jeudi 15 mars 2018 - par Desmaretz Gérard

« Balance ton traître »... Trahison & déloyauté

Le 27 février 2018, Sergueï Skripal partage un repas dans une pizzeria de Salisbury en compagnie de sa fille venue lui rendre visite en Grande-Bretagne. Peu de temps après leur sortie, le père et la fille sont découverts inconscients sur un banc, dans un état critique. La substance incriminée, un neurotoxique, pourrait avoir été dissimulée dans un « cadeau offert par des amis » apporté par sa fille arrivée de Moscou la semaine précédente. L'ancien colonel du GRU (renseignement militaire), Sergueï Skripal, avait été accusé en 2004 de trahison au profit de la Grande-Bretagne pour avoir livré les noms d'une dizaine d'agents russes opérant en Occident. Le tribunal l'avait condamné en 2006 à treize ans de camp pour « haute trahison », faits qu'il a reconnus.

En 2010, Skripal fut échangé ainsi que trois autres agents américains prisonniers en Russie contre une dizaine d'agents russes incarcérés aux USA. L'histoire avait débuté avec la condamnation par contumax du colonel Aleksander Poteyev à 25 ans d'emprisonnement, à être dégradé, privé de ses privilèges et récompenses reçues. Ce colonel du GRU qui travaillait pour la CIA depuis 1999, avait révélé un réseau d'espions russes opérant aux États-Unis. En juin 2010, les autorités américaines avaient annoncé l'arrestation de dix espions russes parmi lesquels Anna Chapman. Skripal s'était enfui pour les États-Unis trois jours plus tôt en passant par l'Ukraine et l'Allemagne en utilisant le passeport de son frère, précédé quelques jours plus tôt par sa fille et son fils...

Les services soviétiques ont bénéficié des travaux de Marcus Klinberg. Cet ancien colonel de Tsahal, directeur du département d’épidémiologie du Centre de recherches biologiques de Ness Tziona, fut arrêté en 1983 par le Shin Bet. Cela faisait plus de 25 ans qu'il trahissait au profit du KGB ! L'affaire resta longtemps secrète et son absence « justifiée » par un internement psychiatrique... Libéré après une vingtaine d'années d'emprisonnement et d'assignation à résidence, il s'installa à Paris en 2003 où il décéda à l'âge de 97 ans.

Bienvenue dans le monde de l'espionnage que l'on pensait amoindri avec les bouleversements intervenus en cet fin de millénaire, un monde complexe dans lequel nos amis ne sont plus des amis, l'ont-ils jamais été ? La trahison et la félonie n'appartiennent pas seulement au domaine du renseignement, ces comportements sont partout autour de nous. Les liens unissant les individus appartenant à une même communauté ne sont jamais garantis ad aeternam.

Dans quasiment toutes les sociétés, la trahison a une connotation négative, le traitre encourt le bannissement, l'exil, ou la mort. Si l'intérêt commun prévaut sur n'importe quel intérêt particulier, la qualification de trahison est trop souvent une question de point de vue ou d'idéologie. Les normes varient selon l'appartenance à un endo ou exogroupe particulier. Edward Snowden est un traitre, un félon, un renégat, un paria pour certains, un lanceur d'alerte pour ceux qui le soutiennent. Pour les premiers il mérite la peine de mort, pour les seconds le prix Nobel de la paix.

Tout citoyen peut un jour être tiraillé entre la loyauté à sa Patrie, à ses pairs allant jusqu'à lui poser un cas de conscience. La fidélité n'est consentie que dans certaines limites, et la trahison peut être perçue comme légitime. Lors de la seconde Guerre mondiale, un slogan invitant à la résistance à l'occupant disait : « Obéir c'est trahir, désobéir c'est servir », certains de nos grands corps d'État, insatisfaits de se soumettre contraints et forcés aux désidératas de la puissance occupante, se sont mis à son service avec une alacrité à peine dissimulée... Ce qui caractérise la trahison, c'est le manquement à un serment de fidélité prononcé en connaissance de cause et librement accepté. Le citoyen historique est lié par un sentiment de fidélité générationnel attaché à sa patrie et à sa population, il n'en va pas de même pour le citoyen ayant acquis la nationalité récemment et qui n'a prêté aucun serment de fidélité au pays d'accueil. La loyauté dépend étroitement de la solidité de la relation entretenue et de l'éducation reçue.

On ne peut dans la société civile, exiger la confiance totale de tous ses membres. « Le cheminement de la trahison est graduel, il va de la socialisation à minima, du refus d'implication (l'abstention peut parfois être perçue comme une forme de trahison alors qu'il peut s'agir de volonté ou de faiblesse), le doute peut être perçu comme le début d'une trahison (si tu n'es pas avec nous, tu es contre-nous), du lapsus involontaire, de la transgression, de la défaillance, à la volonté de nuire  ». La désobéissance peut être perçue comme un acte de rébellion justifiant la trahison, ce que le terrorisme est venu nous rappeler cruellement.

