mardi 6 septembre 2016 - par Pr ELY Mustapha

Combattre autrement : le Talon d’Achille de nos dictatures

Nos dirigeants sont médiocres et ce qui les maintient au pouvoir, ce n’est ni leur intelligence, ni leur intégrité, ni même leur capacité à comprendre ce qu’ils font. Leur médiocrité est telle que leur main gauche ne sait même pas ce que fait leur main droite. Frappés d’une schizophrénie du pouvoir, ils manipulent, se servent et sacrifient tout pour s'y maintenir. Et ils se maintiennent dans nos pays en développement, malgré la volonté du peuple, malgré les cris et les souffrances des opprimés et, contre tout, ils affichent leur arrogance sous le couvert d’une légalité usurpée et d’une légitimité qu’ils n’ont jamais eue.

Ils ont leur talon d'Achille...mais leur vulnérabilité n'est pas là où l'on pense.

 

Comment les combattre ?

D’abord, un constat : Les énergies de toutes les entités, personnes physique (opposants) ou morale (partis politiques, associations etc.), qui combattent nos régimes véreux sont toujours focalisées sur le détenteur du pouvoir. Ce dernier est le point de mire de toute opposition qui fait de son départ, l’objectif ultime.

Or cette focalisation sur la personne du détenteur du pouvoir est la grande erreur commise par toute opposition qui voudrait atteindre ses objectifs.

La raison à cela est la suivante et découle de ce qui a été dit plus haut sur la médiocrité de nos dirigeants : Ils ne tiennent pas par eux-mêmes, mais grâce à ceux qu’ils utilisent.

De ceci nous tirons la règle suivante : pour combattre un dictateur, il faut s’intéresser à ses collaborateurs.

Ces derniers ne sont ni plus ni moins que le véritable moteur qui maintient la dictature en marche. Ils sont son talon d’Achille. Son point faible. Et c’est en frappant son talon d’Achille que l’on met à genou le système qu'il porte.

En effet, nos dictateurs s’entourent de personnes qu’ils choisissent pour leur nature rampante et corvéable et utilisent leurs compétences pour se maintenir au pouvoir. Ces personnes, souvent sans foi ni loi, obéissant au doigt et à l’œil pour des raisons bassement matérielles ou cyniquement personnelles, travaillent pour la pérennité de leur maitre. Ce sont des ministres, des conseillers, des Présidents directeurs généraux, des présidents de partis, des gradés militaires et sécuritaires.

Ce constat nous indique qu’une stratégie nouvelle se doit d’être adoptée, qui doit déplacer le centre de mire du détenteur du pouvoir vers ceux qu’il instrumentalise pour continuer à exister et sévir

Ceci correspond à neutraliser l’ennemi en le privant de ses munitions. Un général qui n’a pas accès à son arsenal se rendra forcément.

En effet, les collaborateurs de nos dictateurs, sont les véritables responsables des actes de ces derniers. Ce sont des exécutants complices, connaissant pertinemment la portée de leurs actes et les méfaits qu’ils engendrent. Ils s’associent à leurs méfaits et à ce titre se doivent d’être les premiers la cible de toute action visant à faire tomber un régime dictatorial.

Cette stratégie du talon d’Achille, se doit d’être adoptée par toute opposition qui, dans nos pays, aspire à une alternance au pouvoir.

L’alternance étant confisquée à travers un « fonds » de collaborateurs (civils et militaires) que le dictateur utilise pour manipuler tout le système qu’il soit social, économique et financier. Il faut donc saper ce « fonds » car c’est de lui que le dictateur tire sa capacité à se maintenir.

Ce fonds d’individus, rampants, corvéables à tous les échelons de l’Etat sont identifiables et identifiés.

 

Comment s’y prendre ?

Le premier moyen est la dénonciation publique. Il faut « décortiquer », le présent et le passé du collaborateur, vérifier ses compétences mettre à nu ses activités et décrier ses actes à l’échelon national et international.

Le second moyen est la dénonciation directe : il faut écrire à l’intéressé et à son entourage, le mettre devant ses responsabilités et en informer les structures nationales et internationales présentes dans le pays.

Le troisième moyen est la publicité : organiser des forums et des conférences sur les « collaborateurs » du régime et informer le public sur les résultats d’enquêtes à leurs propos.

Le quatrième moyen est la contre-expertise : s’allier à des compétences dans les domaines clef de l’action de l’Etat (social/économique/financier etc.) et dénoncer à travers des études et rapports les incohérences des actes des collaborateurs (ex. un audit des finances publiques/un audit sécuritaire etc.). Et saisir les tribunaux et les instances internationales sur la base de ces rapports.

