mardi 20 mars 2007 - par Sylvain Rakotoarison

Contre les campagnes participatives

Les forums participatifs, les émissions politiques sur les grandes chaînes de télévision, tout semble montrer que le dialogue direct entre les candidats et le peuple est un élément déterminant de démocratie. Et si, au contraire, cela occultait la responsabilité pour définir l’intérêt général et renforçait le populisme ?

Je crois que je vais plutôt à l’encontre de la mode ambiante. Mais j’ai trop foi dans le débat politique pour qu’il soit ainsi escamoté.

La démocratie participative semble fleurer bon la démocratie tout court alors qu’avant tout, notre démocratie est représentative. C’est-à-dire que le pays est structuré de plusieurs couches qui permettent de sentir et de transmettre les besoins de la base et les décisions du sommet.

Comme dans une grande entreprise qui ne peut pas se passer de management intermédiaire.

Mais justement, avec la crise de la citoyenneté, on dit qu’il y a crise de la représentativité. Que les représentants du peuple, en premier lieu les parlementaires, ne représentent pas la société, car il n’y a pas assez de femmes, pas assez de jeunes, trop de fonctionnaires, etc. Ou plus simplement, qu’ils ne représentent pas ceux qu’ils sont censés représenter, comme les syndicats.

Alors, quelle solution nous donne-t-on ?

Une certaine forme très perverse de populisme.

Je ne veux pas parler de démagogie, car en campagne électorale, la démagogie est monnaie courante et classique, et finalement, ceux qui croient aux nombreuses promesses sont un peu naïfs quand même.

Je veux parler de la tentation de court-circuiter ces corps intermédiaires pour dialoguer directement avec le peuple. Un peu à la manière du Général de Gaulle ou de Napoléon III.

Sur le principe, je ne suis évidemment pas contre. Le suffrage universel direct est un élément essentiel dans notre démocratie. Le référendum est une méthode inattaquable pour faire les grandes réformes de notre pays.

Mais ça aboutit à des comportements totalement inquiétants et ridicules.

Le sommet de la campagne, à ce jour, était le passage de Ségolène Royal dans l’émission de TF1 « J’ai une question à vous poser » le 19 février 2007, avec une audience record.

Le principe même de l’émission est affligeant, car elle ne permet pas au candidat de présenter la cohérence de sa démarche politique.

Au contraire, il est question de répondre rapidement aux interrogations du « peuple », un peuple soigneusement choisi comme faisant partie d’un panel représentatif. Représentatif de quoi ? de qui ? Sans doute élu par les instituts de sondage.

Et le résultat, c’est surtout de tester la spontanéité du candidat, son esprit de répartie, sa capacité à improviser, à être franc ou langue de bois.

Mais ça donne une ambiance de clientélisme généralisé.

Pourquoi ? Parce que chaque personne qui pose sa question le fait en fonction de ses propres soucis : le demandeur d’emploi, l’étudiant, l’ouvrier, l’enseignant, etc., et ne songe (dans ce rôle) qu’à son intérêt particulier.

Or, un homme politique doit d’abord penser à l’intérêt général qui ne va pas forcément dans le sens de l’intérêt particulier de chacun.

Ainsi, cet ancien alcoolique qui explique qu’il est nécessaire de mener contre le vin et l’alcool en général la même bataille que contre le tabac, alors qu’à côté, un viticulteur attendait son tour pour raconter ses problèmes économiques face à la concurrence étrangère...

Le grand succès de ce type d’émission, qui est, entre parenthèses, un véritable renoncement au journalisme politique dont le but est de bien connaître les dossiers pour rectifier les erreurs des candidats, ainsi que l’affluence des forums participatifs organisés par Ségolène Royal n’ont en fait qu’une explication : le besoin des gens à être écoutés.

Mais un candidat à l’élection présidentielle n’est pas candidat à une élection locale. L’élu local, maire ou parlementaire, s’est transformé depuis quelques temps en véritable assistante sociale dans sa permanence et doit résoudre des problèmes particuliers de logement, d’emploi, de tracasseries administratives... L’élu du pays a en charge le destin du pays, il doit être là pour gouverner même si les mesures nécessaires sont impopulaires.

Et le grand risque d’une pratique participative de la démocratie, c’est l’absence d’intermédiaires, c’est finalement l’arbitraire de l’interprétation des doléances du peuple. En quelque sorte, c’est revenir aux cahiers de doléances et rapidement aboutir à une incohérence propice à un verrouillage ultérieur du régime.

J’attends pour cette campagne des débats politiques cohérents, où chaque candidat a la possibilité de présenter son projet de façon globale et cohérente.



6 réactions


  • arturh (---.---.119.98) 20 mars 2007 11:03

    Le « peuple » n’existe pas. Il n’y a que des gens. En politique on les appelle « citoyens ».


  • pierrarnard (---.---.86.85) 20 mars 2007 11:12

    Tres bonne analyse à mon sens.

