samedi 23 avril 2016 - par Hamed

Comment l’Occident a été sauvé d’une Dépression du type des années 1930 ?

  1. Au commencement de l’histoire économique contemporaine. La fin du « dollar-or » ?

 

 Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, l’Europe qui était dévastée et avait très peu d’or, de surcroît très endettée vis-à-vis de l’Amérique, dépendait des investissements américains. Ce qui a nécessité plusieurs mesures parmi lesquelles le plan Marshall, des réductions de la dette, des facilités financières, etc. Le monde, à cette époque, était en pleine guerre froide. Les dangers d’escalade et le risque d’une confrontation nucléaire avec l’Union soviétique étaient omniprésents dans les années 1950 et 1960.

On peut se poser la question pourquoi les États-Unis ont été très généreux vis-à-vis de l’Europe ? Parce que les pays de l’Europe de l’Ouest étaient des Alliés face à l’Union soviétique et à l’Europe de l’Est ? Certes ce choix a joué, mais on ne peut passer sur des données économiques qui étaient vitales pour l’Amérique. En effet, si la situation économique de l’Europe, à la fin de la guerre, était très difficile, il n’en demeure pas moins que les États-Unis, sortis vainqueurs du Deuxième Conflit mondial, étaient aussi confrontés à un risque de surproduction industrielle et agricole. Par conséquent, combien même l’Europe avait très peu d’or, et endettée et donc n’avaient pas les moyens pour rembourser, à moins qu’elle céda ses colonies où des troubles pour la libération ont commencé, cette Europe détruite en grande partie par la guerre constituait néanmoins un débouché vital pour l’économie américaine. En absorbant le produit des milliers d’usines américaines et de millions d’hectares de produits agricoles, cette Europe sauvait l’emploi de millions d’Américains. « L’Europe devenait de facto le moteur de l’économie américaine, et par cette Europe, l’Amérique se maintenait dans son rôle de première puissance industrielle, financière et monétaire du monde. »

Le monde est entré de plain-pied dans une nouvelle phase de l’économie mondiale qui ne ressemble plus aux phases passées, et qui va progressivement s’ériger en un « écosystème économique, financier et monétaire global », s’autorégulant par les forces internes mêmes qui s’interagissent, selon la trajectoire naturelle de l’évolution du monde.

Jusqu’au milieu des années 1960, la situation monétaire entre les États-Unis et les pays d’Europe était globalement maîtrisée. Les politiques keynésiennes utilisées massivement durant la période d’après-guerre ont rempli leur rôle en Europe. Les accords de Bretton Woods qui établissaient une parité fixe entre les monnaies et le dollar, et entre le dollar et l’or entraînait une contrainte sur la création monétaire des Banques centrales des pays d’Europe, qui devaient veiller à toujours avoir des réserves en dollars suffisantes.

Cependant, ce système qui fait du dollar un étalon-or indirect a permis aux pays d’Europe d’accumuler suffisamment d’or pour procéder, dès 1958, à la convertibilité de leurs monnaies en or. Le Franc français, la livre sterling et le deutschemark devenaient de facto des devises internationales, au côté du dollar. Que peut-on dire de cette première phase de reconstruction et de remise à niveau de l’Europe ? « Il est évident que sans excédents commerciaux, sans investissements financiers américains, sans transfert d’or des États-Unis vers l’Europe, l’Europe n’aurait pu rendre convertibles en or ses monnaies en 1958, et devenir plus tard compétitive. De même sans déficits vis-à-vis de l’Europe, les États-Unis n’auraient pu prolonger leur croissance et maintenir un taux d’emplois suffisant pour leur économie. »

Les États-Unis qui disposent de la première monnaie du monde signifie aussi que la première puissance du monde est obligée, pour sa propre croissance, de subir une balance déficitaire, seul moyen de satisfaire les besoins de l’Europe en monnaie-clef. On a cette image qui ressort, « les États-Unis finançaient voire « achetaient » la croissance économique de l’Europe pour leur propre croissance. » Ces achats constituaient leurs déficits extérieurs, on comprend aussi pourquoi que le dollar bénéficiait d'une confiance absolue.

