lundi 17 septembre 2018 - par Impat

Bonjour Détresse

Le poison du mythe égalitaire

On pourrait croire à des appels de détresse. Répétés, insistants, têtus, et pourtant considérés dans le Pays comme des événements mineurs. Des événements en tout cas auxquels nous sommes accoutumés, c’est comme ça, on n’y peut rien. De sondages en sondages se retrouve le même résultat, étonnant, aberrant, incompréhensible. Les Français, ce peuple figurant parmi les plus riches du monde, dépassés seulement par les pays à rente pétrolière ou bancaire, et dont les richesses sont les moins inégalement partagées, les Français sont les plus pessimistes de tous les peuples de la terre ! Ils broient du noir, un noir plus noir que celui qu’expriment tous les autres peuples, les riches comme les pauvres, les « développés » comme les « sous-développés » et les « émergents ».

Pourquoi ? Comment est-ce possible ?

Pour tenter d’élucider cet extraordinaire mystère, il peut être utile de chercher depuis quand ce sentiment pernicieux a commencé d’envahir nos esprits. Remontons vers une époque dont les traces médiatiques nous sont encore accessibles. L’entre-deux guerres. Pas de télé, peu de radio, pas d’internet, mais de nombreux journaux et magazines. Et puis les souvenirs évoqués par nos grands-parents, et quelques lettres de ce temps. Que nous disent toutes ces traces ?

On y décèle une foule de choses. Un fort sentiment patriotique mêlé au souvenir de la grande guerre, associé à la crainte de plus en plus prégnante au fil des années de voir le conflit reprendre avec sa multitude de morts. En même temps, une joie de vivre explosive liée sans doute à la fin de guerre, la première, et à la victoire. Les chansons sur deux registres, le mode social victimaire d’une Berthe Sylva et le mode joie de vivre d’un Maurice Chevalier puis d’un Charles Trenet. Et bien d’autres. On y retrouve les années folles de nos grands-parents, suivies bientôt des années de crise, elles-mêmes laissant la place aux années d’appréhension.

Cependant à aucun moment, sur aucun journal, aucun « 78 tours », n’apparaît cette idée de pessimisme morbide non lié aux évènements. On est apitoyé devant la misère, on est pessimiste pour la guerre à venir, mais à terme on attend des jours meilleurs. Le grand soir pour certains, la paix après la nouvelle « der des der », le progrès…

Nous ne disposons d’aucun sondage, le mot ne s’appliquait pas encore à l’opinion, mais il semble bien que la société française de l’époque ne déprimait pas comme la nôtre, alors que pourtant son niveau de vie était incroyablement plus bas et que la guerre menaçait.

Puis vint la guerre, la débâcle, l’occupation, la libération. Des bouleversements si forts que les Français se retrouvaient trop préoccupés à survivre pour ressentir des états d’âme, quels qu’ils fussent.

Avec le début de la IVème république on commence à percevoir quelques signes de désarroi. La France se réveille, mais elle se réveille face à la fois à la perte de son empire et à l’affaissement de sa puissance militaire réputée une décennie plus tôt comme la première du monde. On commence à broyer du noir, d’autant que le Pays souffre de gouvernements impuissants devant le règne des partis. La guerre d’Algérie apporte le drame final.

De Gaulle une fois de plus trouve les moyens d’une résurrection. Mais le ver de l’abattement était dans le fruit. Dès de Gaulle parti….

Alors le début de ce sentiment terrible, quand peut-on le dater ? Il ne se produit pas avant la guerre, il est hors de propos pendant la guerre, il commence donc après la libération. Une première cause, on l’a vue, réside dans le changement de rang du Pays, qui passe de grande puissance à puissance moyenne. Mais n’y en n’aurait-il pas une autre ?

Une autre qui, elle aussi, intervient en 1945. Le nazisme ayant déconsidéré pour longtemps tout ce qui ressemble, même de loin, aux idées de droite, le communisme et plus globalement le « gauchisme » envahissent totalement l’avant-scène politique et médiatique. La bien-pensance est à gauche, elle y restera longtemps. Toute l’Intelligentsia se sent obligée de penser à gauche, à l’exception remarquable de Raymond Aron qui dénonce le phénomène dans son « Opium des Intellectuels » publié en 1955. Le parti communiste obtient régulièrement plus d’un quart des suffrages, les autres formations apparaissent plus modérées mais aucune ne se revendique adepte d’une société libérale. Or que prônent tous ces drogués de « gauchisme » ? Beaucoup de choses, mais l’une d’entre elles sonne agréablement aux oreilles.

L’égalité, ce noble concept inscrit sur les frontons de nos mairies. Il rappelle la nuit du 4 août 1789 au cours de laquelle les représentants de la noblesse ont proclamé l’abandon des privilèges dont ils bénéficiaient. C’était la fin des droits féodaux tels que les droits de chasse, les juridictions spéciales, les droits seigneuriaux etc. Tous les « citoyens » devenaient égaux devant la loi, décision majeure, sans doute le plus bel apport de la Révolution.

