vendredi 18 novembre 2011 - par Paul Villach

Candide ou madré, le regard d’Europe 1 sur l’information ?

 Une récente campagne publicitaire de la radio Europe 1 présentait un de ses journalistes assis de trois-quarts souriant gentiment aux passants. Le procédé de l’image mise en abyme feignait ainsi de créer une relation interpersonnelle, puisqu’une question était posée : « Qui porte chaque matin un regard aiguisé sur l’info sans jamais être rasoir ?  » lisait-on. C’était le journaliste exhibé, bien sûr !

Un jeu de mots

Europe 1 tentait dans le même temps de retenir l’attention par l’humour d’un jeu de mots. L’association des termes « regard aiguisé  » et « rasoir » créait un paradoxe si on les prenait dans leur sens propre mais celui-ci trouvait aussitôt sa solution par leur sens figuré : « aiguisé » qui veut dire « rendu tranchant  » comme un « rasoir », signifiait aussi « pénétrant » quant il s’agit d’un regard, et « sans être rasoir  » était une variante imagée de « sans être ennuyeux  ». Europe 1 vantait donc la capacité de son journaliste à faire comprendre « l’info » sans pour autant ennuyer l’auditeur. Pourquoi pas ?

Une contradiction

L’ennui, cependant, était que la station démentait en acte ce qu’elle affirmait en paroles : elle manquait singulièrement de pénétration en parlant ainsi de « l’info », comme si le mot était aussi facile à comprendre. Qu’entendait-elle par ce mot ?

Il est vrai que l’usage erroné qu’en font les médias, masque habilement le problème posé et brouille les pistes. Par le seul emploi de l’article défini «  l’  », l’objet « info » est présenté comme une réalité bien connue de tous comme l’est par exemple « l’eau » coulant du robinet. « L’info » serait, à en croire Europe 1, cette masse quotidienne de nouvelles gratuitement et exhaustivement disponibles dont les médias sont les producteurs ou diffuseurs. Ceux-ci ne se différencieraient alors que par leur capacité à faire comprendre ou non toutes ces nouvelles. L’intelligence de leurs journalistes, au «  regard  » plus ou moins « aiguisé », créerait des distinctions » entre les médias.

Deux illusions structurelles de l’univers médiatique

On ne conteste pas qu’il y ait des journalistes plus intelligents et plus pédagogues que d’autres. Mais cette définition de « l’info » sur laquelle ils «  (porteraient) un regard  » plus ou moins « aiguisé », correspond-elle à la réalité ? Hélas non ! Sans en avoir l’air, Europe 1 entretient deux des illusions structurelles de l’univers médiatique et, ce faisant, prouve que son regard est moins aiguisé qu’elle ne le prétend.

1- L’illusion de la gratuité de l’information

L’une est l’illusion de la gratuité de l’information disponible. L'information a l’air, en effet, d’être aussi accessible que l’eau coulant du robinet, puisqu’ il suffit d’appuyer sur un bouton pour l’obtenir de son téléviseur ou de sa radio. Or rien n’est moins fondé : l’information n’est pas gratuite, et ce, dans les deux sens du terme.

- Au sens propre, d’abord, sa collecte coûte très cher : les moyens technologiques nécessaires sont onéreux et le personnel qui s’en sert ne l’est pas moins.

- Au sens figuré ensuite, une information n’est jamais donnée ou obtenue à la légère. Elle est filtrée sous la contrainte des motivations et donc de l’autocensure de l’émetteur puisque, selon le principe régissant « la relation d’information », nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire. En conséquence, contrairement à ce que soutiennent les médias, toute information, tend à influencer le récepteur y compris quand elle se réduit à un silence. Un proverbe enregistre cette donnée : « Qui ne dit mot, consent  ». De même, le silence gardé par le président Mitterrand sur sa maladie au cours de son premier septennat ne lui a-t-il pas permis d’en briguer un second que ses adversaires lui auraient interdit d’espérer s’ils avaient su qu’il était si gravement malade ?

2- L’illusion de l’exhaustivité de l’information

L’autre illusion est celle de l’exhaustivité de l’information. Grâce aux prodiges de la technologie électronique, fait-on croire, toutes les informations seraient désormais disponibles immédiatement et non plus entravées par la distance ; cette transparence ferait du monde une sorte de « maison de verre » offerte dans tous ses recoins à la contemplation de tous.

Or, si l’on accepte le principe qui régit « la relation d’information » cité plus haut, il faut bien reconnaître que le secret est la part obscure de l’information que tout être vivant s’attache à préserver pour ne pas s’exposer inutilement aux coups d’autrui. Et si chaque individu obéit à cette règle, il en est de même des groupes, des institutions, des autorités et des États qui gardent jalousement leurs secrets. « L’illusion de l’iceberg » qui cache plus qu’il ne montre, est plus fidèle à la réalité que « la maison de verre ».

« L’info », un terme générique trompeur

« L’info » dont parle Europe 1 est, en fait, un terme générique trompeur, car l’on doit distinguer deux grandes variétés d’informations très différentes :

- L’une est l’information donnée volontairement ; elle n’est jamais fiable parce que justement elle est livrée volontairement, c’est-à-dire passée, avant d’être transmise, au crible de l’autocensure de l’émetteur guidé par ses intérêts ;

- et l’autre est l’information extorquée  : obtenue par un récepteur à l’insu ou contre le gré de l’émetteur, elle est plus fiable que l'autre. Elle échappe, en effet, à l'autocensure de l'émetteur par divers moyens qui vont de l’enquête critique méthodique au chantage en passant par le quiproquo de l’infiltration quant un journaliste ou un agent de renseignement se fait passer pour quelqu’un d’autre auprès de ceux dont ils veut obtenir des informations à leur insu et contre leur gré : on se souvient du livre de Florence Aubenas, « Le quai de Ouistreham » (1) qui relate son enquête sur les travailleurs précaires dont elle a partagé la vie incognito pendant plusieurs mois pour découvrir les méthodes des employeurs ou des organes chargées en principe de faciliter leur recherche d’un travail.

Or, sur quelle variété d' "info", la radio Europe 1 prétend-elle porter un "regard aiguisé" ? Elle ne le dit pas !

 

Sans avoir l’air d’y toucher, la publicité d’ Europe 1 propage donc deux illusions structurelles de l’univers médiatique en faisant croire que « l’info » est une masse d’informations à la fois exhaustive et gratuite, alors qu’il n’en est rien. On n’en est pas étonné. Cette conduite est conforme à la mythologie de l’information diffusée par les médias qui nient obstinément l’influence qu’exerce sur le récepteur toute information livrée ou gardée secrète. Le « regard aiguisé  » que la radio prête à son journaliste, ne l’est toutefois pas assez pour se rendre compte de son erreur, à moins qu’il ne s’agisse que d’un leurre pour tromper l’auditeur. Paul Villach 

(1) Paul Villach, « Le quai de Ouistreham » de Florence Aubenas : le courage de "l’information extorquée"  », AgoraVox, 24 février 2010.



2 réactions


  • Taverne Taverne 18 novembre 2011 14:40

    Madré de dios !


  • Vipère Vipère 18 novembre 2011 20:20

    Paul Willach


    L’information revisitée par les humoristes est nettement plus savoureuse et pleine d’enseignement !

    Ils font fi du politiquement correct, nous livrent leurs émotions sur les évènenements, sans tabou, caricaturées à l’excès, souvent partagées par le téléspectateur qui s’interdit de penser tout haut, le mêmes ressentis qui sonnent plus juste que les informations livrées par le canal officiel.


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