mardi 11 octobre 2016 - par Franck ABED

Auguste par Pierre Cosme

Qui ne connaît pas la formule célèbre d’Auguste, rapportée par Suetone, déclarant : « avoir trouvé une Rome de briques, et laissé une Rome de marbre » ? Il y a du vrai dans cette citation tant l’empreinte du premier César restera gravée dans la roche pour l’éternité. Malheureusement et bizarrement, Auguste porte la contradiction d’être à la fois l’un des personnages les plus célèbres de l’Antiquité, tout en étant très méconnu. Pierre Cosme dans sa biographie renouvelle le genre, et lui rend justice. Cet ouvrage est le fruit de quatre années de travail. Il retrace le parcours personnel et politique d’Octavien, ainsi que la mort de la République et la genèse de l’Empire Romain. Ce livre nous permet également de comprendre l’homme privé, l’homme public et les ressorts qui l’animèrent toute sa vie. Pour rappel, l’auteur est un universitaire et historien français dont la spécialité est la Rome antique.

Disons-le d’emblée, il est triste pour l’intelligence et la connaissance historique qu’Auguste ne soit réduit qu’à des clichés recouvrant une partie de sa vie : héritier de Jules César, adversaire de Marc Antoine et de Cléopâtre, premier empereur etc. Or le fondateur de l’Empire Romain bâtit un système qui lui perdura cinq siècles, à tel point qu’il sera considéré comme un modèle et une référence absolus par ses lointains successeurs en esprit. Ainsi Charles Perrault écrira, à l’époque du Grand siècle - c’est dire l’aura et l’influence d’Octave - les vers suivants : « Et l’on peut comparer, sans craindre d’Être injuste, Le siècle de Louis au beau siècle d’Auguste » (1). A dire vrai, les historiens ne se sont guère trompés en évoquant le Siècle d’Auguste. Effectivement, rares sont les personnalités historiques à pouvoir prétendre à une telle renommée intemporelle. Octavien a littéralement conçu des outils qui lui permirent d’étendre les conquêtes romaines aux limites du monde connu d’alors. Il sut mettre en place une administration efficace, débarrassée de la vile corruption, tout en imposant la pax romana aux peuples les plus divers qui composaient ce vaste édifice. Bâtisseur infatigable, et soucieux de porter la civilisation à son degré de perfection le plus élevé, il réussit, par une habile stratégie mêlant guerres, mariages, diplomatie, manœuvres politiques voire politiciennes, à s’imposer aux Romains et aux barbares comme le maître.

Pierre Cosme retrace dans le détail le parcours d’Octave, fils d’Atia, nièce de Jules César. Rien ne prédisposait cet homme, issue d’une famille respectable mais modeste à devenir le numéro un. Toutefois les affres de la guerre civile, comme souvent dans les périodes d’instabilité, redistribuèrent les cartes. Jules César, le conquérant de la Gaule, se mit à dos une partie de l’élite romaine qui restait profondément républicaine. Son histoire est connue : conquête de la Gaule, passage du Rubicon, déclaration de guerre, guerre civile contre Pompée, pouvoir, complots et assassinat aux Ides de Mars… Alors qu’il résidait à Apollonie, afin de poursuivre sa formation, Octavien apprit la mort de son immense grand-oncle. En dépit des conseils de sa mère qui lui recommandait de ne pas accepter le testament de Jules, il prit le parti d’assumer son héritage. Manœuvrant habilement entre les différents groupes Césaricides emmenés par Brutus et Cassius, les sénateurs républicains, l’oligarchie romaine et l’ancien bras droit de César Marc Antoine, il éteignit les feux de la guerre civile avec brio pour imposer un âge d’or. Nous en avons déjà parlé, mais en plus de combattre la décadence et l’incurie administratives, Octave protégea les paysans des grands propriétaires terriens, bâtit une armée de métier défendant les frontières de l’Empire avec succès et promulgua des lois pour protéger les bonnes mœurs (2). Il établit une meilleure répartition de l’impôt dans un souci d’équité et de justice. Il réduisit le nombre des sénateurs pour gagner en efficacité, tout en visant le renouvèlement des élites romaines par différents procédés législatifs parfaitement décrits par l’auteur. Sous l’impulsion de son ami Mécène, les plus brillants poètes et écrivains de l’époque prirent leur envol comme Virgile, Horace, Tite-Live ou le plus controversé Ovide (3). Ces derniers contribueront à la gloire du régime par leur prose et leur poésie quasi indépassable. Difficile ne pas parler d’Agrippa, son vieux compagnon de route, qui resta toujours fidèle. Son parcours empli d’humilité dans les pas d’Auguste et son souci constant d’améliorer le sort des plus faibles devrait inspirer nombre de nos politiques modernes. Auguste fut soucieux de préserver les traditions romaines, de les incarner et de les vivre dans chaque acte publique et politique, là où son père adoptif se montrait dédaigneux des coutumes d’antan. Autre différence fondamentale avec son grand-oncle que l’histoire révéla, fut la manière d’Auguste de considérer les sénateurs. Il fonda un système politique conservant les apparences du régime républicain tout en imposant un pouvoir personnel… L’héritage d’Auguste se montra tellement immense que même l’Eglise Catholique par la voix d’un Pape voulut en capter une partie. Ainsi Grégoire VII identifia l’Eglise Catholique Romaine à la Res publica romana en affirmant : « A ceux qu’a commandés Auguste, le Christ commande ». Le Souverain Pontife entendait dire à tous qu’il se trouvait à la tête d’un nouvel empire romain... Auguste influença également Charlemagne, Louis XIV, Napoléon et bien d’autres.