Le cinquième moyen est la sommation : sommer nommément les collaborateurs du régime, à travers des actes collectifs (pétitions/lettres ouvertes) à se dédouaner de celui-ci et en informer l’opinion nationale.

Le sixième moyen est la mise en garde : appeler les instances nationales et internationales (économique/financières) à ne pas engager le pays à travers les collaborateurs du régime en les catégorisant et en informant largement à leurs propos (corruption/détournement…)

 

Quels sont les effets de tels moyens ?

D’abord dénoncer et informer sur les « instruments » humains qu’utilise le dictateur pour se maintenir. Ensuite, créer un réflexe citoyen et une culture de dénonciation des collaborateurs afin de les mettre sous l’éclairage des médias et engager publiquement leur responsabilité dans les affres que vit le pays. Enfin, envoyer des signes forts de dénonciation des actes du régime à travers l’indexation publique de ses collaborateurs.

 

L’application de l'approche au cas mauritanien

Soumise de façon permanente au syndrome d’un dialogue fiévreux qui la divise, l’appâte et l’humilie, l’opposition, main-tendue, attend tout du détenteur du pouvoir. Elle est entièrement focalisée sur lui et croit que ce détenteur du pouvoir, ce général putschiste, est la clef de l’alternance politique à laquelle elle aspire.

S’il en est le visage, il n’en est pas le moteur. Celui-ci est représenté par quelques individus qui le conseillent, le manipulent au gré de son humeur. Ce sont ses missionnaires et autres dispensateurs de coups bas tels qu’engendrer la zizanie dans l’opposition en miroitant pour les candidats au dialogue, des avantages qu’ils font valider par le détenteur du pouvoir. Le Secrétariat général du gouvernement est le fief de ces collaborateurs appuyé de transfuges du parti dit de la « majorité » qui jouent, tout azimut, la carte du dialogue. Ressortie au gré des humeurs du général et appuyée par le « fonds » de collaborateurs mentionné, la carte du dialogue est « jouée » avec les parties, les tribus, les lobbies et autres centres de déstabilisation de l’opinion et des institutions. C’est là, le premier fief de collaborateurs.

Le second fief de collaborateurs qui fait tort au pays est celui composé par le BASEP. Ce bataillon militaire que le général engraisse, lui sert pour contrebalancer le reste de l’armée et la tenir en respect. Ainsi une poignée de soldats, obéissant au doigt et à l’œil du général, lui permet de dissuader toute une armée. Mais cela n’est pas sans raison puisque ceux qui sont aux postes-clefs de cette armée font partie du fonds de collaborateurs qu’il convient de dénoncer. Ils assurent la pérennité du régime en recevant les contreparties et autres avantages figurant dans un budget de l’armée chasse-gardée du pouvoir.

Le troisième fief de collaborateurs est le Gouvernement. Les ministres-porte- serviette qui se coupent en quatre pour rester à leurs postes en s’agrippant aux moindres mots du général pour les exécuter dussent-ils aller à l’encontre des intérêts du pays. On a vu le bradage des écoles et des marchés publics, la liquidation du fonds national des hydrocarbures, la fraude aux marchés publics (aéroport et autres) etc. etc. La fraudes à l’éducation nationale, la corruption, la falsification etc. etc. Le bradage des terres du domaine public, le détournement des fonds des entreprises publiques (SNIM..), les denrées des sociétés (SONIMEX...) etc. etc.

En sommes un fonds de collaborateurs qu’il faut dénoncer et poursuivre si nécessaire en justice tant les faits et les preuves sont disponibles pour les inculper. Ils sont les exécutants aveugles de la volonté du général et à ce titre leur collaboration est aussi néfaste pour le pays que la présence du général lui-même à la tête du pays. Ils doivent être la cible de toute action visant à dénoncer, informer et (faire) condamner cette collaboration avec le régime qui détruit le pays.

 

Les conditions de mise en œuvre de la stratégie

Cette stratégie requiert des conditions à l’échelle institutionnelle (opposition) et individuelle (libre conscience)

Les conditions institutionnelles sont une opposition :

  • déterminée à exercer son rôle institutionnel avec dignité
  • qui ne transige pas avec le pouvoir par le dialogue
  • qui a les moyens humains et matériels de son action
  • qui ne soit pas minée par l’opportunisme
  • qui sait se différencier par des actes exemplaires sans transiger sur ses principes
  • qui a des leaders qui ne craignent que leur conscience
  • solidaire et sans dissensions sur son but et sa mission institutionnels
  • qui n’intégré pas le tribalisme, le régionalisme et autres vicissitudes, instruments du pouvoir en place, dans sa pensée.
  • non infiltrée par les collaborateurs du pouvoir et ayant une neutralité respectée.

