BILLET D’HUMEUR...de chien
Je me balade, je m’arrête, j’écoute, je renifle je repars, je discute, je raille, je critique et redevenue seule, je trie je case je range je me remémore je note. C’est du vrac mais pas confus, tout converge, à me morfondre : comment est-ce possible ?
Comment est-ce possible que tous aient accepté, en vrac (mais pas confus !) : que nos enfants vivent en société à deux mois, bien avant l’âge idoine de quatre ans ? Ne savent-ils pas que rien n’est encore mûr en lui pour cela avant cet âge ? Et que tout devient formatage, l’éveil, l’excitation insensée quasi sans un moment de pause ( si, le sommeil en dortoir), plus un moment inoccupé, un moment d’ennui, un moment pour que l’enfant fasse à sa façon tout ce que je dis plus haut ?
Que l'on mette en cage nos vieux perclus de solitude pour qu’ils aillent écourter leurs jours chez des gens pire que les marchands de sommeil ; on sait que c’est pas facile, une vieille mère qui perd la tête, un vieux père qui tremble de Parkinson, qu’ils soient devenus idiots ou méchants, on sait que c’est une épreuve… et on se dit que d’autres sauront bien s’en débrouiller ! Qu’il suffit de payer. Payer, payer, payer pour que d’autres s’occupent de tout ce qui ne va pas, les fuites, les pannes, les maladies, et tout le routinier, le ménage, la bouf, la garde de nos dépendants ; payer encore, jamais assez payés pour payer à tout faire faire !
Je n’ai croisé personne sur mon chemin, et cela fait déjà un bon moment, qui mette cela en question… on est embarqué, on ne peut pas sauter, nous sommes dans la stratosphère !!
Cependant, naguère, les vieux restaient à la maison, où vivaient la belle-fille et un fils. Celle-ci avait subi la belle-mère depuis ses épousailles et devait prendre soin d’elle maintenant qu’elle déclinait ; cela ne l’empêchait de s’occuper des enfants, et du mari, et des poules, et du jardin. La belle-mère n’était pas forcément féroce mais l’était souvent au déclin d’une vie identique où le peu d’amour reçu n’avait duré qu’un temps. La propension de l’humain a faire subir à l’autre ce qu’il a vécu n’est pas ce dont on va se débarrasser de sitôt.
J’ai assisté à un déchaînement d’insultes, sous un article qui relatait brièvement le drame d’un chien tué sous les coups de latte de son maître, dans un train. Si l’on a un tant soit peu la propension à se laisser aller à l’imagination de ce qu’a vécu le chien, forcément les larmes coulent. Seulement, la plupart les chasse par cette violence libératrice. Mais si, comme moi, par tempérament, on s’y attarde un peu, la scène dans son entier, avec ses deux acteurs, est encore plus horrible. Il est évident que ce garçon aimait son chien, il était peut-être même son seul compagnon, sa seule affection. Et j’imagine la scène ainsi : le chien manifeste, d’une manière ou d’une autre, le désagrément d’être contraint de rester coucher là, dans l’allée, depuis si longtemps ; peut-être a-t-il simplement envie de pisser, et bien éduqué, incapable de le faire en ces lieux ; ou bien a-t-il envie de s’égayer, de courir.
Ce qui se passe dans la tête de celui qui maltraite l’autre qui en est dépendant, ce qui se passe dans son cœur, ce qui est enfoui depuis si longtemps dans sa psyché, c’est la paralysie, l’impuissance à l’aider, lui apporter ce qu’il lui faut, le soulager ; c’est comme un piège qui se referme, un handicap tellement connu et rabâché : tu es un incapable, tu ne vaux rien, et personne non plus n’a rien pu pour toi. Coincé dans une situation dont il est incapable de s’échapper ( ici, le train, mais bien souvent dans une situation affective inextricable, ou bien dans un état de fatigue tel qu’il n’a plus rien à donner) hors la violence, comme on dit vulgairement : péter un plomb. Ainsi à la souffrance insupportable du chien innocent et aimant s’adjoint celle du bourreau qui se laisse aller à une rage qui se nourrit d’elle-même et qui s’engrène de s’exprimer. Si personne n’est là, s’il n’a pas en lui-même cet interdit qui l’arrêterait à temps, il va trop loin et il est malheureusement probable que ce « trop » le condamne plus encore que la Justice.
Mais ce qui est drôle, c’est que les insulteurs, à leur échelle, se comportent exactement de la même manière ! On porte sa violence sur l’autre parce qu’on est incapable de l’endiguer.
C’est exactement la même veine dans la maltraitance des enfants, des vieux, la violence conjugale, mais en revanche pas du tout dans celle, froide et lucrative qui est faite à nos bêtes de somme, de boucherie. Ici il ne s’agit pas d’une sensibilité exacerbée et pervertie, car blessée, mais bien d’une insensibilité totale. On en parle beaucoup aussi et par le dégoût qu’elle provoque, son rejet est massif. Mais de là à faire la seule chose qui est en notre pouvoir : ne plus manger de viande pour rendre vains ces techniques concentrationnaires, il y a un pas qui est un gouffre pour tous ceux qui peuvent occulter le problème. Notre société est si violence qu’elle induit la violence, ou l’insensibilité qui la propage. Indifférence ou participation, violence en retour ou incompréhension, tout semble concordé à son explosion. Tout semble impuissant à y changer quoi que ce soit.
