Bruno n’émet plus..
Et il n’est pas prêt d’émettre à nouveau Bruno, le vieux centurion mythique ayant passé sa vie au service de la France, de « sa France », à en juger par les informations en ce jour du 22 juin 2010.. Mais il le savait bien Bruno, Aube, Bigeard.. Il le savait parfaitement.
Debout, immobile, dans la cour d’honneur des Invalides, ce 22 juin 2010, au milieu de quelques centaines de vieux paras venus le saluer pour son dernier voyage, je me rappelai quelques bonnes sorties.
« Je vais casser ma pipe et je ne serai pas mécontent. Car j’ai trop aimé la France pour accepter ce qu’elle est devenue. »
Nulle tentative ici de brosser une énième fois sa carrière, un destin que quelques fidèles auront à coeur, inlassablement, de perpétuer.. Nulle reprise des sempiternels débats sur les faits et actes. On se reportera pour revoir un peu de sa vie à l’excellent texte de Sylvain Rakotoarison sur Agoravox ou même à ce qu’écrit – non sans esprit partisan - le professeur Chems Eddine CHITOUR dans lexpressiondz.com, ou encore se reporter aux sources de qualité proposées par Wikipedia et indiquées ci-dessous.
Bigeard a compté dans l’histoire de la France, ou de ce qu’il en reste, pendant les 60 dernières années. Il comptera encore bien plus dans le futur, à n’en pas douter, il est de la taille d’un Maréchal d’Empire, d’un de Gaulle presque, mais condamné à une grandeur différée, et à qui le destin n’aurait pas épargné les pièges d’une herméneutique du bien et du mal au quotidien..
Sur sa stature, les versions officielles s’accordent, comme en témoigne ce communiqué de "Vivre la Défense".
"Chers adhérents et sympathisants,
Nous sommes tristes car un homme, un militaire, un français qui a combattu pour la France n’est plus.
Il avait démarré simple appelé, il est devenu Officier Général, il avait sauté sur Dien Bien Phu et servit son pays.
Le Général Bigeard restera dans nos coeurs et nous ferons en sorte que sa France, qui est aussi la notre, ne disparaisse pas. "
"La France.. Ce qu’elle est devenue". "Qu’elle ne disparaisse pas". Là est l’essentiel.
La question désormais posée par le dernier vieux "con" pétri d’amour pour la France est totalement là. Elle envahira l’ensemble du champ politique. Même s’il n’émet plus désormais, la puissance symbolique du héros subalterne, son énergie visionnaire, son accointance avec la dimension tragique des choses et de la condition humaine viennent - ou viendront immanquablement - prendre le relais.
Il a du en chier, comme on disait chez les paras, Bigeard, dés le début, toute sa vie. Il a commencé saute-ruisseau, à la Société Générale. Ou petit employé, enfin, pas de quoi faire rêver. Là commencent aussi les symboles, les coïncidences historiques .. A la Société Générale, comme Kerviel, qu’on juge en ce moment, qui a les honneurs du Spectron à longueur d’émissions. Un génie malfaisant à dit son patron. Mais qui a les faveurs des téléspectateurs et des bonimenteurs, lui le trader. Pas une minute pour Bigeard à « France 2 » ce soir.
La capacité à évaluer, à décider justement et rapidement, il a du l’acquérir très tôt Bigeard. Son père était aiguilleur à la Compagnie des chemins de fer de l’Est, c’est dire. Pas de quoi vous injecter un amour définitif de la France à première vue. Aiguilleur aux chemins de fer de l’Est, c’est pas écuyer du roi Philippe Auguste, comme pour son célèbre prédécesseur en gloire militaire, Charles de Gaulle .. Pas de quoi faire d’un gamin de Toul un affamé absolu des idées de Nation et de Patrie.
Vraiment pas de quoi.. Sauf à écarter les correspondances symboliques que l’esprit le moins attentif ne manquera pas de constater. Car, à l’école, il a du en entendre parler de son illustre compatriote lorraine ; il a du l’imaginer avec précision celle-là, s’imprégner de ses images, de ses convictions, de ses voix, de ses ferveurs. Je ne parle pas de Nadine, bien évidemment, à laquelle vous auriez pu penser malicieusement, tant elle était présente aux funérailles, pimpante, souriante, enjouée, dans la Cour d’honneur des Invalides, comme sortie d’un lipdub de l’UMP.
Non. Je parle de Jeanne. La Pucelle. Comme elle, Bigeard, il est des Marches de la France, d’une de ces provinces fidèles, Toul est proche de Domrémy. Comme elle il croit très tôt en son destin (il faut y croire n’est-ce-pas, pour s’engager homme du rang à 20 ans). Son destin d’ailleurs, plus tard, il en fera de sombres et belles chansons pour ses guerriers. Comme Jeanne, avec la France, pour la France, c’est l’amour absolu, fou, obsessionnel. Et puis Saint-Michel, l’archange ailé, le Saint-Patron, sur les bannières, sur les poitrines, aux épaules.. Comprenne qui pourra..
Fille de laboureur, fils d’aiguilleur. L’essentiel de Bigeard, c’est d’être chef de guerre. Comme Jeanne. Et puis, tous les paras n’ont-ils pas une pucelle sur le cœur ?
Jeanne faisait prier ses troupes avant de les mener au combat, Bigeard fera de la « prière du para » un chant quasi mystique..
Nous n’en finirions pas. Bigeard aura ses Michelet et ses Quicherat.