Sauf qu’après le retour à la convertibilité externe des monnaies européennes (livre sterling, deutschemark, franc…), dès 1958, et la montée en puissance de l’Europe et du Japon dans le commerce mondial, les contradictions dans le système de Bretton Woods commencent à apparaître. Les États-Unis, lancés dans des programmes d’armements faramineux, dans la conquête spatiale, engagés massivement dans la guerre du Vietnam, sont arrivés à une situation où ils ne pouvaient plus commander la fonction régulatrice du dollar. L'Europe était inondée de dollars et tout naturellement les pays du reste du monde qui ont trop de dollars les échangent contre de l'or au prix fixé en 1934 de 35 dollars l'once d'or fin.
Ainsi, au fur et à mesure que l’Europe gagnait en compétitivité, et accumulait de l’or qui fuitait des États-Unis, mais aussi des dollars auxquels les États-Unis commençaient à limiter leur conversion en or, des crises monétaires éclatèrent pour aboutir finalement à la suspension de la convertibilité du dollar en or, annoncée par le président Nixon, le 15 août 1971. En fait, les États-Unis n’ayant plus les stocks d’or requis, la suspension était définitive.

Si les déficits américains ne sont plus nécessaires à l’Europe, désormais dotée de devises internationales (monnaies de réserve) et compétitifs internationalement, le monde hors-Occident en revanche reste dépendant des dollars américains. Toujours en édification et à gagner en compétitivité dans le commerce mondial, le reste du monde a besoin des déficits américains – combien même « monétisés » (planche à billet) – pour sa financiarisation. Le Japon, malgré sa puissance économique et financière, est aussi étroitement lié au marché américain par la demande de produits made in Japan.

Arrivé à ce tournant de l’histoire, que peut-on dire de la fin du « dollar-or » ? Simplement que, malgré les crises monétaires qui ont abouti à sortir l’or de l’histoire monétaire du monde, le rôle du dollar américain n’est pas terminé. Une phase historique certes est terminée, mais le monde reste toujours en transition, et a toujours besoin du dollar américain.

 

  1. Pétrole et monarchie saoudienne, instruments de la puissance impériale américaine ?

 

 Après la fin de la convertibilité du dollar en or, le monde va entrer dans le monde inconnu du change flottant. Comme nous l’avons dit dans le précédent article (1), le monde ne s’arrête pas aux États-Unis, à l’Europe, et donc aux grands pays européens, à savoir l’Allemagne de l’Ouest, la France, le Royaume-Uni et l’Italie, qui n’en sont que des acteurs parmi les acteurs qui agissent, sur le plan monétaire, dans « l’écosystème économique mondial  ». Certes, ils sont, avec les États-Unis, les pays plus importants par leur puissance économique, industrielle, financière et monétaire mais n’en dépendent pas moins du reste du monde, notamment en besoin de matières premières et énergie (pétrole).

Précisément, ce monde hors-Occident dont la plus grande partie est sortie de la colonisation – pour l’Inde et certains pays d’Asie et d’Afrique, la colonisation a duré plusieurs siècles –, pour les autres de la domination voire même de l’annexion, comme cela s’est passé pour la Chine, la Mandchourie annexée par le Japon, se retrouve, après sa libération, propulsé sur le devant de la scène mondiale, sans aide de l’Occident et comptant sur ses propres forces. Ses ressources sont essentiellement les richesses que recèle son sol en matières premières et énergie. Ne disposant ni d’industrie comme l’Europe, ni technologie, ni d’une véritable économie, celle-ci pour la plupart des pays est du type colonial, ni d’une population suffisamment lettrée capable d’opérer rapidement un transfert de technologie, ces pays étaient forcément appelés à stagner économiquement. D’autre part, ces pays étaient dans une situation d’instabilité endémique (coup d’Etat, guerres civiles, guerres territoriales pour redessiner de nouvelles frontières, etc.). Et les crises économiques auxquelles ces pays font face étaient telles qu’aucun gouvernement n’était garanti de terminer son mandat.