Skripal n'a jamais été un agent double comme nous le claironne la boîte à image, ce dernier qui s'enrôle chez l'adversaire ne sert qu'un seul maître, alors que trahir c'est renoncer en secret à un lien au profit d'un autre. L'agent double infiltré qui se livre à la dénonciation des membres du nouveau groupe commet un un geste « déloyal » à leur égard, non une trahison. Il n'a que simulé une appartenance. Aucun lien ne l'unissait à ses contacts. Il n'est pas un parjure. Qui est le plus blâmable, l'imposteur (taupe, ennemie de l'intérieur ou du dedans) animé d'un idéal de loyauté à sa communauté, ou les individus qui lui ont accordé leur confiance aveuglément ? Dans le cas d'une personne qui se convertit à une autre religion, doit-on parler de trahison, d'une défection ou d'une conversion tout simplement ? Où commence et où finit la trahison ?

Bafouer la loyauté en passe par une histoire commune partagée, sans partage, sans confiance accordée, pas de trahison. « Nul n'est qualifié pour connaître des informations ou supports protégés s'il n'a fait au préalable l'objet d'une décision d'habilitation et s'il n'a besoin de les connaître pour l'accomplissement de sa fonction ou de sa mission » (article 7 du décret 17 juillet 98). Les acteurs baignant dans un sentiment de loyauté nationale attendent la réciprocité de leurs concitoyens. Le cas Sergueï Skripal représente une triple trahison, cet officier a trahi son pays, son service et les siens, comportement inacceptable de la part d'une personne qui s'est engagée à conserver le secret, à servir son pays et à protéger ses homologues.

La trahison nationale nécessite une sanction (l’article 275 du code criminel russe punit la trahison d'une peine de 20 ans d'emprisonnement. L'article 64 de l'ancien code criminel soviétique prévoyait la peine de mort), à ne pas confondre avec la vengeance, la trahison d'un membre des services de renseignement pouvant servir la propagande. Les Américains et les Britanniques en procédant à un échange de prisonniers, ont lancé un message aux traitres en devenir, « on ne vous laissera pas tomber si vous travaillez pour nous » ; la trahison représente aussi une menace inacceptable pour l'institution adverse qui se doit à maintenir l'image d'une communauté hermétique, solidaire, et dissuader les futurs impétrants de toute trahison. Où placer l'index ? Les services russes ont-ils été débordés par une poignée des leurs ou la lutte relève-t-elle d'un règlement de compte plus sordide ?

Dans ce qu'il est convenu d'appeler l'affaire du Rainbow warrior et la chasse « aux sorcières » qui s'en ait suivi, on peut parler d'une véritable trahison du Gouvernement français de l'époque à l'encontre de nos opérateurs. Si celle-ci n'a pas pour autant dissous le lien de fraternité qui unit ces hommes ou ces femmes qui ont fait vœu d'allégeance à l'État, elle a cependant ébranlé des consciences et eut des répercussions sur l'enrôlement. La différence tient entre le « Il » (l'État) et le « Nous » (l'institution). L'État n'a de compte à rendre à aucun tribunal, il lui suffit d'invoquer une quelconque raison d'État. Le gouvernement qui affiche une loyauté calculée reste toujours le référent dans l'engagement. La trahison étatique est élastique (pardon pour la rime) et reste perçue ou vécue comme une rupture. On voit clairement la fragilité des valeurs sur lesquelles repose la trahison. La loyauté prive l'agent de renseignement, le policier, le militaire, le fonctionnaire de tout sens critique, et l'adhésion l'emporte sur la morale. Sans appartenance, il n'y a pas de trahison vécue.

La loyauté envers son pays est une chose qui semble aller de soi, mais il n'en est rien. Des nationaux influencés par la propagande distillée autour d'eux peuvent varier dans leurs convictions et basculer dans la félonie ou la trahison. Écouter chanter les sirènes de l’étranger n'est jamais exempt de risques pour la communauté nationale ni pour l'individu. Toute collusion peut se révéler génératrice de « désagréments » individuels ou collectifs. Le traître restera toujours aux yeux de son ancien groupe et des bénéficiaires de sa trahison un traître. Alexandre Goussak (FSB) avait déclaré lors d'un entretien accordé à BBC2 à propos de l'assassinat de Litvinenko à Londres : « Je le considère comme un traître parce qu’il a trahi ce qui est le plus sacré pour un agent, ses sources opérationnelles ». Un individu qui a trahi ne sera plus jamais digne de confiance. Le défecteur Kim Philby qui a trahi au profit de Moscou par conviction politique, a toujours été considéré par les Soviétiques comme un collaborateur secret, euphémisme servant à désigner une taupe. Il reste marqué à tout jamais du sceau infamant des traîtres.

Si la trahison sert la propagande, elle représente aussi une menace certaine pour l'institution qui se doit à délivrer l'image d'une communauté soudée et solidaire. Absoudre un traitre reviendrait à envoyer à la communauté le message « vous pouvez trahir ». Aucune institution n'y a intérêt. Un traitre sera toujours considéré comme un homme vil et méprisable. Le traitre est condamné non seulement par les tribunaux, mais aussi au rejet de ses pairs. Le traitre peut tenter d'amoindrir sa faute en se présentant en victime, affirmer qu'il y a été contraint, qu'il a fait l'objet de menaces physiques, d'un chantage odieux, d'invoquer un moment de faiblesse, de découragement, qu'il a été lui même trompé, ou invoquer une loyauté supérieure (Georges Pâques)... Trahir son pays au profit d'un pays tiers est-il moins honorable que trahir son pays au profit de sa famille (oligarques, tycoons) ? Il n'y a pas de profil type : « Toujours la trahison trahit le traître » (Victor Hugo). En guise d'épitaphe, on meurt souvent comme on a vécu...

