vendredi 30 septembre 2022 - par Juristes pour l’enfance

Changement de prénom de l’élève à l’école : la décision stupéfiante du Conseil d’Etat

Juristes pour l’enfance est dans la stupéfaction devant la légèreté et l’inconséquence avec lesquelles le Conseil d’Etat valide le contournement de la loi française et concrètement la procédure de changement de prénom.

Par un arrêt rendu hier, il a déclaré que la consigne donnée par la circulaire du 29 septembre 2021 à la communauté éducative d’utiliser les prénoms choisis par les élèves dans le cadre scolaire ne méconnaissait pas les dispositions législatives (Conseil d’État, 4è et 1ère ch réunies, 28 septembre 2022, n° 458403).

Cette décision méconnait la protection due à l’enfant : l’utilisation d’un prénom ainsi que le changement de prénom sont régis par le droit. En particulier, la procédure de changement de prénom a pour but de permettre l’expression d’un consentement libre et éclairé en connaissance de cause et de vérifier que les conditions posées par la loi sont remplies. En l’occurrence, s’agissant d’un changement de prénom chez un mineur, l’officier d’état civil vérifie que ce changement est conforme à l’intérêt de l’enfant, qu’il revêt un intérêt légitime et qu’il n’est pas contraire aux droits de tiers de voir protéger leur nom de famille.

Ainsi, en validant le choix d’un prénom d’usage par l’enfant, le Conseil d’Etat le prive de la protection et des garanties que la procédure doit lui assurer.

Le prénom d’usage n’a aucune valeur légale

La consigne donnée par la circulaire d’utiliser le prénom choisi par l’élève méconnait directement la loi qui a posé le principe que les prénoms, une fois inscrits dans l’acte de naissance, sont acquis définitivement et ne peuvent subir aucune modification sans une décision de justice (L. du 6 fructidor an II, art. 1er).

La coutume de se servir dans la vie courante d’un prénom d’usage ne figurant pas sur l’acte de naissance « n’a aucune valeur légale » ainsi que l’a reconnu le gouvernement français devant la Cour européenne des droits de l’homme alors même qu’il évoquait cette pratique à son profit pour justifier de refuser, à l’époque, le changement de l’état civil des personnes transsexuelles (Arrêt CEDH, 25-03-1992, n°13343/87, §57). Et la Cour européenne des droits de l’homme de constater que les prénoms d’usage « ne jouissent d’aucune consécration juridique » (§58).

L’utilisation d’un prénom d’usage est ainsi une coutume contra legem et ne peut donc être imposée aux tiers.

Ce n’est que s’il a été procédé à un changement de prénom à l’état civil, possible pendant la minorité, que le nouveau prénom s’impose aux tiers. Cette procédure de changement de prénom est prévue par l’article 60 du code civil.

Personne ne peut décider arbitrairement le prénom d’un enfant sans contrôle

L’ordre donné par la circulaire revient à entériner un changement de prénom de fait, alors que le droit prévoit ce changement de prénom pour un mineur selon une certaine procédure, en conformité avec un intérêt légitime (art. 60 al 4 C. civ), et en conformité avec l’intérêt supérieur de l’enfant (art. 57 C. civ).

En effet, de manière générale, le choix des prénoms n’est pas entièrement libre. Il n’est possible à quiconque d’arbitrairement décider quel sera le prénom d’un enfant sans un contrôle effectué par l’officier d’état civil et le Procureur de la République, voire le Juge. L’article 57 du code civil énonce en effet en ses alinéas 3 et 4 :

« Lorsque ces prénoms ou l’un d’eux, seul ou associé aux autres prénoms ou au nom, lui paraissent contraires à l’intérêt de l’enfant ou au droit des tiers à voir protéger leur nom de famille, l’officier de l’état civil en avise sans délai le procureur de la République. Celui-ci peut saisir le juge aux affaires familiales.

