mardi 2 janvier 2018 - par Michel J. Cuny

Aux sources de la monarchie élective

Lorsque, au sortir d’un baccalauréat C (été 1969), j’ai dû m’inscrire à l’Université de Nancy, j’ai choisi – sans du tout choisir – la faculté de sciences et de mathématiques. Nommé, dès septembre, maître d’internat dans un collège d’enseignement technique de ma ville natale (Saint-Dié, Vosges), je me trouvais, quatre jours par semaine, à 80 kilomètres de distance des amphithéâtres. Il paraît que, dans l’étude des sciences exactes, cela ne peut pardonner.

Dès le temps de ma seconde venue dans le seul cours de mathématiques que j’avais pu fréquenter lors de ma première visite à Nancy, j’ai découvert que je ne comprenais pas même la moitié des termes utilisés…

C’est dans ce contexte qu’un événement allait bouleverser ma vie intellectuelle. Parmi mes collègues surveillants au CET Saint-Roch, il y avait Jean-Louis Durand – il vit aujourd’hui en Australie où il a fait toute sa carrière de professeur d’université – qui avait décidé, lui, d’entamer des études de droit. Un jour, très exalté, il m’invita à l’accompagner à Nancy dans l’amphithéâtre où l’éminent professeur de droit constitutionnel, François Borella – cofondateur, avec Michel Rocard, du PSU (Parti socialiste unifié, qui avait connu son heure de gloire dans les années immédiatement précédentes) – donnait un cours qui était alors très fréquenté.

Il était question, ce jour-là, du contenu de la Constitution de la Cinquième République. De Gaulle avait démissionné en avril 1969. Nous étions en octobre ou en novembre : il était toujours en vie (il allait disparaître un an plus tard). Au détour d’une phrase, j’ai soudainement entendu ceci de la bouche de cette grande autorité universitaire et intellectuelle qu’était alors François Borella : « En 1962, en mettant en œuvre le référendum qui devait déboucher sur l’adoption de l’élection du président de la République au suffrage universel, le général de Gaulle a violé la Constitution qu’il avait lui-même fait adopter par le peuple français en 1958. »

Dans l’immédiat, je n’y ai pas vraiment cru. Mais le droit, qu’il soit constitutionnel, pénal, civil, etc., ne fait pas que frapper dans la masse : il s’explique, et jusqu’au dernier point de détail. C’est du moins ainsi que j’ai été formé par lui à l’analyse de texte.

Le soir même, pour reprendre mon service dès le lendemain matin à l’internat du CET, je prenais le train omnibus Nancy-Saint-Dié, et ceci dans un horaire qui me faisait côtoyer une masse considérable d’ouvriers à peine sortis de leurs ateliers ou de leurs usines. J’étais là, au milieu d’eux, et j’aurais voulu leur crier ce que je venais d’apprendre et ceci, qui me paraissait proprement stupéfiant, dans le cadre d’un cours universitaire…

Plus de quarante-cinq ans après cette journée mémorable, je sais, pour l’avoir étudié d’année en année – et aujourd’hui encore -, que tout, chez De Gaulle, a été dissimulé sous une légende devenue maintenant parfaitement inoxydable.

De fait, elle est le point d’ancrage central de l’idéologie dominante telle qu’elle s’exerce en France dans la dimension politique.

Avant d’aller plus loin, il faut se poser une première question : que peut bien signifier la formule « violer la Constitution » ? Qu’est-ce donc qu’une Constitution ? Une formule rapide pourrait consister à dire qu’il s’agit d’un texte qui précise où sont les vrais détenteurs de l’exercice de la souveraineté… La souveraineté… le point le plus élevé du pouvoir.

C’est en réfléchissant à cela, et en accumulant les travaux de caractère historique à propos plus particulièrement de Charles de Gaulle, que je suis véritablement né au questionnement politique.

Mais à la fin de cette année 1969, je n’aurais pas imaginé une seconde à quelles découvertes allait me conduire ma petite visite dans l’amphithéâtre de la faculté de droit de Nancy.

A ce propos...
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13 réactions


  • devphil30 devphil30 2 janvier 2018 21:09

    « j’ai découvert que je ne comprenais pas même la moitié des termes utilisés… »

    Visiblement cela ne date pas d’aujourd’hui ......


  • Cateaufoncel 2 janvier 2018 22:46

    "...j’aurais voulu leur crier ce que je venais d’apprendre et ceci, qui me paraissait proprement stupéfiant, dans le cadre d’un cours universitaire…"

    Encore une chance que vous ne l’ayez pas fait. Vous avez évité ainsi l’humiliation de votre vie, tant ils n’en avaient rien à foutre et tant ils se seraient foutus de vous.


