« Bagatelles pour un massacre »
Si je me permets de reprendre en intitulé le titre d'un pamphlet de Louis-Ferdinand Céline, ce n'est certes pas pour me délecter de la lecture des imprécations antisémites du sieur Destouches mais parce que la finesse de certaines de ses analyses du climat international de l'époque me font penser à notre contemporanéité bousculée dans ses certitudes et qui affronte l'accouchement difficile d'un monde apaisé.
Contrairement à ce que pensent beaucoup de non-lecteurs, le massacre évoqué par Céline n'a rien à voir avec le drame vécu par les Juifs dans la Shoah, le livre à été écrit en 1938 et il dénonce la grande boucherie qui se prépare alors dans les arrière-cuisines politiques et financières européennes décidées d'en finir avec le régime nazi, lui-même occupé à se donner la force militaire de ses rêves millénaristes.
Céline, à l'image de beaucoup de pacifistes de l'époque, s'offusque avec virulence de la préparation de l'opinion au futur sacrifice des enfants de la nation.
« Bagatelles !« exprimant le sentiment supposé de la bourgeoisie et de ses soutiens considérant les développements futurs de la guerre ( qui devait abattre l'ogre nazi en deux temps trois mouvements ) comme autant de futilités, on dit aujourd'hui dommages collatéraux, mais aussi comme une grande opportunité d'assouvir leur cupidité un peu balbutiante au sortir difficile de la grande crise..
Les massacres d'aujourd'hui sont majoritairement plus lointains et quand ils ne nous touchent pas directement, ils relèvent en quelque sorte, au choix, de l'abstraction ou de la statistique mais les mêmes intérêts dénoncés par Céline produisent les mêmes effets.
Si l'on met de côté son antisémitisme – une concession à l'air d'un temps qui fut effectivement marqué par une forte défiance vis-à-vis de la communauté israélite ( ou supposée telle ) mais aussi par un profond mépris pour les peuples colonisés - qui lui fait voir la main de Sion et de la franc-maçonnerie derrière tous les complots visant à engager la France dans des postures belliqueuses avec l'Allemagne, que de vérités ne découvre-t-on pas sous sa plume !
Quand Céline analyse avec une grande force littéraire prémonitoire et un fiel roboratif tout le profit que le capitalisme retire de l'exploitation de la guerre vue comme un champ d'expérimentation dont l'humanité pourra lui être redevable, le refrain est connu qui fait l'inventaire de toutes les avancées technologiques que nous devons aux fournisseurs d'armements..
La guerre et son cortège de misères et de ruines participent donc à ce processus de destruction créatrice qui est un des moteurs du capitalisme en recherche incessante d'innovations et de débouchés sur table rase, c'est son Graal dont la quête est infinie.
Cela va de l'obsolescence programmée des fabrications proposées à la vente dont la durée de vie est strictement limitée par l'objectif du renouvellement puisque le consumérisme est une des marques essentielles de notre civilisation contemporaine et cela se poursuit avec les formes plus violentes de destruction car les usines d'armement ont besoin de conflits pour faire vider les arsenaux, relancer leur production et financer leurs départements de recherche et développement d'engins de mort de plus en plus perfectionnés.
Ce n'est pas un hasard si des formes de contestation armée qui ont, par certains aspects, un côté folklorique comme Daech ( dont les défilés martiaux ressemblent aux grotesques parades du Klu Klux Klan ) ont accès à toutes les ressources technologiques de ce monde moderne qu'ils affectent de mépriser.
L'état islamique sait s'acheter des complicités, il sait aussi se vendre.
Le sous-sol du Proche-Orient fait le malheur de ses peuples et l'opulence de ceux qui les gouvernent.
Tous ces mouvements, miroirs aux alouettes de fondamentalistes givrés, servent d'abcès de fixation dans le cadre d'une tentative de redécoupage des zones d'influence.
Et les massacres qu'ils soient de la main directe de l'homme ou programmés par les calculs de trajectoires de ses missiles sur écran ne sont que bagatelles aux yeux des affairistes profiteurs de guerre.
Aujourd'hui comme à l'époque où Céline fit leur procès, les gouvernements ne sont en définitive que les otages des mêmes intérêts « tels qu'en eux-mêmes le temps les fige « , les jouets de contingences qui les dépassent mais auxquelles ils doivent accorder leur bénédiction.
Et les populations divisées par l'opportunité de ces guerres de nature coloniale et excitées pour demander vengeance ne sont que tout bénéfice pour ceux qui règnent dans le luxe des Conseils d'Administration et palpent les dividendes des efforts de guerre.