 

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9 réactions


  • Taverne Taverne 15 mars 2018 11:13

    Moi, je ne sais qu’une chose, c’est que je ne sais rien et que je veux rien savoir. J’ai pas envie que Vladimir vienne hanter mes cauchemars en me fixant de ses petits yeux cruels. « Pitié, Vladimir, je ne sais rien sur rien ! » Vladimir, tu es grand, tu es beau ! Mais, toi-toi donc François H..., tu veux nous faire tous tuer ?

    Vladimir est le maître du monde.


  • Ruut Ruut 15 mars 2018 12:58

    Nous savons surtout que nous ne savons rien.


  • zygzornifle zygzornifle 15 mars 2018 15:02

    J’ai toujours trouvé la bouffe des rosbifs exécrable ..... 


  • joelim joelim 15 mars 2018 16:49

    U.S. and Uzbeks Agree on Chemical Arms Plant Cleanup

    La CIA aurait donc pu récupérer le grisbi en Ouzbékistan. Mais c’est trop compliqué de réfléchir pour May, Tusk, Macron, Merkel et Halley (la fine équipe LOL).

    A mon avis c’est de l’harcèlement classique, comme pour le dopage des russes au curling aux JO (le curling...).

    Le manque de jugeote de nos « têtes pensantes » fait frémir.

  • Andrei75 15 mars 2018 17:32

    Une question quand même : à qui profite ce qui se passe ? 


    A lire la presse britannique prête à partir en guerre, on peine à comprendre l’intérêt de la manoeuvre pour Poutine… Pourquoi maintenant ? Pourquoi un type aussi insignifiant ? 

    En revanche, ce qui se passe est en train de causer un tort certain à Corbyn et au Labour (ce dernier ayant d’ailleurs promis de faire le ménage dans la mafia russe londonienne et son système de blanchiment d’argent jusqu’ici très toléré par les autorités)… 

    cela profite aussi à Teresa May qui remonte dans les sondages et aux conservateurs qui étaient presque assurés de perdre les prochaines élections… et qui peuvent brandir leur détermination devant les « envahisseurs » et éviter de parler des sujets qui fâchent comme la privatisation des retraites universitaires, le chômage, etc. 

    Poutine a bon dos… il faut dire qu’on ne prête qu’aux riches… 

  • antiireac 15 mars 2018 21:19

    Bon il y a évidement pas trop de doutes sur la culpabilité du gouvernement russe voir de Poutine lui m^me .

    Mais il faut dire que ce gars a quand même trahit son pays et je ne sais pas pourquoi je supporte pas ce genre d’individu alors oui je dis tant pis pour lui il a eu ce qu’il a cherché .

  • izarn izarn 15 mars 2018 22:18

    Bon déjà « ancien colonel de Tsahal »...
    T’es sur de te faire arnaquer, la totale...
    Mais bon, ils ont le droit...
    Et je vais lire ces conneries ?
    Et t’as d’autre chose à faire dans ta vie ?
    Qu’a reflechir sur les problèmes des connards ?
    Sauf si t’es juif...Mais même...
    Meme le juif français est moins con que ça...(Meme qu’il est plus intelligent que ta pomme !)
    Finalement, un juif débile ça existe ?
    (Ben le juif chez Soral ou chez Valls...La c’est bon, t’ajoutes Jaculebovitz, t’as la totale. Oui, le mec de la quenelle dans le fion des déportés...Bref des malades sado masos..)
    Mais ça s’adresse à qui, au fond ?
    Hummmm ?
     smiley
    Aux socialitses....Rien à voir avec l’URSS ou Mao...
    La Mitte et la francisque !
     smiley
    Mais au fait c’est quoi le sujet ?


  • joelim joelim 15 mars 2018 23:45

    Selon Macron « il n’y a pas d’autre explication plausible ».

    Mais alors, pourquoi le Kremlin aurait-il utilisé un produit typique de l’URSS ?
    Il semblerait que certains pensent que c’est par bravade. Pour menacer. 
    Faut reconnaître qu’il est un peu macho le Poutine, ça colle bien non ?
    Un mec qui se met torse nu dans la neige est bien capable d’empoisonner par provocation.
    Il tient bien la route, ce nouveau président. On se sent bien conduits. Pas convaincus notez, mais bien conduits.

    Quant à la thèse de la CIA c’est mal connaître les principes éthiques de cette organisation et fleurter avec la conspironite aigue.

  • Matlemat Matlemat 16 mars 2018 01:04

     Pour le Rainbow Warrior , le couple d’agent français n’ont pas eu besoin d’etre dénoncés, ils étaient repérés à quinze mille par les néo-zélandais. 


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