Le livre de Pierre Cosme nous présente Auguste, comme un homme doté d’une intelligence exceptionnelle, servi par un réel charisme. Entouré de brillants collaborateurs, il œuvra avec efficacité dans de nombreux domaines (justice, armée, urbanisme, réformes politiques etc). Il se montra impitoyable envers ses ennemis et manifesta un amour débordant à sa femme et à ses différents descendants. Il agit aussi parfois avec clémence suite aux conseils de Livia, notamment à l’endroit de Cinna (4) - petit-fils du Grand Pompée - qui avait projeté de le tuer. Derrière l’Empereur divinisé, nous voyons un Auguste qui eut toujours la volonté de se former intellectuellement et de donner le meilleur de lui-même aux Romains. De santé fragile, souffrant d’un léger handicap à la jambe gauche, insomniaque au point d’avoir des difficultés à dormir seul, il vécut de manière très simple dans sa maison du Mont Palatin refusant les excès de chairs et de boissons. Quand il mourut dans les bras de sa tendre épouse, il renouvela son amour impérissable en lui demandant de se souvenir de leur union. Même à la fin de sa vie, il gardait cette volonté de maîtriser son être en bon romain qu’il fut. Cependant l’émotion pouvait le submerger. En effet, quand un sénateur vint, au nom du Sénat et du Peuple de Rome, lui décerner le titre de Père de la Patrie, il se mit à pleurer devant les sénateurs. De même lorsque Arminius (5) piégea et massacra trois légions romaines en l'an 9 de notre ère dans la forêt de Teutoburg, Suétone nous décrit l’Empereur en ces termes : « Il en éprouva, dit-on, un tel désespoir, qu'il laissa croître sa barbe et ses cheveux pendant plusieurs mois, et qu'il se frappait parfois la tête contre les murs, en s'écriant : « Quinctilius Varus, rends-moi mes légions ». Les anniversaires de ce désastre furent toujours pour lui des jours de tristesse et de deuil. » Tout divinisé qu’il fut par tout un peuple à qui il avait donné la concorde et la paix civile, il restait un homme.

Ce livre présente un travail de fond d’une très grande rigueur intellectuelle et d’une réelle profondeur historique. Auguste répétait souvent cette citation « hâte toi lentement », car il pensait, à juste titre, que la prudence valait mieux que l’audace. Je conclue en disant : hâtez-vous lentement de lire ce livre…

 

Franck ABED

 

(1) Le Siècle de Louis Le Grand par Charles Perrault, 1687.

(2) Interdiction de l’avortement, condamnation de l’adultère encouragement aux mariages, encadrement très strict des divorces.

(3) Il connut la disgrâce à cause de vers jugés indécents pour la morale.

(4) Il finit même par accéder au Consulat… comme quoi Auguste ne fut pas rancunier.

(5) Arminius fut un chef de guerre de la tribu germanique des Chérusques, fils du chef de guerre Segimerus. En sa qualité de fils de chef, il devint otage et fut élevé à Rome comme un citoyen romain, devenant membre de l'ordre équestre. De retour en Germanie, il gagna de confiance du gouverneur Varus tout en organisant en sous main une rébellion. Il finit par être assassiné par des Germains, qui craignaient son pouvoir devenu trop important et autoritaire.



1 réactions


Réagir