Et dans les années 1970, les systèmes politiques pour pratiquement l’ensemble de ces pays étaient du type autoritaire, i.e. des dictatures militaires. Donc la démocratie ne rimait avec la situation de l’époque. Le temps était au nationalisme, et l’espoir pour les peuples était dans les indépendances recouvrées.

Cependant, cette situation du monde hors-Occident, malgré les indépendances que ces pays ont recouvré dans les années 1940, 1950 et 1960, était pire que ne l’était l’Europe au sortir du Deuxième Conflit mondial. Certes l’Europe a été dévastée, mais avec l’aide des États-Unis, elle pouvait se reconstruire, donc remonter la pente et de nouveau s’imposer sur le plan mondial. Ce qui n’est pas le cas pour le reste du monde. Hormis le bloc Est et l’Union soviétique disposant d’une industrie, la situation économique en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud et dans le monde arabe, était presque identique. La Chine, faiblement industrialisée, est sous dictature communiste.

Et ces pays qui ne disposaient que de monnaies locales dépendaient étroitement des devises occidentales et des institutions financières de Bretton Woods (BM et FMI) pour des emprunts financiers. D’autre part, les prix des matières premières et du pétrole, fixés dans les Bourses occidentales, étaient très bas. Le prix du baril de pétrole cotait 2,59 dollars courants à la veille de la quatrième guerre israélo-arabe. (2)

Le statut du reste du monde, via les pays exportateurs de pétrole, va changer, avec la nouvelle guerre qui allait opposer, en octobre 1973, les pays arabes à Israël, les règles de la distribution des richesses du monde. En vérité, il existait déjà « une guerre parallèle opposant les États-Unis à l’Europe », sur le plan monétaire. Pour s’y préparer, entre 1972 et 1973, un accord a été conclu entre l’Arabie Saoudite et les États-Unis qui soutiennent le règne de la Maison des Saouds pour, qu’en échange, la monarchie régnante n’accepterait que le Dollar US comme monnaie de paiement pour leur pétrole, le reste de l’OPEP enjoint à les suivre.

La guerre éclate en octobre 1973. En plein conflit armé, les pays arabes exportateurs de pétrole réduisent la production pétrolière et procèdent à une augmentation unilatérale du prix du baril de pétrole. E plus, ils instaurent un embargo vers les États-Unis et les Pays-Bas, à titre de représailles pour leur aide à Israël. « Le 22 décembre 1973, à Téhéran, les pays arabes doublent le prix du baril de pétrole, qui passe de 5,092 à 11,651 dollars. Les pays riches– qui, en 1972, avaient prévu une hausse « parfaitement supportable » – sont inquiets, car cette mesure risque de bouleverser l’économie mondiale et d’asphyxier les pays consommateurs qui dépendent totalement du bon vouloir de l’OPEP. En effet, ceux-ci produisent à eux seuls 862 millions de tonnes de brut sur les 2,15 millions qui alimentent l’énergie mondiale. Pour la France, cette hausse brutale du prix de pétrole signifie 25 milliards de dépenses supplémentaires ». (3)

Il est évident que tout ce branle-bas de combat des pays monarchiques arabes, enclenché à l’occasion de la guerre de 1973, n’est pas innocent. En fait, c’est l’application à la lettre du « plan étasunien » pour amener l’Europe à acheter massivement des dollars, et en même temps les pays consommateurs du reste du monde. On sait très bien que l’Arabie Saoudite ne peut se permettre d’imposer un embargo à un pays qui garantit à la monarchie saoudienne une protection militaire en échange d’un accès au pétrole d’Arabie. (Pacte scellé dans le croiseur USS Quincy, le 14 février 1945) C’est un peu comme si les Saouds sciaient la branche sur laquelle ils sont assis. 

