Braconnage : une pratique traditionnelle de chasse
Le 25 décembre 1870, quatre-vingt-dix-neuvième jour du siège de Paris, le chef du Voisin un restaurant réputé de la rue Saint-Honoré (Paris), propose à sa clientèle huppée de la viande : d'éléphant - d'âne - de chameau - de kangourou - d'ours et de loup, animaux provenant de la ménagerie du Jardin des plantes..., tandis que les bistrotiers servent du : cheval, chien chat et rat arrosé d'une « piquette ». La famine de 1870 va marquer les esprits, la chasse et le braconnage se généraliser.
La braconne est une contestation du droit de chasse accolé au droit de propriété. Le braconnier considère les richesses de la nature comme un bien commun appartenant aux locaux surtout en période de pénurie. Autres raisons invoquées pour cette « chasse-roturière » : la petite-chasse (lapin, blaireau, etc.), l'éradication d'animaux qui dévastent les récoltes (le virus de la myxomatose fut introduite en 1952 par un médecin pour éradiquer la prolifération des lapins sur son domaine), réduire les prédateurs, l'impécunieux qui ne peut acheter le permis de chasse, une vengeance (le braconnier laisse ses prises pourrir sur place).
Des hommes sont devenus « braco » pendant la Première et Seconde Guerre mondiales suite aux restrictions alimentaires. Braconniers et contrebandiers ont fait bénéficier la résistance de leurs talents en servant de messagers ou en ravitaillant les maquis. En cette période de « vaches maigres », le produit du braconnage améliorait l'ordinaire (animal-aliment) et le surplus finissait en bocaux et en saucisses. Le braconnage ne consiste pas à chasser sans permis ou en dehors des périodes d'ouverture, il concerne aussi le mode de chasse (engins prohibés, collets, filets, pièges, leurres, drogues, furet, armes prohibées, calibres, piège à feu, viseur nocturne, silencieux), la capture d'espèces protégées (trafic du chardonneret élégant dans le Nord, œufs de tortues fluviatiles en Guyane) pour être consommées comme protéines animales ou pour leurs vertus supposées.
Il existe pas moins d'une quarantaine techniques cynégétiques : billebaude, l'approche, la battue, à courre, en bordure, la liche, etc. Le braconnage présente la particularité d'en combiner plusieurs, les techniques utilisées reposent sur : la nature du gibier - le chien pour déloger ou rabattre le gibier - le terrain : plaine, forêt, montagne, jungle (Guyane) - l'accessibilité de la zone - la dotation en matériel (arme, appeaux, appelants, lunette de tir, « silencieux », sifflet à ultra-son) - moyen de transport (pédestre, deux-roues, véhicule motorisé ou embarcation) - capture sélective ou aveugle - la surveillance des gardes - l'écoulement des prises (local, international).
Le braconnier est souvent un autochtone qui sait se fondre dans la nature, qui a une bonne connaissance du biotope et des habitudes animalières, souvent un taiseux. Comme nombre de contrebandiers ou ramasseurs de champignons, il se méfie du vantard qui « crache » facilement le morceau aux « pandores ». Les braconniers savent faire la distinction entre celui qui opère pour sa consommation personnelle, le « viandar » qui revend ses prises aux restaurateurs, bouchers ou charcutiers du coin, et l'occasionnel qui agit par nécessité.
Des chasseurs reprochent à ces concurrents le côté astucieux et la capture indifférenciée (espèce, femelle gravide, petit), mais la différence est ténue entre la chasse licite et illicite. Le chasseur ne se perçoit pas comme un prédateur, il participe à l'équilibre « agro-sylvo-cynégétique » et invoque le hasard de la chasse, la rencontre de l'animal avec le fusil, passant sous silence la chasse au mirador, celle du bruant ortolan une espèce protégée, etc. Le chasseur à la différence du braconnier, est souvent un amateur de trophées, une patte en guise de porte-fusil (le nerf est étiré avec une ficelle pour la plier et mise à sécher avant d'être fixé sur un écusson), un animal « empaillé », les cranes placés dans un nid de fourmis pour les débarrasser des restes de chair avant de les blanchir à l'eau oxygénée et de les suspendre...