Ma balade s’est arrêtée un moment ici, parce que j’y étais particulièrement touchée ; mais dans la rue, au marché, sur la toile, des indices plus ou moins fastes nous rassurent ou nous inquiètent sur l’avenir de notre société.
Mais j’ai vu aussi une autre courte vidéo et une multitude de commentaires qui m’a laissée pantoise ; un micro tendu vers un randonneur, au dessus d’une montagne, en vingt secondes celui-ci éructe : « virons la sécu, les APL, que les gens se démerdent pour se loger, moi, j’ai payé mes deux maisons… » c’est à peu près tout ; exceptés trois commentaires, tous les autres ont marché, à fond les insultes ! Personne ne s’est posé la question de l’incongruité de la scène ! Je pense que la propagande a de beaux jours devant elle, les réactions sont désormais réflexes, n’y a-t-il plus qu’un bulbe ? Le cerveau lambda est-il ankylosé ? Dans cette vidéo, il manquait à tout le moins le contexte, mais cela ne dérange pas ! Je dois avouer que pour moi, ceci est fort inquiétant.
Dans les ruelles de mon village, je croise rarement du monde, mais voyant un copain rentrer chez lui vers une heure de l’après-midi, le jour de la pré-rentrée des instits, je lui posai la question : ça y est, tu as rencontré tes collègues ? C’est pas ça me répond-il, il n’y a rien dans mon bureau, ni papier, ni stylo, ni ordinateur… je rentre bosser chez moi ! C’est lui qui me racontait que les gosses de primaire jetaient leurs emballages n’importe où, et si on leur faisait la remarque, ils répondaient : il y a quelqu’un de payer pour les ramasser ! Je dois dire que ce comportement qui évoque plein de choses, tarit mon imaginaire à trouver des moyens de faire une société meilleure ! Et ça m’a fait penser que sur des sites d’annonces, sur le web, on en trouve encore qui datent de 2011 ! N’y a-t-il personne de payé pour les effacer ? Et je ne parle pas de tout ce que je ramasse dans les fossés, des sacs, des bouteilles, des paquets de clopes qui ont été jetés là parce que opinément vides ! N’y a-t-il personne de payé pour les ramasser ?
Mais qui paierait ?
Un petit mot, une petite phrase, un petit geste et c’est tout l’avenir qui s’inscrit dans un rayon hypotrophique. Les clés, les barreaux, ne sont pas que matériels, ils bouclent et barrent l’imaginaire que la paranoïa, qui n’en est plus une pathologie tellement elle est devenue un savoir-vivre, canalise à l’intérieur de cette prison que l’on cherche à décorer de la plus belle façon ! Les prisons de jadis, le sexe, la classe sociale, demeurent mais s’impose par dessus elles une autre autrement perverse qui empêche toute échappée : le moi. C’est très lié d’ailleurs avec la paranoïa. Si j’osais, je ferais un raccourci hâtif pour qualifier la société du XIXème siècle hystérique, le sexe, celle que l’on vient de quitter de schizophrène, liée à la classe sociale, pour rentrer dans la paranoïa, l’ego roi.
C’est un âge après tout, d’où l’on sortira. On devrait relire Piaget, je crois.
Mes petits tours dehors me confirmèrent qu’on ne rencontre guère de sourires à la saison touristique ; on ne perd pas si vite ses attitudes de citadin. On ne prend plus plaisir à s’imbiber d’un lieu mais à le conquérir, on s’y répand on s’y presse, en quête de prix. On n’y sent plus, même sur les routes, la lenteur hésitante parfois agaçante de ceux qui sont en vacances alors qu’on ne l’est point.
Le temps est sans suite, sans avant sans après, le temps est haché, l’espace est hachuré et toute cette abondance n’est pas sécurisante, elle nous laisse le goût amer de l’in-fini et après avoir tâté de tous ces plats on s’aperçoit qu’ils ont tous le même goût.
Mais je reviens à mon écran où je constate quelque chose que je sais depuis fort longtemps mais qui ne se dément jamais : rien n’est jamais vu tel que c’est, mais toujours à travers le filtre de sa propre vérité. Cela limite énormément les échanges mais procure parfois des bons moments de rigolade ; moi qui ai un humour devenu caustique et du coup pas très rigolo, je m’éclate littéralement devant des interjections d’une justesse quasi pointilleuse avec cependant ce léger décalage nécessaire au rire. Alors oui, celui-ci console un peu le manque de tendresse chronique, le manque de jugements profonds, même si cela dénote un besoin de décompression plutôt que d’abandon. Le monde est en tension, on se détend ; le monde est en tension, on se défoule. Mais tout cela nous aide à accepter ; et c’est là qu’on peut s’interroger.
Enfin, mon petit tour pour l’instant s’arrête là : ce n’est pas un rire détente, ce n’est pas une sucrerie, c’est un véritable bonheur profond avec ses racines au fond des âges ; mon amour pour les nomades, entendez pour la liberté, s’accroche à ce nouveau souffle qu’ils donnent à notre lutte.
Je jubile, comme quand j’écoute les paroles des Amérindiens…
https://lundi.am/12-septembre-Marcel-Campion-roi-des-forains-appelle-a-bloquer-le-pays