Comment et pourquoi le monde arabe est entré en folie meurtrière ?
(19ème partie)
Comment expliquer ce vent de crises et de révoltes qui souffle particulièrement sur le monde arabe ? Des guerres qui embrasent aujourd’hui le monde arabe. Alors qu’avant janvier 2011, sur fond de vagues politiques qui déferlaient au Proche et Moyen-Orient, les pays arabes sous des régimes autoritaires étaient pratiquement des havres de paix. En Tunisie, en Egypte, en Syrie, en Lybie, au Yémen, partout la même situation politique et sécuritaire était stable politiquement. L’argent des touristes étrangers entrait, soutenant la Tunisie, un régime pro-occidental. Comme d’ailleurs pour l’Egypte.
Les chefs des forces radicales purgeaient de longues peines de prison ou s’étaient réfugiés en Europe ou aux États-Unis. Impossible d’imaginer un tel scénario avant la « révolution du jasmin » de janvier 2011 qui, partie de Tunisie et un soutien généreux mais « aussi intéressé » des États-Unis et d’Europe, a bouleversé l’ordre politique de la région. Puis cette révolution comme un tsunami s’est étendue aux pays du Moyen-Orient. Que s’est-il passé pour que ce processus surprenne, et n’a touché encore aucune tête couronnée ? Quand on sait qu’une coalition des monarchies arabes s’est formée autour de l’Arabie saoudite en 2015, et pour la première fois depuis la création du royaume en 1932, voilà 83 ans, est entrée en guerre contre les houthistes au Yémen. Où est l’appui américain dans la guerre au Yémen ? Pourquoi les États-Unis ne s’engagent-ils pas au côté de l’Arabie saoudite ? « Nouveaux enjeux, nouvelles donnes dans le monde ! », doit-on conclure. Et qu’augurent ces enjeux ? Que préfigurent-ils pour les pays arabes, sur la région et le reste du monde ?
- Un préalable pour comprendre les forces de changement
Comme nous l’avons dit dans les analyses précédentes, il y a des « forces historiques » qu’il faut comprendre et qui ont beaucoup de signification dans cette transformation progressive du monde. Albert Einstein parle d’une « Religiosité cosmique » (1). « Comment la religiosité cosmique peut-elle se communiquer d'homme à homme, puisqu'elle ne conduit à aucune idée formelle de Dieu ni à aucune théorie ? », dit-il. Et ce qu’il sous-entend que l’on ne sait rien de cet « Esprit qui gouverne le monde », sinon par l’intuition humaine, une faculté qui se conjugue à l’intelligence et à la pensée, deux instances spirituelles humaines dont on ne sait aussi rien.
Et ces instances qui sont dans l’homme nous révèlent que le monde n’est pas construit fortuitement, chaotiquement. Sinon comment comprendre la régularité quasi absolue de la rotation de la Terre autour d’elle-même et autour du soleil. « Quelle Force la fait tourner et la maintient en équilibre dans l’espace sidéral ? » Et pourquoi sa rotation en 24 heures faisant succéder le jour à la nuit, le jour pour s’occuper, la nuit pour se reposer. Et les saisons ordonnées du Printemps radieux à l’été chaud, de l’automne à l’hiver froid, avec toujours le même recommencement du cycle. Un système rotatoire qui veille sur l’humanité.
Et sans parler de religion, la science à laquelle l’homme est arrivé aujourd’hui est suffisante pour le pousser à réfléchir sur le sens du monde. Comme d’ailleurs la science, d’où est-elle venue ? De la pensée de l’Homme ? Pour ne parler que de la « théorie de la relativité restreinte » d’Albert Einstein ? Est-ce que c’est le savant prestigieux qui l’a trouvée en y réfléchissant inlassablement jusqu’à découvrir la théorie qui a révolutionné la science ? Et curieusement, et en faisant une digression, ce qu’il parle du Temps est qu’à une certaine vitesse, le temps d’un référentiel dans l’espace sidéral diffère du temps humain. Et cette découverte sur un rapport par l’infiniment petit débouche sur la variabilité du temps en fonction des référentiels, c’est-à-dire qu’il n’existe pas un temps universel unique dans l’univers. Chaque système possède sa propre mesure du temps. Et le plus étrange est que cette découverte est souligné à plusieurs reprises dans le texte coranique, il y a quatorze siècles. (2) Et qui vient conforter la thèse scientifique d’Albert Einstein.