 Si le juge estime que le prénom n’est pas conforme à l’intérêt de l’enfant ou méconnaît le droit des tiers à voir protéger leur nom de famille, il en ordonne la suppression sur les registres de l’état civil. Il attribue, le cas échéant, à l’enfant un autre prénom qu’il détermine lui-même à défaut par les parents d’un nouveau choix qui soit conforme aux intérêts susvisés. Mention de la décision est portée en marge des actes de l’état civil de l’enfant. »

Le principe du changement de prénom doit correspondre à un intérêt légitime soumis au contrôle 

Le juge, sur saisine du Procureur, peut ainsi refuser des prénoms qui seraient contraires à l’intérêt de l’enfant. A titre d’exemple, on notera qu’ont ainsi été refusés Assédic, Exocet, Babord et Tribord (pour des jumeaux. – MALAURIE, Les personnes. Les incapacités, 2004, Defrénois, no 122), « Toulouse » (TGI Bordeaux, 8 mai 1978, Gaz. Pal.1978. 2. 530) – Ou « Manhattan » (Poitiers, 19 avr. 1983, JCP 1984. II. 20243), ou à relent folklorique comme « Surya » (Dijon, 23 oct. 1991, Juris-Data no 047490), ou encotre « Titeuf », personnage d’une bande dessinée et refusé par la Haute Juridiction qui, en ce domaine, s’abrite derrière l’appréciation souveraine et la motivation solide des premiers juges (Civ. 1 re, 15 févr. 2012, no 10-27.512 , D. 2012. 552 ; D. 2012. 2267, obs. Bonfils et Gouttenoire ; AJ fam. 2012. 231, obs. Lambert ; RTD civ. 2012. 287, obs. Hauser . – Sur l’arrêt d’appel : Versailles, 7 oct. 2010, RG no 10/04665, AJ fam. 2011. 53, obs. Chénedé ; RTD civ. 2011. 97, obs. Hauser).

Dans le cas du changement de prénom, outre le fait que le nouveau prénom choisi doit respecter l’intérêt de l’enfant, le principe du changement lui-même doit correspondre à un intérêt légitime soumis au contrôle de l’officier d’état civil, du Procureur de la République et, in fine, du juge aux affaires familiales.

Dès lors, en enjoignant aux établissements d’enseignement d’user pour un élève d’un autre prénom que celui de l’état civil, la circulaire ne respecte pas les dispositions légales relatives tant au choix du prénom d’un mineur qu’à l’utilisation et au changement de prénom d’un mineur. Elle viole ainsi les dispositions légales précitées.

Entériner un changement de prénom de fait revient non seulement à méconnaitre la loi, mais encore à priver à nouveau l’enfant de la protection que la procédure de changement de prénom tend à lui assurer.



17 réactions


  • eddofr eddofr 30 septembre 2022 10:45

    De combien de cas parle-t-on exactement ?

    J’en ai un peu marre qu’on veuille bouleverser l’ensemble de la société pour 0,0000001% de la population.

    La grammaire supporte l’exception sans pour autant remettre en cause la règle générale.

    Pourquoi la loi ne pourrait-elle faire de même ?

    Ne serait-il pas possible d’inscrire dans la loi que le juge, ou une administration (dans le cadre stricte de son domaine de compétence) soient autorisés à constater et entériner un « cas d’exception » sans que celui-ci ne puisse faire jurisprudence ?

    Cette décision, nécessairement unique et ponctuelle, pouvant cependant être « cassée » par les plus hautes instances judiciaires si, saisies du cas par un ayant doit, elles estimaient que l’exception ne se justifie pas.


    • eddofr eddofr 30 septembre 2022 10:48

      @eddofr

      L’exception pouvant également être entérinée et inscrite dans la règle générale par les hautes instances juridiques si sa fréquence et sa « légitimité » lui faisaient perdre son caractère exceptionnel.