  • beo111 beo111 3 janvier 2018 07:18

    Merci pour cet article court au titre alléchant.

    Maintenant vous citez un universitaire qui dit que De Gaulle a violé la constitution en respectant le résultat d’un référendum. OK, mais il faut nous montrer, texte de la constitution de 58 à l’appui, en quoi l’universitaire dit vrai...


    • Gasty Gasty 3 janvier 2018 09:40

      @diogène

      Oui mais.....Michel J.Cuny en a après De Gaulle, c’est une obsession chez lui. On ne peut pas dire qu’il veut lui faire la peau mais seulement lui ronger les os.



  • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 3 janvier 2018 10:34

    A beo111
    Merci pour votre commentaire qui m’invite à en dire plus sur une question effectivement très importante.
    Vous voyez que votre réaction répond à ce que j’ai moi-même ressenti en 1969 : je me demandais si cela était possible... Je ne pouvais pas mettre en doute la parole de François Borella... Mais je ne parvenais pas non plus à lui faire crédit.
    Quand je viens sur ce site - très rarement désormais -, je n’en attends guère que des injures... qui ont même pu aller jusqu’à des menaces de mort qui figurent encore dans les archives...
    Techniquement, le viol de la Constitution provient d’une application délibérément frauduleuse de l’article 11 qui ne pouvait en aucun cas être utilisé comme il l’a été.
    Je vois aussi que vous faites crédit au système du référendum... Ce n’est pas du tout ce que vous imaginez, et De Gaulle s’en était expliqué en privé dès après la Seconde Guerre mondiale.
    Par ailleurs, la carrière politique de ce sinistre personnage forme un tout qui renvoie à l’histoire de la grande bourgeoisie française... Sans étudier celle-ci avec une certaine constance, il n’est guère possible de comprendre quel rôle le continuateur de Philippe Pétain a tenu.
    Vous ayant écrit cela, et en attendant de pouvoir vous répondre plus longuement sur Agoravox, je ne peux que vous renvoyer à mes ouvrages :
     - Le procès impossible de Charles de Gaulle (2002)

     - Pour en finir avec la Cinquième République (2016)

  • jef88 jef88 3 janvier 2018 11:31

    Déodatien !

    BRAVO !
    Je suis Senonais .........
    Bonne année !

    • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 3 janvier 2018 11:54

      @jef88

      Bonne année !
      Vous êtes donc dans une vallée qui, par ses tissages, a longtemps appartenu à la famille d’Ernest-Antoine Seillière (MEDEF)... Elle avait commencé de s’y installer grâce à la nationalisation des biens ecclésiastiques et, en particulier, de l’abbaye de Senones qui avait accueilli naguère Voltaire venu rendre visite à Don Calmet, un Voltaire qui a été l’un des premiers, dans le Royaume de France, à prôner la remise des biens d’Eglise au trésor royal pour garantir le paiement de rentes dont il était l’un des principaux détenteurs dans le Royaume...
      De fait, j’ai vécu à Saulcy-sur-Meurthe : ce qui me rendait solidaire de Senones par le biais des tissages de Marcel Boussac, alors l’homme le plus riche de France... qui avait été membre du Conseil National de Vichy en son temps...
      Je rends compte de cet univers vosgien, tel qu’il pouvait être en 1968, dans un très court roman que je viens de transformer en livre électronique : « Les samedis de mai » (première édition 1980), accessible ici :

    • Gasty Gasty 3 janvier 2018 13:39

      @Michel J. Cuny

      J’aimerais savoir si Yvonne mangeait ( ou pas) du poisson le Vendredi ? Avez-vous un ouvrage à propos d’Yvonne et de sa vertu et de son influence sur les prises de décisions de Charles dans sa politique extérieur, je veux dire sur sa politique vis à vis des pays du Maghreb ?


    • Gasty Gasty 3 janvier 2018 13:41

      Je suis près à y mettre le prix qu’il faudra.


    • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 3 janvier 2018 13:44

      @Gasty
      Non, en ce qui concerne les pays du Maghreb.
      Mais, plus généralement, en ce qui concerne cette dame, voici...
      https://unefrancearefaire.com/2017/01/02/de-gaulle-je-les-mettrai-tous-a-la-gamelle/


  • zygzornifle zygzornifle 3 janvier 2018 14:53

    la « monar chie » sur la tete de son peuple ..... 


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