 

  1. Si l’Amérique n’est plus le « moteur du monde », qui la remplacerait ? Une brève digression sur la Fed et la BCE

 

 Mais, peu importe, l’important n’est ni les Saouds ni les États-Unis d’avoir poussé l’Arabie saoudite à n’accepter que les dollars en paiement pour leur pétrole, mais les « forces historiques de l’écosystème économique mondial qui ont décidé de la trajectoire que devait prendre l’économie mondiale ». Tant les pays d’Europe, les Américains, les pays arabes exportateurs de pétrole et l’OPEP, n’étaient que des instruments des forces historiques, que les Accords de Washington – conclus lors de la conférence de au Smithsonian Institute, le 18 décembre 1971 – établissant des parités fixes entre les devises et des marges de fluctuation, centré sur le dollar, ou le Serpent monétaire européen crée en 1972, n’étaient que des solutions provisoires, idylliques, tout juste des orientations aux Banques centrales, pour éviter une implosion du système monétaire international.

L’Occident, comme l’humanité toute entière, en réalité, était à un tournant de l’histoire. La situation qui se posait pour le monde était « historiquement » simple. Soit l’Occident retournait à la Grande Dépression des années 1930, soit il faisait intervenir le reste du monde dans le conflit monétaro-intra-occidental.

En effet, si l’Amérique acceptait ce que l’Europe lui imposait, « mettre fin aux déficits extérieur et donc ne plus recourir à la planche à billet » et user de ses ressources pour financer ses déficits extérieurs (régler en or ou en valeurs financières reconnues), et redresser la balance commerciale en exportant plus et en important moins, aurait certes entraîné la résorption du déséquilibre extérieur américain. Mais ce que l’Europe et le Japon oublient, c’est qu’ils ne doivent leur ascension qu’aux déficits commerciaux que les États-Unis ont enregistrés avec eux, dans les échanges commerciaux bilatéraux, au cours de leur reconstruction et mise à niveau. Sans les déficits commerciaux américains, les pays européens n’auraient pu se reconstruire rapidement et regagner de compétitivité internationale ni accumuler des milliers de tonnes d’or que l’Amérique a transféré à leurs profits.

Or le stock d’or américain est arrivé à une ligne rouge à laquelle les États-Unis ne pouvaient aller au-delà, et l’Europe leur demande d’arrêter la « planche à billet ». Certes, les autorités américaines en ont certainement abusé, mais ce que les Européens oublient est que les Américains, les Européens et les Japonais ne sont pas seuls sur la planète. D’autres peuples vivent aussi et ce sont des continents entiers. « Les peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud constituent les 4/5ème de la population mondiale. »

Par conséquent, si le moteur américain arrêtait de fonctionner, et c’est là le point nodal de l’écosystème mondial, l’économie mondiale n’étant plus « tirée », qui allait le remplacer le moteur américain ? L’Europe ? Le Japon ? Force de dire « personne » !

Le monde serait « privé d’un moteur qui tracterait et l’économie occidentale et l’économie mondiale. » Que se passerait-il concrètement sur le plan économique mondial ? Nous aurons trois grandes puissances économiques mondiales alimentant le commerce mondial et concurrentes : États-Unis, l’Europe et le Japon. Les dragons asiatiques ne sont que dans la périphérie de l’Occident. Et ces puissances vont s’échiner à équilibrer leurs balances commerciales, en entrant commercialement en conflit les unes avec les autres, puisque les liquidités internationales vont se raréfier et s’ajuster uniquement aux transactions internationales nécessaires visées dans l’équilibre de leurs soldes commerciaux. Un tel mécanisme neutre énoncerait alors un « équilibre commercial international à somme nulle pour les trois grandes puissances industrielles du monde ».

L’Occident serait confronté forcément à une chute de l’absorption mondiale. Quant au reste du monde, ne trouvant pas de moteur tractant son économie, il va se retrouver sans excédents commerciaux, ou très peu, donc sans réserves de change, ou des réserves de change minimales qui lui assureraient juste quelques mois d’importations, de survie pour ainsi dire. Se retrouvant sans cesse confronté à l’angoisse des lendemains. Il est évident que le monde retomberait de nouveau dans la dépression des années 1930. C’est au final ce qui résulterait si le monde se trouverait privé d’un moteur qui tirerait la machine mondiale.

Pour l’Occident, cela signifierait une contraction de l’appareil productif. Il ne pourrait même pas délocaliser ses entreprises industrielles puisque le reste du monde est confronté à la rareté des crédits, des réserves de change. Les faibles exportations de matières premières et d’énergie – « le prix du baril de pétrole fluctuant toujours entre 2 et 3 dollars, comme dans les décennies passées, plus justement depuis un siècle » – l’assiette d’absorption très rétrécie, le reste du monde compterait peu dans le commerce mondial.