Les conditions individuelles (libre conscience) concernent les personnes qui s’inscrivent dans le combat contre l’hégémonie et la dictature et qui, de leur côté, mettent en œuvre cette stratégie. Ils doivent avoir la capacité :

  • de s’impliquer personnellement dans la dénonciation des collaborateurs de la dictature
  • de s’appuyer sur des réseaux permettant de retrouver, vérifier et recouper l’information
  • d’être intègre dans l’appréciation des actes des collaborateurs du régime
  • de résister aux influences et autres actes d’intimidation.
  • d’utiliser avec efficience les réseaux sociaux et les médias pour véhiculer les dénonciations et ales indexations d’individus instrumentalisés par le pouvoir.

Il est vrai que même si l’opposition actuelle en Mauritanie ne remplit pas encore ces conditions (et les individus de libre conscience, appliqués à dénoncer, en leur âme et conscience le régime et ses collaborateurs, ne courant pas les rues ) , la stratégie n’en est, cependant, pas affaiblie puisque rien ne dit que, face à la stérilité des moyens actuellement utilisés, son intérêt pour la lutte contre le pouvoir à travers ses collaborateurs, ne s’impose pas par lui-même.

En conclusion, il reste que tant que les détenteurs de pouvoir, illégal et illégitime, s’appuient sur leurs troupes de collaborateurs pour se maintenir, manipuler le système, aliéner le peuple et le réduire à la misère, la neutralisation (par les moyens mentionnés) de ces collaborateurs constitue une stratégie dont les résultats saperont les instruments humains du régime, en dissuadant et avilissant (ne serait-ce qu’avec le temps), toute velléité de le servir.

Pr ELY Mustapha



10 réactions


  • gogoRat gogoRat 6 septembre 2016 12:44

    Intéressant !

    « des exécutants complices, connaissant pertinemment la portée de leurs actes et les méfaits qu’ils engendrent »

    _____________________________________________

    cf (bis repetita ) :

     autres arguments d’experts :

    • « Triste réalité : un chef ne va pas promouvoir quelqu’un de meilleur que lui ou qui va lui faire de l’ombre. Question d’ego. Au moment de choisir l’élu, « un chef va se demander qui lui sera le plus loyal, le plus utile, le plus redevable. Il cherchera quelqu’un qui ne lui plantera pas un couteau dans le dos ».
      L’incompétent tombe à pic : ce n’est ni un concurrent, ni quelqu’un d’assez indépendant. Il rassure et conforte le chef dans son propre pouvoir.
      En le promouvant, ce dernier garde le contrôle
      . »
     >>> cf : http://madame.lefigaro.fr/societe/madame-network-pourquoi-les-incompetents-reussissent-mieux-200315-95571

    _____

     >>> cf : https://fr.wikipedia.org/wiki/Principe_de_Peter

    • « dans une hiérarchie, tout employé a tendance à s’élever à son niveau d’incompétence », avec pour corollaire que « avec le temps, tout poste sera occupé par un employé incapable d’en assumer la responsabilité. »

      Corollaires :

    •  un employé ne restera dans aucun des postes où il est compétent puisqu’il sera promu à des niveaux hiérarchiques supérieurs ;
    •  par suite des promotions, l’employé finira (probablement) par atteindre un poste auquel il sera incompétent ;
    •  par son incompétence à ce poste, l’employé ne recevra plus de promotion, il restera donc indéfiniment à un poste pour lequel il est incompétent.
    •  [...]
    •  De plus, si nous partons du principe que plus un poste est élevé dans la hiérarchie,
       plus il demande des compétences ;
       plus son impact est grand sur le fonctionnement de l’organisation,
    •  alors il en découle que l’impact de l’incompétence de l’employé aura été maximisé par le niveau hiérarchique du poste auquel il aura été promu.

