisième journée :

« Quelle place pour le citoyen dans la fabrique de l'information ». différents projets de journalisme visant à inclure directement ou indirectement les citoyens lambdas furent présentés.

« Enquêtes ouvertes » propose ainsi à chacun de participer indirectement à des enquêtes sur des sujets prédéterminés via l'envoi de témoignages et de documents, et se démarque notamment par la transparence totale de l'utilisation des fonds récoltés, le prix des piges étant même indiqué en bas de chaque article.

Le magazine « Les voix-zines » est financé via les subventions d'une association féministe. La particularité de cette initiative réside dans l'implication directe de citoyennes dans la réalisation du contenu, des formations étant même organisées par des professionnels afin d'aguerrir ces dernières aux techniques du reportage.

 

Au sortir de cet atelier nous avons eu l'occasion de présenter notre initiative à différents intervenants. Les retours ont été dans l'ensemble enthousiastes. En présentant à une jeune journaliste la Une du numéro 3 de l'Audible sur laquelle on peut voir Arlette Chabot faire la bise à Charles Pasqua, celle-ci nous a spontanément confessé : «  vous savez je viens de la presse économique et c'est courant là bas de faire la bise à des grands patrons. En soi ce n'est pas un problème, par contre lorsque l'on se voit offrir de bonnes bouteilles de vin, ce qui se fait souvent, on est à la limite, je pense. »

 

Cette information « off », comme on dit dans le milieu, nous offre une transition toute trouvée pour faire part de la déception qui est la notre au sortir de ses assises.

 

Ce qu'on aurait aimé/espéré

Là ou la défiance des citoyens envers les médias se nourrit entre autre de la connivence entre les journalistes et les milieux de pouvoir, nous aurions aimé que ce genre d'information lâchée en off soit mise sur le devant de la scène. Avec le recul, l'atelier dédié la première journée aux conflits d'intérêts entre journalistes et lobbyistes aurait pu faire la part belle à ce genre de pratique, ce qui était loin d'être le cas.

Un débat sur l’attribution de la carte de presse  : lorsque que l'on veut réinventer une profession, il pourrait paraître logique de remettre en question les conditions nécessaires pour en faire partie, en l’occurrence l'attribution d’une carte de presse. Il faut en effet aujourd'hui avoir 51 % de ses revenus provenant de groupes de presse pour pouvoir y prétendre. Le journaliste doit donc être salarié d'une entreprise privée ou publique pour exercer officiellement, et avec de telles conditions d'attribution, des personnes ne faisant aucun travail journalistique peuvent bénéficier d'une carte de presse (marketing...etc). Quant au journaliste bénévole et indépendant, qui lui produit de l'information, il ne peut y prétendre.

Un débat sur les conditions d'attribution d'aide à la presse : vu que la principale préoccupation mise en avant durant les assises était d'ordre financière, il n'était pas de bon ton de remettre en question ne serait-ce que les conditions d'attribution d'aide à la presse, qu'elle soit papier ou électronique. Or l'attribution de subventions aux seuls quotidiens et hebdomadaires exclut de facto toute initiative de médias non supportée par d'importants fonds.

Une condamnation de la presse gratuite  : là où internet a été allègrement attaqué et critiqué, sauf dans les cas de figure où il fournit une information payante, comme Médiapart, nous sommes plus qu'étonnés qu'à aucun moment n'ait été évoqué le problème de la presse gratuite. Cela aurait été au moins l'occasion de poser la question de la dépendance de la presse commerciale vis à vis des « annonceurs » (qu'elle soit gratuite ou pas d'ailleurs...).

 

Conclusion

Les différentes conférences auxquelles nous avons assisté et les échanges que nous avons pu avoir lors de ces assises du journalisme nous auront fait sentir que le journalisme fonctionnait de manière corporatiste. Bien que les citoyens y fussent théoriquement conviés, l'implication de ces derniers a été quasi-nulle de bout en bout. Rares ont été les membres de la société civile invités à participer aux débats, et aucune place ou presque n'a été réservée à des propositions issues des structures indépendantes qui se sont développés ces dernières années en marge du landernau journalistique.

Ces assises ont été l'occasion, finalement, pour des journalistes institutionnels, de débattre entre eux de leur profession, sans pointer du doigt les vrais problèmes, et sans jamais se remettre en question, suggérant parfois que la responsabilité des problèmes rencontrés par la presse écrite tenait à la médiocrité du lectorat. Nous ne nous souvenons pas qu'un journaliste se soit plaint, en revanche, que les grands organes médiatiques qui les emploient soient largement financés par des subventions publiques, autrement dit par les impôts des citoyens.

 

En même temps, quand on consulte la liste des partenaires associés à ces assises (l'AFP, le monde, France Télévision, le ministère de la culture, radio France, pour ne citer qu'eux), il est clair que l'on ne devait pas s'attendre à ce qu'une révolution s'opère dans la profession journalistique, à Metz, les 5, 6 et 7 novembre 2013.

On ne mord pas la main qui nous nourrit...

 



4 réactions


  • claude-michel claude-michel 17 janvier 2014 08:47

    Le journalisme un....« ça-sert-d’os ».. ?

    De nos jours c’est dans le GRAS qu’ils travaillent...Les histoires de culs rapportant bien plus.. !


    • La mouche du coche La mouche du coche 17 janvier 2014 13:14

      Il n’y a pas de différence entre un journaliste et un voleur politique. Le journalisme indépendant n’a jamais existé et n’a aucune raison d’exister un jour.


  • files_walQer files_walker 17 janvier 2014 11:42

    Le journalisme ? 


    Un journaliste c’est quelqu’un qui est censé poser (et se poser) des questions, non ?
    Avons nous constaté de grandes enquêtes crédibles depuis le 11 septembre ?
    Et Kennedy, et Fukushima, et Dieudonné ? (liste non exhaustive)

    Le journalisme ? Mouarf !

  • Patrick Samba Patrick Samba 17 janvier 2014 14:06

    Bonjour,

    fasse que votre déception n’éteigne pas votre espoir, vous faites du bon boulot....


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