Un seul objectif, pour l’Occident : des finances saines sans déficits ou qui peuvent être redressés par des privations, des dévaluations. Un peu ce que l’Allemagne prône aujourd’hui, via le ministre des finances allemand Wolfgang Schäuble, pour l’Europe du Sud de la zone euro. Et qui dit contraction du potentiel industriel dit destructions de millions d’emplois. A commencer par l'Allemagne, la France… qui aurait non pas 5 et 10%, comme ils l’ont environ aujourd’hui, mais 20 et 30% de taux de chômage, voire plus.

Faisons une digression, et regardons brièvement ce qui se passe aujourd’hui. Les États-Unis ont mis fin aux Quantitative Easing en septembre 2014. Les derniers 10 milliards de dollars ex nihilo de rachats de dettes souveraines et de subprimes sur les 85 milliards de dollars mensuels du Programme QE3 ont été consommés. Le pétrole a dévissé depuis. De ses sommets à 110 à 120 dollars le baril, le Brent fluctue aujourd’hui en moyenne entre 30 et 45 dollars. Et ce processus de baisse va durer parce qu’il y a une situation de blocage entre les quatre grands pôles industriels (États-Unis, Chine, Europe et Japon).

Janet Yellen, la gouverneure de la Fed, ne cesse d’avertir qu’elle va encore augmenter le taux d’intérêt directeur de la Réserve fédérale américaine, pour se raviser ensuite et dire que la situation n’est pas encore propice. De plus, elle a donné la couleur. Pour dire quelque chose, et n’aurait pas dû l’annoncer, elle est allée déclarer que le taux d’intérêt directeur serait relevé deux fois durant l’année 2016, après son premier relèvement en fin décembre depuis plus de sept ans. Et que cette situation de politique restrictive va durer jusqu’en 2019. Qu’en sera-t-il, entre temps entre 2016 et 2019 ? Soit quatre années de vaches maigres doit-on penser.

De même, Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, affirme qu’il va encore ouvrir plus grand les vannes monétaires, ou passer à la « monnaie helicopter ». En vérité, il n’y a rien à parachuter puisque les dizaines de milliards d’euros dans le QE de 2015 retournent en grande partie par la BCE sous forme de dépôts, parce que le système bancaire européen ne trouve pas de grandes opportunités pour les investir, et se voit obliger à payer un intérêt négatif pour les stocker. Fermons la digression.

 

  1. Conclusion de la deuxième Partie

 

 Rappelons l’époque de la reconstruction de l’Europe après le Premier Conflit mondial. Pratiquement le même processus a joué qu’après 1945. La reconstruction de l’Europe a joué comme moteur pour l’économie américaine. Après la reconstruction et la remise à niveau, l’Europe, de nouveau compétitive, est devenue une concurrente de première importance à la première puissance dans le commerce mondial. Un cours tout à fait naturel. Cependant une Europe produisant des richesses et les États-Unis produisant des richesses vont forcément se retrouver annihilés par l’exigüité de la demande mondiale, qui se traduirait par une régression de l’appareil productif (surstockage, désinvestissements, etc.), et le plus grave, fermetures d’usines et des destructions d’emplois à grande échelle. Et c’est ce qui s’est passé, dès l’année 1927, une hausse de la spéculation à Wall Street pour masquer la décélération économique américaine, le marché boursier à New York pris de folie a finalement sauté, se terminant par la grande crise financière d’octobre 1929, faisant de dizaines de millions de victimes et d’emplois détruits.

Comment est-ce possible ? La question, en réalité, est très simple, elle est en lien avec le « cours de l’évolution naturelle du monde. » On ne peut s’étonner de la situation qui prévalait à l’époque. Europe et États-Unis se sont trouvés bloqués par absence de débouchés dans le monde. Il leur était impossible d’écouler les millions de tonnes d’équipements fabriqués et les millions de tonnes de céréales et autres produits agricoles que le progrès dans le machinisme (qui s’est fortement développé) a permis au potentiel de production de ces deux pôles de puissance. Il y a avait un déséquilibre flagrant dans la répartition des richesses entre les différentes aires du monde.