Oui, noble concept, et heureuse décision. Le problème est que ce mot d’égalité fut si bien répandu, si hautement brandi, que tout un chacun imagine maintenant qu’il s’agit, non plus d’une égalité de droit, mais d’une égalité de fait. Et bien entendu les partis de gauche laissent planer le doute. Ainsi, progressivement, les Français se sont-ils laissés persuader que l’égalité de revenu est un objectif presque raisonnable. Le résultat inéluctable, comme on trouve toujours un personnage plus riche que soi, c’est que le Pays foisonne de gens envieux, jaloux, qui se sentent injustement défavorisés par la société. Et si le personnage plus riche est de plus un patron, alors là le sentiment d’injustice ne connaît plus de borne.

C’est ainsi que ce mot d’égalité, ce beau symbole, est devenu en France un mythe empoisonné. Nombre de Français, citoyens de ce Pays prospère le plus égalitaire du monde, sont rongés par l’espérance toujours déçue d’une égalité inatteignable.

En même temps, cette seconde moitié du 20ème siècle voit s’opérer à grande vitesse une incroyable déchristianisation de la société, dont une conséquence est peut-être la substitution de l’esprit envieux à l’esprit d’amour.

Sentiment de déclassement, sentiment d’injustice, envie, comment ne pas voir l’avenir en noir ? Cette maladie ne pourra trouver sa guérison qu’avec beaucoup de temps et beaucoup de pédagogie. Ou avec l’élection d’un Président affirmant sans complexe que l’opium des intellectuels, c’est fini, que les inégalités sont bénéfiques pour diffuser les richesses, et que l’égalité est un leurre ? Alors attendez le 22e siècle…



11 réactions


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 17 septembre 2018 16:11

    Excellent article. Mais le français est aussi de tous les pays du monde le plus « intellectuel » et parmi les plus exigeants. Alors, inévitablement, la déception est le prix à payer d’un idéal qui n’existe pas dans la réalité. Ma mère me disait souvent, borne ton bonheur à l’horizon de ton jardin (elle avait compris). Mais le français aime se complaire dans la mélancolie. Mourir de soif auprès de la Fontaine ...Il lui faut toujours ce qui est ailleurs,...


    • Impat Impat 17 septembre 2018 16:14

      @Mélusine ou la Robe de Saphir.
      « Mourir de soif auprès de la Fontaine ... ». Joli.


    • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 17 septembre 2018 16:20

      @Impat

      Au lycée j’avais eu 19 sur 22 pour avoir disserté sur le sujet. Trois personnes pleuraient dans la classe. Même mon professeur était ému. Relatant une histoire vécue et romancée. De l’art du Spleen. Et si c’était là que se trouvait AUSSI le nectar,....qui en contre-partie nous donne l’excellence dans la création,....A vous de répondre,....ou de tenter,....

    • Arogavox Arogavox 17 septembre 2018 20:07

       Pitoyable ! Toutes ces envolées pour entériner un contresens effectif, mais fort mal analysé, fomenté sur le mot ’égalité’ prôné par notre Constitution française.

        L’égalité en dignité, sous-entendue par notre devise « liberté, égalité, fraternité », suite à l’abolition des caste (non égales en dignité) des noblesse/clergé/tiers état abolis par La Révolution Française, 
      est un idéal bien plus premier et fort que la seule « égalité en droit » qui ne fait qu’en découler !
        
       Bien sûr, une propagande sournoise, ou bien une confusion innocente ont depuis fort longtemps travaillé à cette supercherie rhétorique, qui a réussi à travestir auprès des fainéants, le sens du mot ’égalité’ (en dignité) en cette ineptie de « mêmeté » sous-entendue par l’oxymore "égalité des chances’ ou cette réduction à une fallacieuse recherche de simple équité.
       Mais se limiter à cette bévue ressemble plus à un lapsus, ou pire, à une complicité avec le contresens prétendument démasqué, qu’à une réelle volonté d’apporter un éclairage constructif.
      (Pire que de ne rien dire, cela tendrait à dissuader les efforts de ’sapere aude’ sur un problème prétendument résolu ... pour mieux noyer le poison)


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 17 septembre 2018 16:21

    19 sur 20 (lapsus) 22 je pense n’existe pas encore dans les notations,...


    • Impat Impat 17 septembre 2018 16:43

      @Mélusine ou la Robe de Saphir.

      Vous ajoutez une origine à ce phénomène. Peut-être avez-vous raison. Mais je crains d’y voir trop d’optimisme. Les Français excellent en effet dans la création, toutefois ils ne sont pas uniques sur ce podium. Alors qu’ils sont bien champions du monde pour souffrir de ce poison du mythe égalitaire.

      PS. Si, hélas, le 22 semble parfois présent dans les « surnotations » de l’école actuelle. Mais bravo pour votre vrai 19 !


  • Cateaufoncel3 Cateaufoncel3 17 septembre 2018 18:27

    Pour ma part, je pense, depuis quelques années, que l’égalité, c’est la guerre, et que l’harmonie , c’est quand la main du dominant est légère au dominé.


