Chaïm Rumkowski : le tyran du ghetto de Łódź
Au milieu du chaos de la Seconde Guerre mondiale, une figure émerge, controversée et énigmatique : Chaïm Rumkowski. À la tête du ghetto de Łódź, en Pologne, il exerce un pouvoir sans partage, luttant pour la survie de sa communauté. Décrié par certains, adulé par d'autres, son histoire tragique et complexe continue de fasciner et de diviser.
Un homme providentiel ?
Né en 1877 dans une famille juive de Russie, Chaïm Rumkowski, homme d'affaires raté et sioniste, est placé par les nazis à la tête du Judenrat, le conseil juif du ghetto de Łódź ("Litzmannstadt" en allemand). Nous sommes en octobre 1939. Il a 62 ans. Très vite, il réorganise complètement l'administration du ghetto. Il met en place des ateliers de production, des écoles, des hôpitaux et des services sociaux. Le ghetto devient un centre industriel important pour l'économie de guerre allemande. "Rédemption par le travail" : telle est sa devise.
L'homme fort du ghetto s'appuie sur une police juive zélée et une administration totalement dévouée. Il instaure un véritable régime autocratique, n'hésitant pas à éliminer ses opposants. Son but ? Assurer la survie du plus grand nombre en transformant le ghetto en une vaste entreprise productive. Il parvient dans un premier temps à limiter les déportations, arguant de l'utilité des Juifs pour l'effort de guerre allemand.
Mais le salut par le travail a un prix : des conditions de vie et de travail très dures, la promesse d'une mort différée. La population du ghetto, d'abord reconnaissante, voit peu à peu son protecteur se transformer en véritable tyran. Patiemment, Rumkowski met en place les outils de sa propagande. Il fait frapper des monnaies et éditer des timbres à son effigie.
Le roi du ghetto
Rumkowski développe un véritable culte de la personnalité. Il se fait appeler "le roi Chaïm". Il apparaît comme le sauveur, le guide, le seul capable de protéger les Juifs de Łódź. Les timbres à son effigie et les monnaies sont autant de symboles de son pouvoir et de son ambition. Cette attitude mégalomaniaque lui aliène une bonne partie de la population du ghetto.
Les plus fragiles, les malades, les handicapés, les vieillards et les enfants, sont les premiers sacrifiés. On leur reproche de peser sur la communauté. "Il faut que des feuilles tombent pour que l'arbre puisse vivre", justifie-t-il. La machine de mort nazie est en marche. Le "roi Chaïm" ne peut plus décider de rien et devient rapidement un pantin aux mains des Allemands.
Relations troubles et controversées avec les nazis
Rumkowski a des contacts réguliers avec les autorités nazies. Il négocie avec elles, cherche à obtenir des concessions, à sauver des vies. Mais il doit aussi faire face à leurs exigences, à leur brutalité. Les Allemands utilisent le ghetto de Łódź comme un laboratoire de la terreur. Ils testent leurs méthodes de contrôle et de manipulation. En 1941, le Reichführer-SS Heinrich Himmler visite le ghetto et c'est Rumkowski qui l'accueille, au milieu de nombreux officiers SS.
Le président du ghetto doit louvoyer en permanence, obéissant, exécutant très régulièrement les ordres les plus abjects. Il sait que sa vie et celle de son peuple sont suspendues à un fil ténu. Sa stratégie oscillant entre soumission et compromission lui vaut d'être haï par une grande partie des habitants du ghetto.
On lui reproche notamment d'avoir appelé les parents à livrer leurs enfants aux nazis, en 1942, pour être déportés. Il justifiera longtemps son geste, assurant qu'il fallait faire des sacrifices pour sauver ce qui pouvait l'être.
La liquidation du ghetto
En août 1944, alors que l'Armée rouge approche, les nazis ordonnent la liquidation du ghetto. Rumkowski, jusqu'au bout, tente de sauver ce qui peut l'être. Mais il est finalement arrêté par les nazis et déporté à Auschwitz-Birkenau, où il est assassiné le 28 août 1944.
Au moment de sa création, le ghetto de Łódź comptait environ 160 000 Juifs. C'était le deuxième plus grand ghetto de Pologne après celui de Varsovie. Sa population a fluctué au fil du temps en raison des déportations, des décès dus à la famine, aux maladies et aux exécutions, et de l'arrivée de Juifs d'autres régions. Par exemple, entre 1941 et 1942, près de 40 000 Juifs d'Europe centrale et 5 000 Tziganes y ont été déportés.
Au moment de sa liquidation en août 1944, il restait environ 68 000 habitants qui furent déportés vers le camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau.
Le personnage de Chaïm Rumkowski reste aujourd'hui encore très controversé. Certains le considèrent comme un collaborateur, un tyran qui a sacrifié son peuple pour son propre intérêt. D'autres le voient comme un homme pris au piège d'une situation impossible, ayant fait de son mieux pour sauver le plus de vies possible.