Chronique des jours courts
C’est un peu comme si le froid avait figé le temps. Alors, on bricole un peu en attendant la suite.
J’aurais voulu commencer en écrivant que l’odeur de brulé m’a arraché du sommeil, mais en fait, rien du tout, c’est comme si avoir le flair d’un chien de chasse ne me servait rigoureusement à rien. En fait, j’étais en train de déguster un grand cru avec Sayaka qui vient de s’installer à Bordeaux… C’était sympa de la revoir après tout ce temps, depuis le temps des études et de la vie parisienne. Je commentais l’étiquette et elle, elle n’arrivait juste qu’à répéter : Agnès, réveille-toi ! Réveille-toi !
Ce qui était un peu incongru, quand même. Comme elle insistait lourdement, j’ai fini par émerger dans cette fameuse odeur de brulé si caractéristique.
J’ai tout de suite pensé à ma famille, j’ai bondi dans le couloir, mais en fait tout le monde dormait — même les chats, c’est dire ! — et ça ne sentait rien du tout. J’ai même pensé à Freud et à sa patiente à l’odeur de brulé… sauf que ma chambre empestait le court-circuit. Donc, j’ai fait le clébard et j’ai fini par coller ma truffe sur la prise qui alimente le cumulus d’appoint de ma douche.
Ensuite, je me suis juste dit que ça aurait pu cramer pour de bon, avec moi dans mon pieu. Je me suis demandé si je me serais un peu réveillée juste avant de claquer ou si je me serais juste enfoncée toujours plus profondément dans le vignoble bordelais en compagne de Sayaka sans me rendre compte de rien. Le plus drôle, c’est que j’avais quand même de l’eau chaude pour la journée, le moins, c’est que je n’ai pas de quoi financer les étrennes de mon électricien.
Bref, il m’a fallu une bonne journée pour décider de démonter le bloc d’alimentation du cumulus, histoire de jauger les dégâts. Puis j’ai démonté le cordon d’alimentation, ce qui m’a permis de me rendre compte que c’était du câble ramassé sur un chantier, un truc rigide prévu pour être enterré et qui avait été en fait bricolé à l’économie… du boulot pour location, quoi.
J’ai repris du câble, une nouvelle prise, j’ai vérifié l’ampérage de l’ensemble, j’ai tout remonté soigneusement, en serrant bien les connecteurs, en vérifiant chaque fil, en rejetant le montage au moindre signe d’écrasement. Il m’a fallu deux jours de plus pour me décider à remettre sous tension. De jour. Juste au cas où… évidemment, ça marche parfaitement, mais je crois que je ne serai jamais complètement tranquille avec la fée électricité. Surtout quand 30 litres de flotte surmontent mon bricolage.
Le club des blogueurs disparus
Pour passer le temps entre deux aller-retour chez le grossiste du bricolage, j’ai décidé de nettoyer mon immense collection de flux RSS. Entre 800 et 1000 sources, je ne sais plus, certaines suivies depuis plus de 15 ans. Il y en a un gros paquet qui est aux abonnés absents depuis très longtemps. Mais là, beaucoup de plateformes d’hébergement ont fait le ménage et ça me crée des alertes un peu chiantes dans mon agrégateur. Du coup, j’ai retrouvé là des URL de gens que j’avais adoré lire, qui m’avaient fait rire ou pleurer, avec lesquels j’avais parfois eu de véritables échanges… pendant un temps, tout au moins.
C’est fou le nombre de blogs qui ont été abandonnés, fermés, qui ont disparu et avec eux, beaucoup d’écrits très importants, pertinents, forts… c’est une amnésie totale et violente, je trouve. Après, comme je prends la peine de chercher un peu les proprios, j’en retrouve quelques-uns qui ont en fait monétisé sous forme d’un livre, parfois deux, et puis plus rien, comme si la sève avait séché. Pas mal d’autres se sont réfugiés sur les réseaux sociaux où ils dispersent leurs idées à tout vent, mais toujours sans mémoire et surtout, pratiquement sans identité.
Est-ce que l’on se tait ou est-ce qu’on a perdu l’envie de partager ?
Discussion : https://seenthis.net/messages/491314
Du coup, j’ai retrouvé quelques auteurs de l’éphémère. On s’est échangé quelques mots, des vœux, de petites histoires de rien, mais surtout de vie qui passe et qui ne se retourne pas. J’ai appris la mort de la femme lune avec une grande tristesse. Je racontais à des amis, il n’y a pas longtemps, comment nous avions formé une chaine d’envoyeurs de cartes postales partout à travers le monde pour qu’elle puisse prouver au juge qu’elle était plus connue comme une femme que comme un homme et qu’il pouvait décider que l’état civil allait arrêter de lui pourrir la vie en lui plaquant une identité qui ne correspondait plus à rien. Je suppose que quand son compte en banque arrêtera de payer l’hébergement et le nom de domaine, tout ce qu’elle nous a donné, tout ce qu’elle a partagé avec nous s’effacera à jamais. J’ai juste récupéré les deux articles de son petit enfer portatif. Parce qu’ils lui tenaient à cœur.
On sait bien qu’on n’est pas fait pour durer, mais l’obsolescence de nos mémoires, de nos écrits, de nos histoires s’est encore accélérée. Je me demande ce que va bien pouvoir donner une société qui n’a plus d’histoire, de mémoire et où toutes les connaissances sont totalement précaires et volatiles.
En ce jour d’investiture de celui que certains estiment comme une énorme erreur de casting, d’autres gens de savoir sont précisément en train de finir leur grand œuvre de sauvegarde des données numériques évanescentes contre l’amnésie politique et citoyenne.
Nous devons être moins que des données, tant personne ne se préoccupe de nous sauvegarder à notre tour…