Le 22 juin, aux Invalides, une liturgie de restriction
La foule n’était pas immense ce 22 juin à 11 H dans la cour d’honneur des Invalides. A droite en entrant, quelques formations militaires, des parachutistes principalement, en armes, et une poignée d’officiers d’active. A gauche, quelques centaines de civils représentant les associations d’anciens et des réserves, vieux paras des dernières guerres coloniales à qui il manquait parfois une jambe, un bras, anciens officiers, vieux et anciens soldats.
Silence et recueillement. Les « officiels » admis en la Cathédrale Saint-Louis des Invalides se succédaient sur l’allée centrale, jusqu’aux marches. Fillon, Giscard, Morano ont été déposés à l’entrée de l’édifice.
Honneurs militaires à l’arrivée de la dépouille du vieux soldat.
Entre musiques militaires, te deum et oraisons funèbres, Marseillaises rondement enlevées, nous avons pu chanter..
- Si tu crois en ton destin
- Si tu crois au lendemain
- L’ami faut pas hésiter
- ..
Et encore, poussé du fond des tripes, notre mythique et si beau chant écrit par le poète Ludwig Uhland en 1809 et mit en musique en 1825 par le compositeur Friedrich Silcher : J’avais un camarade.. Des musiques de Schubert, des marches militaires, des chants révolutionnaires leur courraient en la têtes mes camarades.
Mais aucune parole foudroyante et superbe, pas d’invocation à celui qui règne dans les cieux et de qui relèvent tous les empires , pas de rappels aux restes des voix qui tombent et des ardeurs qui s’éteignent. Bossuet n’est plus, remplacé par quelque préposé de bonne volonté.
Pourquoi un seul micro pour cette immense cour d’honneur ?
Pourquoi pas une salve ?
Pourquoi des effectifs militaires aussi mesurés ?
Un discours religieux inaudible et inattendu (où fut évoquée « la quatrième dimension ».. Incompréhensible ?)
Un exercice de casuistique "humaniste"
pas de jeunes..
Des vieux en tenue camouflée, rangers pas cirés, coupe de douille style chanteurs de variété.
Nous étions loin des cimes où l’air est plus pur, mais plus rare, et où suffoquent les âmes frêles.
La France, ce qu’elle est devenue..
Il suffit de prélever au hasard un ou deux échantillons, de produire quelques citations, parmi cent mille dont le sens est concordant. La prolifération anarchique du chaos, l’irruption massive de l’irrationnel dans le débat public, l’amoncellement des menaces et l’irresponsabilité toute puissante de la société marchande (à l’occasion notamment du « désastre national » infligée par « l’équipe de France ») se conjuguent pour dessiner les contours d’une aggravation sans précédent des pathologies du pays.
Abyssale confusion sur les notions de nation, d’identité nationale, patriotisme dévoyé, langage prostitué, toute puissance de l’industrie de la réclame et des entrepreneurs de l’amusement et de la distraction public, innocent et insignifiant jeu de football métamorphosé en hystérie "nationale".. vous font d’un malheureux pays la peinture achevée.
Et le spectron, la presse stipendiée enchaînent. Tout le système politique de Zébulon lui-même, les « parlementaires », les « Experts » reprennent et commentent à l’envi la sombre réalité, l’amplifie, la magnifie, sans lui redonner son sens. Des dizaines de milliers de jeunes au Trocadéro, des centaines de drapeaux, des pleurs, des rages, des litanies sur l’ « humiliation de la Nation », des heures et des heures de télévision, des milliers de pages ineptes tartinant à l’infini l’émotion mise à la portée des caniches zombifiés.
« La France a perdu » ?
Oui la France a perdu.
- Et même que les Chinois sont obligés de manifester à Belleville pour déplorer la violation de leur droit et les menaces qui pèsent sur leur sécurité.
- Perception du problème au travers d’une citation de Libération du 21 juin : « Florence habite le 19e arrondissement, contigu à Belleville : « Cela fait des années que ça dure, depuis 2002. J’ai assisté plusieurs fois à des agressions, à des insultes… Trois fois, en 2003, j’ai appelé la police qui a refusé d’intervenir. Ça fait longtemps qu’ils sont au courant mais qu’ils ne font rien. »
- Sur un blog, à propos de Finkelkraut : "Celui qui affirme ne pas aimer ceux qui n’aiment pas la France souhaite publiquement la défaite de l’équipe de France. Une belle leçon de patriotisme, en effet."
- Et la réponse tout aussi inspirée d’un lecteur : "Toutes mes pensées vont vers les familles de ces joueurs victime d’un profonde injustice et eux bien sur,je pense trés fort à eux." (sic)
Meaningless.
Ah ! Une dernière sortie du « Héros accessible », que nul ne songera à lui reprocher : « J’en fais un (de bouquin – ndr) qui se lira après ma mort. L’éditeur est d’accord. Si je claque, il le sort. ».
Et si Bruno émettait encore ?
- Fall, Bernard B. (1966), Hell in a very small place, Da Capo Press (published 2002), ISBN 978-0-306-81157-9 ;
- Horne, Alistair (1977), A Savage War of Peace : Algeria 1954–1962, New York Review Books (published 2006), ISBN 978-1-59017-218-6 ;
- Singer, Barnett ; John Langdon (2004), Cultured Force : Makers and Defenders of the French Colonial Empire, The University of Wisconsin Press, ISBN 0-299-19904-5
- Windrow, Martin (2004), The Last Valley : Dien Bien Phu and the French Defeat in Vietnam, Weidenfeld & Nicolson, ISBN 0-297-84671-X ;