    • Lynwec 30 septembre 2022 12:16

      @eddofr

      Vous avez sans doute noté que depuis 1968, nos dirigeants se sont sans cesse appuyés sur des ultra-minorités prétendument menacées pour transformer radicalement la société française contre la volonté de la majorité, avec les prétextes de la plus parfaite mauvaise foi...

      C’est ça, la « démocratie » dont ils se gargarisent . Une minorité richissime et pervertie imposant ses lubies aux peuples ...


    • OJBA 30 septembre 2022 20:28

      @eddofr Une administration m’a subrepticement changé de prénom lors du renouvellement de ma carte d’identité. Disposant d’un prénom composé et d’un prénom simple (en deuxième), je me suis retrouvé avec 3 prénoms simples. Explication : un prénom composé est UN mot, dont les 2 parties sont séparées par un trait d’union. UN mot signifie que seule la première lettre du mot peut être écrite en majuscule. La première lettre du second prénom doit être écrite en minuscule. Clair ? Je continue. Lors du renouvellement de ma carte d’identité, l’employé de mairie qui a rempli la demande a mis DEUX majuscules, une au premier prénom du prénom composé et l’autre au deuxième prénom du prénom composé. Les deux prénoms étant liés (séparés ?) par un truc ressemblant vaguement à une virgule, un point, une tache ? Mais surtout pas à un trait d’union. Résultat, mon prénom composé fut traduit en 2 prénoms simples. Difficile à voir lorsque vous recevez votre nouvelle carte. Sur le fond, rien à fou.. re. Par contre, certains organismes demandant une copie de ma carte d’identité font la distinction. Un peu perturbant au début mais « on s’y fait ». Le plus drôle est que mon maintenant 3ème prénom (2nd avant cette bourde) est le même que celui de mon épouse (prénom mixte). Ce qui me permet de me faire passer pour elle, avec son accord, évidemment.


    • Eric F Eric F 2 octobre 2022 19:24

      @OJBA

      ’’un prénom composé est UN mot, dont les 2 parties sont séparées par un trait d’union. UN mot signifie que seule la première lettre du mot peut être écrite en majuscule. La première lettre du second prénom doit être écrite en minuscule’’


      Faux, les deux prénoms d’un prénom composé de la nouvelle carte d’identité ont une majuscule en première lettre (fac simile)

      S’il y a une erreur de prénom (pas de trait d’union) dans votre carte d’identité, il faut demander une rectification, puisque vous avez fourni des documents prouvant le prénom composé.

  • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 30 septembre 2022 18:36

    Vivement l’IA dans l’évaluation des décisions gouvernementales, juridiques, et autres Elle pourra de suite donner des notes de « cohérence » logique (non contradiction) et aucune décision humaine ne pourra passer outre (s’il en a été collectivement décidé ainsi).

    Mais bon je rêve. Les puissants feront toujours ce qu’ils veulent du droit. « Might is right » n’est-ce pas ?


    • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 30 septembre 2022 18:46

      @Luc-Laurent Salvador
       
       les IA donc les hautes technologies  qui ne seraient pas au service des puissants c’est inenvisageable.


    • Jean Keim Jean Keim 3 octobre 2022 07:50

      @Luc-Laurent Salvador

      C’est vraiment votre nouvelle marotte.


    • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 3 octobre 2022 09:14

      @eau-mission
       
       ’’Tractations entre IAs quand il y a échange de biens et services entre lieux.’’
       
      Batailles d’IA ?
       Voir sur Gulli : ’’Battlebots le choc des robots ’’
       Ou plus réaliste, le trading haute fréquence.


  • slave1802 slave1802 30 septembre 2022 23:32

    Tiens revoilà l’obsédé par les LGBT. Toujours à l’heure pour vouloir imposer sa morale vielle de deux siècles.