Fermons la digression. Assurément !, doit-on répondre. Il y a un « absolu » dans l’esprit de l’homme. Et l’essence qui y est contenue et qui a véhiculé la pensée scientifique dans la pensée d’Einstein n’est pas identique pour chaque homme. Et ici il est question du contenu de l’essence véhiculé et non de l’Essence même.
Einstein, dans un certain sens, l’énonce. (3) « Puis-je commencer par une profession de foi politique ? La voici : la Science est faite pour les hommes et non pas par les hommes pour la Science. On peut dire pour l’Etat la même chose que pour la Science ». Ici nous n’avons fait qu’inverser les « concepts-structures » ou « concepts-instances » énoncés par Einstein. Il demeure cependant que depuis que l’homme est homme sur terre, ces deux-concepts-structures, c’est-à-dire l’Etat et Science, ont structuré l’humanité en la faisant passer de clan à la tribu, de la tribu à la monarchie, et de la monarchie à l’Etat. Et la même chose pour la Science de la Pierre taillée à la Pierre polie, de la Pierre polie à la découverte de l’écriture, de l’écriture aux révolutions agricoles, industrielles, et de ces révolutions à l’âge nucléaire et à la numérisation du monde (nouvelle révolution des NTIC).
« Sans ces deux instances, l’Etat et la Science donnés par l’Histoire à l’homme, il n’y aurait pas eu d’humanité. » L’homme serait resté un « animal préhistorique ».
Evidemment, cette approche paraît inconcevable, mais n’élude pas le bien fondé, et la pertinence de se poser des questions sur la métaphysique de l’être, en ce début de XXIe siècle. Jamais dans l’histoire de l’humanité la science n’a autant progressé.
Cette approche sur le sens humain juste pour dire qu’il est impossible qu’un événement d’ordre politique, économique, géopolitique ou autre ne soit sans sens dans le développement de l’humanité. Tout événement qui se joue aujourd’hui dans une région donnée a directement ou indirectement des répercutions sur les autres régions. Et il s’inscrit dans la perspective même du devenir du monde. Ce qui le plus souvent n’est pas perçu par l’homme. Des Forces manipulent les hommes sans qu’ils en prennent conscience des desseins cachés dans leurs actes. Le mal comme les guerres, les conflits, seraient alors nécessaires pour jouer pour le bien, en vue du bien.
« Les hommes, comme les peuples, sont que ce qu’ils sont. Ils peuvent se combattre à mort, comme ils peuvent revêtir les habits de la paix. » Tout est affaire de conjoncture historique, et donc de situation géopolitique et géoéconomique. Une guerre s’opère pour ce qu’elle rapporte. « L’homme ne choisit pas guerre, la guerre vient d’elle-même, dictée par un faisceau de circonstances historiques. » La guerre est là parce qu’elle doit être, en vue d’un but. Dire les Américains, les pétromonarchies arabes dans leur conflit avec l’Iran comme causes dans l’embrasement du Moyen-Orient, ou l’aspiration des masses arabes à la démocratie et leurs manifestations comme ce qui a été démontré dans la « révolution de Jasmin » est certainement vrai. Mais ces acteurs se trouvent en « situation d’existant », ce qui signifie que révolutions et guerres, nonobstant les desseins et les volontés des acteurs, étaient inévitables parce qu’elles étaient inscrites dans une trajectoire d’évolution du monde qui était dans l’« Esprit du Temps », ou dans la « religiosité cosmique einsteinienne » (1) incommunicable à l’homme.
Des événements donc « décidés avant même qu’ils ne le soient ». Révolutions et guerres étaient filles du temps. L’homme n’était pris au dépourvu que parce que, acteur, il ne se sait pas, et ne sait pas que l’humanité est en perpétuel mouvement. Une humanité faite de conjonctures et d’existants, en vue d’un but, d’un progrès sans cesse renouvelé. Les hommes n’ont pas choisi leur existant, ni leur destin, c’est le mouvement du temps et le progrès qui y est inscrit qui dessinent leur destin.
- Le monde arabe entré en folie. Des forces inconnues en marche
Ceci étant, qu’en est-il aujourd’hui ? Sortons de ce préalable philosophique mais non moins nécessaire pour comprendre l’évolution du monde, et entrons dans la réalité des crises arabes.
Après la chute des pouvoirs politiques en Tunisie, en Egypte, en Libye, ce sont les islamistes qui sortirent vainqueurs. Mieux organisés, ils récoltèrent le fruit de leur combat. Une évolution naturelle. La situation a complètement changé dans ces pays. Les rues centrales de Tunis étaient encore parsemées de barbelés et gardées par des véhicules blindés, le check-points postés dans les intersections et routes centrales.