Le braconnier est prudent et multiplie les précautions, le fusil est transporté démonté, la crosse dissimulée d'un côté et le canon de l'autre, soit l'arme a été cachée préalablement in situ dans un arbre creux, sous une roche, dans un tas de bois ou une cache spécialement aménagée (le lecteur désireux d'en savoir plus est invité à se reporter à l'article « cache en pleine nature »). Le colleteur peut prélever un morceau de fil de fer à partir du grillage d'un enclos ou d'une propriété de chasse pour ne pas avoir à le transporter sur soi tout en contribuant à en masquer l'odeur humaine. Le braconnier se déplace de couvert à couvert silencieusement, écoute, observe, se déplace contre le vent et tient compte de l'éclairage lunaire (le lecteur peut trouver un calendrier de l'éclairage lunaire dans le TTA 115) pour ne pas alerter le gibier et/ou le garde-chasse, voire de donner dans une souricière.
Le gibier est plus en alerte en début de soirée qu'au petit matin lorsqu'il regagne son abris. Le brouillard retarde la rentrée des animaux et facilite l'approche. L'approche doit se faire au plus près, à bonne distance et contre le vent afin que le gibier n'évente le danger (la distance de fuite varie d'une espèce à l'autre, elle est rarement inférieure à dix fois la taille du gibier). L'affût (petit calibre, 1/2 charge, arbalète, arc) nécessite de se placer sur le passage du gibier, le tireur se place à une vingtaine de mètres (à droite pour un droitier) de la coulée. Une coupe claire pour dégager un angle de tir, des herbes couchées, coupées, rabattues, des branches enchevêtrées peuvent trahir le poste de tir. L'agrainage pour attirer et canaliser l'errance du gibier est indiscret, on lui préfère le lieu où le gibier a pour habitude de venir s'abreuver et une nuit de pleine lune. Par nuit pluvieuse ou au sortir d'une hivernation (à ne pas confondre avec hibernation), le gibier peut être approché au plus près (contre le vent). S'il est fait usage d'un projecteur, l'animal ébloui peut se figer ou foncer au petit bonheur la chance !
Un animal blessé qui s'échappe peut exiger plusieurs heures de recherche au risque de le perdre et d'alerter le garde-chasse. Le tir accompli, le braconnier prend des points de repère précis surtout s'il s'agit d'un tir à longue distance. Un animal blessé mortellement, souffre et représente un danger, il doit être achevé d'un second tir. L'animal est ensuite : saigné, vidé, voire écorché (dépouillé) et débité en morceaux (cuisses, épaules, carré de côtes, selle, cou) avant d'être transportés. La peau et les abats doivent être enterrés, la peau est difficile à faire disparaitre et la conserver trahirait le braconnier. Une remarque conserver un bois en guise de trophée peut trahir une chasse hors saison (bois de mousse, renouvellement).
Le piège universel n'existe pas, tout piège doit être adapté à l'espèce ciblée : collet, glueau, assommoir, piège à détente, « boîte », filet, hameçon, fosse, faux nid (pour s'en approprier les œufs ou la couvée), mare artificielle, bouchage de terriers, enfumage. Le premier semestre de l'année est plus propice au braconnage, manque de nourriture, reproduction, les jeunes inexpérimentés donnent plus facilement dans le piège, avec l'abondance de nourriture les captures se réduisent.