  • jjwaDal jjwaDal 1er octobre 2022 04:47

    Il aura fallu cette année pour que je croise le « woke » dans toute sa splendeur et ses conséquences, à savoir un petit « Enzo » scolarisé en 4ième qui devient une petite « Tiffany » en poursuivant sa scolarité dans le même établissement. Voix masculine, anatomie masculine et devant se confronter au regard des camarades qui l’ont connu(e) pendant deux ans « Enzo » devenu « fille » mais qui ne peut partager ni les toilettes élèves « garçons » ni les toilettes « filles », pas plus les vestiaires au sport. Se faire marginaliser à cet âge pour se sentir mieux dans sa peau ?
    J’ai du mal à imaginer la présence d’esprit des parents qui auraient probablement dû a minima changer leur enfant de collège, car l’épreuve est non seulement pour leur enfant, mais aussi les camarades. Le regard des pairs à cet âge là est impitoyable pour des ados qui ont le ressentis et les préjugés à fleur de peau.
    Je peux imaginer sans peine qu’un garçon se ressente « fille », mais l’épreuve qui attend ce jeune adolescent ne fait sans doute que commencer.


    • Eric F Eric F 2 octobre 2022 19:33

      @jjwaDal
      Il faudra force chimie et chirurgie pour donner certains éléments d’apparence de la nouvelle identité.
      ’’Se faire marginaliser à cet âge pour se sentir mieux dans sa peau ?’’
      il peut y avoir à cet âge une volonté d’affirmation plus forte que la volonté d’intégration, mais cela crée effectivement des problèmes relationnels peut-être plus graves que la distorsion d’identité ressentie auparavant. 


  • cevennevive cevennevive 1er octobre 2022 07:57

    Ce « changement de prénom » est insignifiant, il cache bien autre chose, tristement monté en épingle et générateur de souffrance, quelle que soit la situation...

    Prénommez vos enfant « Camille » ils n’auront pas besoin de changer de prénom !

    Et dans l’histoire de France, il y eut bien un noble qui se prénommait « Anne » !


    • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 1er octobre 2022 09:05

      @cevennevive
       
      ’’Prénommez vos enfant « Camille » ils n’auront pas besoin de changer de prénom !’’
        > C’est une fausse bonne idée.

       
      Une personne qui m’était chère ne voulant connaitre le sexe de ses enfants que le jour de leur naissance leur avait choisi des prénoms épicènes.
       


    • Jean Keim Jean Keim 3 octobre 2022 08:22

      @cevennevive

      On pourrait aussi enseigner aux enfants ce que penser signifie.

      Que serait une société, comment évoluerait-elle si depuis notre plus jeune âge on nous expliquait que penser n’est que répéter ce qui est extrait d’une mémoire ? Ce processus au fil du temps, mais très vite, devient automatique.

      Ainsi il est convenu que la place des hommes est devant la TV à regarder un match de foot avec un pack de bière, pendant que les femmes préparent le repas dominical, bien sûr c’est une caricature, mais tout dans l’enfance n’est que formatage, mon esprit de 71 ans est complètement étranger aux pratiques déviantes, mais pour autant je peux comprendre que des personnes aient un conflit entre leur corps et leur esprit, quand j’étais gamin, dans la cour de l’école, j’étais un gamin bien ordinaire qui calquait son comportement sur celui des adultes de son entourage, un jour j’ai vu un adulte écraser contre un mur une magnifique libellule, j’ai regardé mon père présent qui n’a pipé mot, ce jour là j’ai commencer à douter des grandes personnes.


    • Jean Keim Jean Keim 3 octobre 2022 08:58

      @Jean Keim

      Pratique déviante dans le sens où elle n’est pas dans la norme habituelle, il n’est pas question de cautionner des pratiques autres qu’entre adultes consentants.


  • zygzornifle zygzornifle 1er octobre 2022 09:38

     11 millions de citoyens sous le seuil de pauvreté, les prix qui explosent et on vient nous bassiner avec les prénoms ..... 


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