    _____
    • Dunning et Kruger ont noté que plusieurs études antérieures tendaient à suggérer que dans des compétences aussi diverses que la compréhension de texte, la conduite d’un véhicule, les échecs ou le tennis, « l’ignorance engendre plus fréquemment la confiance en soi que ne le fait la connaissance » (pour reprendre l’expression de Charles Darwin).
     >>> cf : https://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_Dunning-Kruger

  • gaijin gaijin 6 septembre 2016 13:26

    comment combattre ?
    cesser de collaborer !
    le mythe de l’échelle sociale ne tient que tant qu’une grande masse essaie de monter dessus au prétexte que si tout le monde le fait ça doit être bon .....
    la légitimité des dominants ne tient que tant que chacun trouve légitime en soi de vouloir dominer les autres , avoir plus , imposer ses idées etc .......

    « maman quand je serais grand j’ veux pas être étudiant
    ben alors tu seras un moins que rien
    ah oui ça je veux bien »
    https://www.youtube.com/watch?v=0bPM2WWBjco

    réfléchissez y bien


    • gimo 7 septembre 2016 11:02

      @gaijin
      Nous nous persuadons souvent d’aimer les gens plus puissants que nous ; et néanmoins c’est l’intérêt seul qui produit notre amitié. Nous ne nous donnons pas à eux pour le bien que nous leur voulons faire, mais pour celui que nous en voulons recevoir. car nous sommes des laches sans conscience

      Un dictateur des lors n’est qu’une fiction. Son pouvoir se dissémine en réalité entre de nombreux sous-dictateurs anonymes et irresponsables dont la tyrannie et la corruption .Pour les l’homme non abouties donc c’est des laches et des nuisibles pour les autres


    • gaijin gaijin 7 septembre 2016 12:20

      @gimo
      « nous sommes des laches sans conscience »

      oui !


    • epicure 8 septembre 2016 03:53

      @gimo

      C’est sûr que si quand un dictateur éructe un ordre, tout son entourage lui disait l’aller se faire voir, il n’y aurait pas de dictature.
      Mais le problème c’est que certains trouvent des intérêts divers à se mouler dans la dictature, surtout pour les échelons élevés où ils ont une part de pouvoir. Et il y a les intérêts que peut servir le dictateur (religieux, capitalistes, etc.... )


  • Zolko Zolko 6 septembre 2016 13:53

    oups, d’après le titre je pensais que vous parliez de la France et de la dictature des banksters. Eux, leurs collaborateurs sont les politiciens professionnels élus, qu’on peut combattre avec le tirage au sort de citoyens, et les journalistes, qu’Internet a déjà combattu.


  • MagicBuster 6 septembre 2016 14:27

    Pour mettre fin au terrorisme, il faut donc s’en prendre à tous les moutons qui se réclament du même livre en se prosternant avec le cul en l’air dans la direction opposée de leur tête . . .. . ?


  • soi même 6 septembre 2016 15:29

    Pourquoi pas utilisé cette méthode, en même temps si l’on ne voit pas plus loin, le risque d’a nouveau de se retrouve dans les mêmes fondrières, car pour l’exemple de la France, un De gaulle ne court plus les rue aujourd’hui.

    Lui qui se considérait comme un hôte de l’Élysée et qui payait ses factures sur ses deniers personnelles.

    Par ailleurs, il y a un aussi un autre risque remplace un branquignole au pouvoir par un raz le bol n’apporte pas forcement ce que l’on souhaite , si l’on rien a été fait en annones pour faire autrement de la politique et se retrouvez à nouveaux avec le même cocktail toxique, l’alliance finance et politique.


  • Raoul-Henri Raoul-Henri 6 septembre 2016 21:12

    Bonjour Mustapha.
    Je ne vous suis pas sur « le talon d’Achille » pour la simple raison que la hiérarchie, qu’elle soit d’origine institutionnelle ou entrepreneuriale, part en cascades depuis les hauts jusqu’aux tréfonds disparates, embrigadés dans telle ou telle obédience, mais qui se rejoignent en une bouillie mystifiée ; en conséquence de quoi nous faisons tous parties du talon, jusqu’à l’électeur, doublé d’un consommateur dépolitisé, qui est le plus grand complice de la dictature dont il souffre.
    Quand bien même arriveriez-vous par la force de démonstration à éliminer tel ou tel sous-dirigeant, que celui-là viendrait à être remplacé immédiatement par un autre clone.

    Votre analyse présente une absence de considération monétaire, terme à l’origine de ’tous’ les pouvoirs.

    Enfin, je vous rappelle que Sheitan n’a pas de talon, puisqu’il se mue sur sabots. :)


  • fred.foyn 7 septembre 2016 07:29

    sauf, que même en changeant les dictatures, reste les idées de corruption ancrée dans la tête des hommes...et contre ça y a pas de remède à ma connaissance... !


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