Mais la situation n’a pas évolué comme elle a paru après la révolution. La réalité du monde a repris ses droits. Les islamistes se sont avérés incapables de diriger des pays qui affichaient des budgets déficitaires et qui souffrait de chômage en masse. L’Islam ne pouvait servir de substitut aux besoins politiques, économique et sociaux criants des populations. Le spirituel ne pouvait subvenir au matériel. Les islamistes ont dû déchanter. Et beaucoup de musulmans habitués à un mode de vie laïc et souhaitaient continuer à vivre dans une relative aisance, que ne leur donnèrent pas les islamistes dépassés par les problèmes économiques, ont cessé de voter en leur faveur. C’est ainsi que dans tous ces pays, les islamistes ont perdu soit le pouvoir, soit ont composé avec les forces laïques, soit se sont engagés dans des guerres civiles fratricides avec les pouvoirs en place.
Et qui a provoqué la débâcle dans ces pays ? Les islamistes ? Ils n’étaient que des acteurs comme les autres acteurs de la société (modérés, laïcs, et autres). Il est évident que si les islamistes avaient bénéficié d’une bonne situation économique, et une répartition équilibrée des richesses, les crises arabes n’auraient pas dégénéré, ou du moins auraient été circonscrits. Et cette économie qui ne vient pas et d’ailleurs le « Printemps arabe » a soufflé précisément par cette économie arabe qui ne fonctionne pas.
En Libye, les armements et les rebelles qui ont commencé à proliférer dans toute la région rendaient la situation politique inextricable. En Syrie et en Irak avec la constitution d’un califat islamique, l’Etat islamique (EI) qui a fait jonction avec les forces rebelles en Syrie visaient à reconfigurer la carte politique de la région dans la création de trois ou quatre entités nationales. Dans les autres pays, des attaques terroristes ont frappé l’Egypte et l’Algérie. En Libye, « la filiale locale de l’Etat islamique arrive en force et se manifeste d’ores et déjà sous forme d’exécutions en masse des infidèles ». Au Mali, des troupes françaises ont dû être introduites pour éviter que le pays ne se transforme en une nouvelle Somalie.
En Afrique subsaharienne et centrale, la situation est aussi très instable. « Boko Haram, qui a proclamé un califat islamique, menace par ses attaques toute la région. » Ses coups de main au nord du Mali et ses actes barbares répétées en Afrique noire (Nigéria, Cameroun, Bénin, Cameroun, Tchad…) conjugués aux actions des shebabs, les islamistes en Somalie, ont poussé une mobilisation d’une dizaine de pays africains à déployer une force multinationale africaine pour combattre le groupe terroriste Boko Haram, dont le dessein macabre est de propager la terreur, de semer la désolation et le chaos sur l’ensemble du continent africain.
Tous ces faits et armes indiquent que « le monde arabe est entré en folie », et il déteint par sa folie sur sa périphérie. « Cette folie meurtrière du monde arabo-musulman nous rappelle presque la folie meurtrière qui a sévi en Europe au cours des deux Guerres mondiales. »
Le même processus se joue dans la péninsule arabique. Une coalition formée de monarchies arabes et de l’Egypte et du Soudan procèdent depuis avril 2015 à des attaques aériennes sur les places fortes des houtistes au Yémen, en particulier sur Sana, la capitale yéménite. Des coalitions qui rappellent celle formées par les monarchies d’Europe contre l’empereur français Napoléon Bonaparte, en mars 1815. Deux dates étranges 1815 et 2015 ? Le monde est-il l’objet de forces supérieures qui se jouent des hommes.
Un autre conflit armé qui se joue cette fois en Europe, en Ukraine. Les États-Unis, l’Europe et la Russie qui étaient divisés sur le plan géostratégique, sont impliqués dans la crise ukrainienne. Dans cet antagonisme, les rapports de forces et les ingérences vont peser sur l’Ukraine et amener la Russie à rebattre la carte de la région. C’est fait, la Crimée est annexée à la Russie, et les populations russophones ont eu gain de cause. De même dans ce qui se passe à l’Est de l’Ukraine, dans la région de Donetsk et du Donbass. Mais qui fait l’Histoire ? Ce n’est pas l’Occident ni la Russie, mais les peuples ! Si les Criméens n’étaient pas russophones et pro-occidentaux, la Russie serait restée su sa faim. Donc point de lucarne géostratégique sur le Bosphore et la Méditerranée.
