Bazar anatolien / Sous-titre : Erdogan : « L’adhésion de la Suède à l’OTAN contre l’adhésion de la Turquie à l’UE »
La chaine d’information CNN Türk (10.07.23, cnnturk.com) a rapporté que l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne (UE) était un sine quoi non pour l'adhésion de la Suède à l'OTAN.
Cette déclaration appartient au président turc Recep Tayyip Erdogan. Elle a été prononcée à l'aéroport avant de partir pour le sommet de l'OTAN en Lituanie.
Parlant de l'adhésion de la Suède à l'OTAN, Erdogan a souligné que la Suède devait respecter les termes de l'accord tripartite et a poursuivi : « Personne ne devrait attendre de nous des concessions. Je rencontrerai le président et le Premier ministre de la Suède cet après-midi. Nous voulons que les promesses faites soient tenues. » En effet, au-delà du marchandage pour l’adhésion de son pays à l’Union européenne, le président turc faisait référence à l’accord concernant les kurdes, réfugiés en Suède ; il veut que cette dernière remette aux autorités turques certains Kurdes que la Turquie considère comme terroristes. Également, le froid entre la Suède et la Turquie a été accentué quand, lors d’une récente manifestation, un exemplaire du Coran a été brûlé (fin juin à Stockholm). Comme Erdogan se considère comme le défenseur des musulmans dans le monde, la réaction turque fut virulente.
Avant son départ pour la Lituanie Erdogan a également précisé : « La Turquie fait sa part de travail en tant que contributeur important aux opérations de l'OTAN. Nous aurons des rencontres bilatérales avec certains chefs d'État en marge du sommet. La Turquie a été forcée d'attendre à la porte de l'UE pendant plus de 50 ans. En ce moment, presque tous les pays membres de l'OTAN sont également membres de l'UE, je lance un appel à ces pays qui tiennent la Turquie en attente depuis plus de 50 ans, mais je m'adresserai également à eux demain à Vilnius. D'abord venez, ouvrons la voie à la Turquie vers l'UE et ensuite ouvrons la voie à la Suède, comme nous l'avons ouverte par rapport à la Finlande. D'ailleurs, j'ai dit ça à M. Biden, hier soir. Nous ferons également cette déclaration à Vilnius. Notre nation a une attente : Nous ne pouvons plus supporter cette attente. Cela fait plus de 50 ans. Nous sommes la Turquie. Nous ne sommes pas un pays quelconque. Tout le monde devrait le savoir. C'est ce que je rapporterai aux chefs d'État et de gouvernement lors des réunions que j'organiserai en marge du sommet. »
En réalité, le président turc a raison sur un point : l’Union européenne est devenue un jouet entre les mains des Américains. La guerre en Ukraine est venue confirmer une fois encore l’inexistence de cette Union européenne au niveau international.
Bien que les leaders européens tentent de nous faire croire que l’UE est indépendante et qu’elle joue un rôle primordial sur la scène internationale, nous sommes en droit de nous demander comment un ensemble hétéroclite, sans âme, éloigné du citoyen et qui a du mal à se définir et à se gérer peut peser sur les décisions dans le monde. Car, à force de compromis et de compromissions, l’UE est devenue un nain politique, incapable de comprendre les enjeux géopolitiques internationaux et a fortiori d’agir efficacement.
En effet, malgré quelques soubresauts individuels de la part de certains États de l’Union, les leaders européens se sont rangés très majoritairement derrière les États-Unis ; ils sont rentrés dans les rangs, comme des vassaux face à leur suzerain.
Pendant que le monde s’embrase, à Bruxelles et à Strasbourg on s’embourbe dans des discussions sur la relation entre l’interétatique et le transnational ainsi que sur le rôle de différentes institutions qui composent l’UE. Pendant ce temps, l’oncle Sam renforce son emprise sur le continent européen. Car, si la fin de la guerre froide avait permis une certaine désescalade dans la course aux armements et fit naitre des velléités d’indépendance dans l’esprit de certains, le complexe militaro-industriel des États-Unis et les faucons de Washington en ont décidé autrement et ont créé les conditions pour y parvenir.
Avec la guerre en Ukraine les Américains ont trois objectifs principaux : a) Imposer à leurs « alliés » une nouvelle course aux armements aussi bien pour équiper l’Ukraine que pour s’équiper eux-mêmes face à la « menace venant de l’est » ; b) Raviver une nouvelle guerre froide pour mieux contrôler leurs « alliés » et c) Contrôler l’Eurasie et agir contre la puissance chinoise.
Et malgré ces réalités, l’UE se complait dans une servitude volontaire car elle n’est même pas capable de voir son asservissement[1].
Dans ces conditions, Erdogan aurait tort de ne pas en profiter en imposant sa volonté. D’ailleurs, le président turc rêve d’une Turquie-grande puissance, influant sur le cours de l’histoire…Il rêve de reconstituer l’Empire ottoman, en réalité…
[1] Voir également : Revue Europe&Orient No 36, janvier-juin 2023 : « Guerre en Ukraine : l’Union européenne entre vassalité et suivisme »