Pour le collet (nœud coulant qui étrangle l'animal), il faut sélectionner l'emplacement correctement et en adapter les dimensions (diamètre et hauteur par rapport au sol) à l'espèce ciblée. Les animaux possédant un sens olfactif très développé, le braconnier évite d'emprunter la coulée ou la sente pour aller poser son matériel, il approche l'endroit perpendiculairement en évitant d'en modifier l'environnement (herbes écrasées, brindilles cassées, de cueillir fruits ou baies) et se frotte les mains avec des plantes odoriférantes (thym fougère, menthe sauvage) avant de manipuler l'appareil. L'idéal est d'en exposer les matériaux à l'air libre pendant des mois avant leur utilisation. Le collet doit être relié à un point d'ancrage capable de supporter les tractions de l'animal se débattant. Il existe deux pratiques, un piquet fiché en terre ou à arbre, soit à un solide bâton ou bûche. Si l'animal s'échappe, le bâton finit par se bloquer entre deux arbres (inapplicable en terrain non boisé). Certains braconniers créent une trace odorante pour guider l'animal jusqu'au piège en prenant pour point de départ un lieu habituel fréquenté par l'animal.
Le braconnier séjourne le minimum de temps sur place. Posé le soir, il lui faut revenir relever le piège au petit matin. Les animaux sont le plus souvent silencieux, ils ne crient que lorsqu'ils sont pris dans un piège ou blessés... La viande d'un animal pris au collet ne supporte pas d'attendre plusieurs jours, la putréfaction en rendrait la chair incomestible. L'hiver, le gel peut entraver le fonctionnement d'un piège. Si l'appareil est trop visible, cela peut signifier qu'il a été posé par un novice ou que l'on est en présence d'un leurre. Le braconnier qui utilise l'agrainage commence par appâter sans poser de pièges afin d'habituer l'animal à trouver sa pitance, lorsqu'il a la certitude de la présence de l'animal, il pose le piège.
Cette technique de chasse n'intéresse plus que les militaires et les survivalistes tend à disparaître : exode rural - réduction de la consommation de viande - la venaison ne correspond plus au goût du consommateur (la viande revendue a souvent séjourné dans l'eau courante plusieurs jours afin d'en améliorer les qualités gustatives) - le remembrement rural a modifié le biotope - le plan de chasse celui du grand gibier - l'examen du permis de chasse (75-76) a écrémé les rangs - le renforcement des gardes-chasse fédéraux - l'animal domestique a remplacé la compagnie d'un animal sauvage "apprivoisé" - arrivée de néo-ruraux - l'interdiction de la naturalisation des espèces protégées - la limitation des espèces chassables (89 espèces) - risque sanitaire, plus de 6.700 nouveaux cas de borréliose de Lyme (virus multihôtes) pour l'année 2018 et plus des deux tiers des maladies émergentes sont des zoonoses (la plupart des pangolins saisis par la douane chinoise étaient malades).
La consommation de viande sauvage n'est jamais exempte de risques : maladies communes aux espèces sauvages et d'élevage (Le virus de la peste porcine africaine transmit au porc d'élevage a probablement pour vecteur les tiques du sanglier) - hybridation d'animaux échappés d'enclos avec une espèce sauvage - relâchement de nouveaux animaux de compagnie dans la nature - déchets ou viscères porteurs de la tuberculose ou trichinos abandonnés sur place - chien de chasse contaminé - évasion d'animaux d'un parc animalier ou enclos d'élevage (environ 100.000 évasions).
En 2018, la douane française a procédé à 2.000 saisies (17 tonnes) de « viande » de brousse aux aéroports d'Orly et de Roissy ! Si le troisième samedi de chaque année correspond à la Journée mondiale du pangolin, 2020 restera l'Année du pangolin indubitablement. L'animal découvert se roule en boule et le braconnier n'a qu'à se courber pour le ramasser (49 tonnes de pangolin saisies en Afrique)... Acheté 5 euros sur un marché africain, il est rapporté par des « mules » pour être revendu 75 euros (le singe, le porc-épic ou l'agouti 50 euros) dans des arrières-boutiques du 18° arrondissement de Paris !
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