Des continents entiers étaient colonisés ou dominés, alors que la puissance de production des trois grands pôles économiques du monde – Europe, Etats-Unis et Japon – dépassaient largement les possibilités d’absorption que constituaient les populations occidentales, ne représentant qu’environ 1/5ème de la population du monde. Qui plus est ces pôles sont en concurrence, les uns contre les autres, dévaluant leurs monnaies pour tenter de transférer le chômage entre eux.

La question, en réalité, n’existait pas sur le plan concurrentiel, mais sur la question des débouchés. « Pourquoi produire ? Et Pour qui produire ? Telle était la Question. »

Ces puissances ne savaient pas que l’écosystème économique mondial, devant cette situation annihilante du monde, avait déjà tracé la voie herméneutique que le monde devait prendre. Il faut se dire que rien ne vient de rien, que tout a une cause. Donc ce qui est venu après la grande crise de 1929 relève d’une « Nécessité causale » auquel l’homme n’y peut rien sinon à suivre le destin qui lui tracé. Il peut gesticuler et croire qu’il fait son destin, et certes il le fait, mais le Destin le fait aussi et essentiellement avec lui.

Aussi peut-on dire de la Grande dépression des années 1930, au commencement des millions de tonnes de produits fabriqués et produits agricoles ont été jetés à la mer ou brûlés, des dizaines de millions de travailleurs en Amérique errant sans travail de ville en ville, d’Etat en Etat, vivant de la soupe populaire. 6 millions de travailleurs au chômage en Allemagne, abonnés à la soupe populaire, et à peu près la même image dans les autres pays occidentaux. Puis vint le réarmement, et ensuite, en 1939, la guerre.

Il y a cette impression que ces événements horribles, tous ces acteurs, et donc la Guerre 1939-1945, l’Allemagne nazie, l’avènement d’Hitler, l’Italie fasciste, le Japon impérialiste, l’Amérique libératrice, n’étaient que des instruments dans cette « renaissance du monde ». L’humanité avait besoin de renaître, de sortir de son ghetto à ciel ouvert, à l’échelle continentale voire mondiale, d’être délivrée fût-ce par la force, par la guerre mondiale, de cette gangue impérialo-coloniale arrivée au terme de son extinction. Et monde a changé brusquement en l’espace de quelques décennies après une nuit de plusieurs siècles.

Après cette renaissance, trente années sont passées, ce qu’on appelle les « Trente Glorieuses ». Et de nouveau, le même processus revient, avec la reconstruction de l’Europe et du Japon et leur compétitivité retrouvée, comme dans les années 1930. Sauf que l’on n’est plus dans les années 1930, mais dans les années 1970. La question qui se pose à l’époque comme et se pose encore aujourd’hui : « Est-ce que cette gangue impérialo-financière naguère coloniale est arrivée à son terme ? Force de dire que non. Plus grave encore, cette gangue impérialo-financière a corrompu, gangréné même les nouveaux venus, ceux qui détiennent les rênes de l’avenir des peuples du reste du monde ». Le chemin de l’indépendance des peuples tant au Nord qu’au Sud reste long et toujours à conquérir et reconquérir. Un baume cependant, ce chemin est un chemin de l’espoir.

 

Medjdoub Hamed

Auteur et Chercheur indépendant en Economie mondiale,
Relations internationales et Prospective

www.sens-du-monde.com

 

Notes :

 

1. « L’économie mondiale, un « écosystème économique autorégulé » relevant d’un ordre transcendantal ? » Medjdoub Hamed. 10 avril 2016
www.sens-du-monde.com
www.agoravox.fr
www.lequotidien-oran.com

2. « La hausse des prix du pétrole : une fatalité ou le retour du politique » Rapport d'information n° 105 (2005-2006)
 http://www.senat.fr/rap/r05-105/r05-1051.html)

3. « Chronologie du 20e siècle ?  » Edition Larousse. Page 1106 et 1110

 




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