Ce qu’oublient les grandes puissances, c’est l’harmonie de la Terre, de la création et de l’organisation de l’humanité. On voit mal une Russie, une si grande puissance qui a marqué le monde et qui a tant fait pour les peuples colonisés sortis de la tutelle occidentale ne pas bénéficier d’une lucarne sur la Méditerranée. Les Russophones n’étaient en Crimée que parce qu’ils devaient être là. Un peu comme les Algériens sont en Algérie. Les Ecossais sont en Ecosse. La Terre elle-même choisit ses êtres et leur donne une langue, jusqu’à l’intention même du parler, c’es-à-dire l’accent. Zidane à un certain moment qui parlait marseillais était presque incompris par son parler marseillais.
Pour résumer, les conflits armés concernent aujourd’hui essentiellement le monde arabo-musulman, partout dans le monde. Du Maroc à l’Arabie saoudite, et plus de la moitié de l’Afrique, et en Asie jusqu’aux Rohingyas en Thaïlande. Et l’Ukraine, un pays-phare de l’Europe centrale. Ce qui nous fait dire que tous ces conflits sont annonciateurs d’une nouvelle architecture mondiale. Et qu’aucun pays n’est à l’abri dans la dynamique de rénovation du monde qui a commencé en 2000, et s’est précisé depuis le « Printemps arabe », en 2011. Un processus qui vient à la suite d’un processus déjà vécu en 1991, avec la chute du bloc Est et la disparition de l’URSS.
Aussi peut-on dire qu’il y a « des forces inconnues en marche, qui ne sont ni senties ni réfléchies par les peuples et leurs dirigeants, mais elles sont là présentes, réelles et concourent aux avancées de l’humanité. » Il serait inconscient de penser que la crise de l’Ukraine n’a rien à voir avec le « Printemps arabe ». Toutes les crises qui touchent les peuples sont liées entre elles. Pour ne donner qu’un exemple le plus simple, « les Deux Guerres mondiales portaient en germe la libération des pays colonisés ». Bismarck, l’empereur Guillaume II, le président Hindenburg et le chancelier Hitler qui lui n’était même allemand mais autrichien, n’ont été qu’une succession d’acteurs qui allaient être utilisés par l’Histoire pour changer la face du monde.
- Un lien de cause à effet entre l’Occident et le monde arabe
L’année 2008 a bouleversé toutes les donnes économiques mondiales. Elle a aussi remis, pour la première fois de l’histoire, l’hégémonie de l’Occident sur le monde. Le problème n’est pas la crise immobilière de 2007 qui a donné la grave crise financière de 2008, mais l’essoufflement de l’économie occidentale dans sa globalité. Nonobstant tous les remèdes macroéconomiques pris, les grandes institutions nationales et internationales financières dominées par les grands pays occidentaux, à savoir les États-Unis, l’Europe monétaire, le Royaume-Uni et le Japon, n’ont pu que « pallier, par des politiques monétaires ultra expansives, aux soubresauts économiques et financiers auxquels ils étaient confrontés ». Et ils le sont encore depuis près de sept années.
Leurs systèmes économiques n’ont montré une bonne résilience que grâce à « ces politiques monétaires qui du reste ont fait déraper les dettes souveraines ».
Et les pays d’Asie sont devenus les créanciers du monde occidental, la situation s’est complètement inversée contrairement aux années 1970 à 1990 où c’était l’Occident qui était le créancier du monde. Et c’est cela la nouveauté d’ailleurs particulièrement menaçante pour l’Occident. Si cela devait perdurer, les conséquences seraient catastrophiques à un horizon proche. Les États-Unis, l’Eurozone, le Royaume-Uni et le Japon savent qu’ils sont « ligotés par leurs propres monnaies internationales vis-à-vis du reste du monde ». Des monnaies internationales qui sont à double tranchant.
Evidemment, cela n’apparaît pas aujourd’hui mais les défis sont posés et imposent aux Banques centrales occidentales et leurs systèmes économiques et financiers de renverser la donne dans quelques années, du moins moins d’une décennie pour stabiliser le rapport des forces sur le triple plan économique, financier et monétaire avec le reste du monde.
Et cette situation de l’Occident joue beaucoup dans le monde arabe. Ce qui nous fait dire qu’il y a un lien de cause à effet entre l’Occident et le monde arabe. Et le problème est éminemment complexe.
Medjdoub Hamed
Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale,
Relations internationales et Prospective.
www.sens-du-monde.com
Note :
1. « Religion et science », dans le livre « Comment je vois le monde », Albert Einstein, 1934
2. ibid. « la Conférence du désarmement de 1932 »
3 Sourate 23, versets 112-13), sourate 17, verset 52, (10, 45), (70, 4), (32, 5)