    • Impat Impat 17 septembre 2018 18:44

      @Cateaufoncel3

      En indiquant cependant que l’inégalité, nécessaire et souhaitable, ne se résume pas à des rapports dominants/dominés. Ou alors il faut préciser que nous sommes tous dominants en certains domaines, dominés en d’autres. Et surtout que nous sommes tous différents.


    • Cateaufoncel3 Cateaufoncel3 17 septembre 2018 18:58

      @Impat

      « ...nous sommes tous dominants en certains domaines, dominés en d’autres... »


      Ca évidemment. Ce clivage, on le rencontre partout, à commencer par le couple, où ce n’est toujours celui qu’on croit qui domine, la famille, où c’est parfois, le gosse qui est le dominant. On parle d’enfant tyran, et sa main est très lourde.

      Et si je parle de main légère, c’est que nous la vivons tous, comme la main lourde, là où il y a des hiérarchies.

  • eddofr eddofr 18 septembre 2018 14:47

    L’inégalité, ça se mérite ... ou ça devrait !


    Il n’est rien de plus satisfaisant que de voir le meilleur réussir.

    Suis-je jaloux du footeux de service ou de la Diva de Banlieue ?

    Non, ils méritent ce qu’ils reçoivent.

    Suis-je jaloux de Bill Gates, d’Elon Musk ou de Larry Page ?

    Non, ils méritent ce qu’ils possèdent.

    Suis-je quelque peu désappointé devant le succès, relatif, d’une Paris Hilton ou d’une Kim Kardashian ?

    Oui, mais ce ne sont pas elles qui me déçoivent, ce sont leurs « Idolâtres ».

    Suis-je révolté de voir les représentants du peuple se croire et se comporter comme s’ils étaient au dessus du peuple ?

    Oh, que oui !

    Suis-je révolté de voir le sain cortège de règles équilibrant le rapport de force entre les classes être soigneusement décousu et arasé pour laisser tout pouvoir de décision et d’oppression à la toute puissance du Fric ?

    Oui.

    Pourquoi n’y a-t-il pas de Bill Gates, d’Elon Musk ou de Larry Page en France ?

    Pas parce que nous sommes plus con que les américains.

    Mais parce que nos soit disant lois « libérales » ne sont écrites qu’en faveur de ceux qui ont déjà l’argent et pas en faveur de ceux qui ont les idées pour le gagner « à la loyale ».



  • Ciriaco Ciriaco 18 septembre 2018 21:32
    Le droit républicain est un droit institutionnel. Le droit a des aspects politiques, l’égalité en est un et je ne vois pas en quoi il faudrait le rejeter : voudriez-vous des institutions différenciées et qu’on les appelle, comme un illusionniste perfide, « individualisées », pour finir d’acquiescer à la déconstruction de principes dont vous semblez ignorer qu’ils sont, et sans hasard, le fruit de siècles de pensée auxquels il faut rapporter le buzz qui en tient lieu ?

    Mais puisque vous vous positionnez en fait sur un droit non politique mais philosophique, celui de la reconnaissance mutuelle, réfléchissons-y un peu plus profondément qu’à l’emporte pièce.

    J’ai été très supris par l’aspect viral du terme « jalousie ». Je me suis demandé comment il était possible de confondre à ce point un sentiment de rejet moralement fondé et un vice. Si ce n’est pas une méconnaissance et par, en fait, une ignorance de classe se démocratisant.

    Car il faut remarquer d’abord que ce genre de terme s’est répandu de haut en bas dans le champ lexical politique. Des sociologues comme Serge Paugam (qui n’est pas un bolchevique) en analysant la pensée des classes sociales aisées, au pouvoir, objet de considération et aux moyens, donne à comprendre les racines de ce genre de phénomène.

    Par ailleurs et à la manière dont vous avancez la portée de la France ou le sentiment, fondamental, d’appartenance, vous pourriez réfléchir, sur ce même plan anthropologique, aux conséquences d’une structuration permanente et ultra-symbolique (c’est-à-dire pénétrant cette autre chaire de l’homme) de l’individualisme.

    Où trouve t-on en effet les aspects holistes, fondamentaux à l’équilibre de tout être humain ?

    Principalement éjecté hors social : dans l’évènement. Temporaire et instable.

    Vous pourriez donc aussi vous interroger sur la condition de compétition à l’intérieur de la société de l’information ; sur sa fréquence (24/24), sur la puissance de ses techniques d’influences (celles du cinéma, du design et de l’anthropologie culturelle), sur sa condition d’efficacité (celle de produire une adhésion à moindre coût ; hubris, drame, facilité) et sur son périmètre (le pays, le continent, le monde : aussi continuel que constamment hors portée pour un sujet).

    Comment parler de détresse ou d’anomie sans désigner des injonctions paradoxales profondes et permanentes, injonctions qui ne sont pas simplement de l’ordre des discours conscients mais qui participent d’un climat généralisé, aussi noir qu’il est diffus.

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