    Confronter les candidats au quidam, qui ne cherche dans le politique qu’une solution égoiste à son quotidien,c’est ravaler le débat présidentiel au niveau des troubles de voisinage.

    Pendant ce temps l’élection approche et l’on a aucunement besoin d’évoquer de vrais projets d’interet collectif, et d’ailleurs a t’on besoin de projets de société pour se faire élire désormais ???

    Donner à chacun l’impression débilitante que l’on va lui tenir la main semble nécessaire et suffisant....

    Mais ou sont donc les journalistes ???

    Et chers candidats, une fois au pouvoir ????


  • jerome (---.---.128.244) 20 mars 2007 11:37

    @ l’auteur : excellent article ! Il devient en effet affligeant de vois tous ces débats « participatifs » qui ne mènent à rien , sinon à une cacophonie vide de sens et de possibilité quand au destin du pays . Il y a bien un candidat qui parle comme vous - un seul. J ’ offre un carambar géant à celui qui trouve cet impétrant ?!

    Bonne journée

    Jérome


  • bernard29 candidat 007 20 mars 2007 12:27

    Tout a fait d’accord voici deux propositions que je viens d’envoyer à madame CHABOT du service public.

    TELEVISION ET MEDIAS ;

    L’ égalité des candidats face aux médias nécessite un petit travail de recensement. En effet, sur les 11 à 12 candidats à l’élection présidentielle, nous aurons six candidats plus ou moins alter ou anti libéraux, à tout le moins révolutionnaires ; Buffet, Besancenot, Bové, Laguiller, Voynet et Schivardi qui vont se disputer 12 à 15 % des suffrages et peut être plus. Ainsi nous avons cinquante pour cent des candidats qui prônent une certaine révolution anti-libérale.

    Compte tenu de ce fait, j’ai l’honneur Madame Arlette Chabot, de vous demander de bien vouloir organiser une émission politique électorale qui aurait pour sujet ;

    « A VOUS DE JUGER LA REVOLUTION ».

    Toute cette gauche antilibérale qui a bruissé de débats plus ou moins confidentiels pendant des mois, pourrait organiser face aux électeurs, une explication publique sur leurs divergences, leurs raisons d’être, leurs convergences ou leurs modalités révolutionnaires.

    Ces candidats n’ont pas eu droit à une émission « à vous de juger » lors de la pré campagne. Il serait donc logique et équitable de leur offrir une telle tribune collective lors d’une émission spéciale de Antenne 2.

    L’organisation d’un tel débat sur les diverses propositions de « révolution » serait intéressante, constructive, et très informative pour les électeurs laborieux.

    Ainsi au lieu de compter les suffrages et leurs poids respectifs à l’issue de l’élection pour « des lendemains qui chanteront », ces mouvements pourraient également profiter de leur présence lors de cette émission pour une grande thérapie de groupe révolutionnaire en PRIME TIME face aux électeurs et peut être pour dépasser leurs esprits de chapelles.

    Nous comptons sur vous et le CSA. Le service public nous doit bien cela.

    Près de cinquante pour cent de candidats révolutionnaires à une élection présidentielle en France, c’est quand même quelque chose qui fait partie de notre IDENTITE NATIONALE.

    On en profiterait pour comprendre leur volonté commune ou leur engagement collectif pour UNE SIXIEME REPUBLIQUE bien entendu.

    A ce sujet , je vous suggère également une émission ?

    « A VOUS DE JUGER LA CINQUIEME REPUBLIQUE »

    qui serait également une bonne émission thématique, et dans l’air du temps, puisque tous les partis sans exception proposent des réformes institutionnelles et près de 80 % prônent une Sixième République.

    Madame Chabot, ces émissions thématiques électorales seraient à n‘en pas douter très pédagogiques et plus démonstratives que nos traditionnels « entretiens d’embauche » télévisés qui font le succès des électeurs consommateurs de personnalités.

    Je vous remercie de votre attention


  • Hervé Torchet (---.---.127.148) 20 mars 2007 22:39

    Cet article est juste sur les dérives des médias, dont le but est plus de crétiniser les gens que de les mettre en prise avec de vrais débats.

    En ce qui concerne le débat direct entre le candidat et le peuple, ou les gens si l’on préfère (mais l’un ne me paraît pas exclusif de l’autre), il faut voir l’aspect positif, qui est que le président incarne l’histoire du pays, il est le point de rencontre du passé et de l’avenir.

    L’élection est occasion plus ou moins consciente de réfléchir à l’histoire de la France, pour le passé comme pour l’avenir. C’est le sens que tous cherchent.

    C’est pourquoi il faut au candidat de la carrure en plus du charisme.


  • chrisnow (---.---.65.128) 20 mars 2007 23:00

    Il y a également un problème, lié à la mise en retrait du journaliste : le candidat répond à des questions , avance des chiffres, sans être contredit. Cela dit, quand il y a un journaliste, cela n’est pas forcément synonyme de qualité, comme on a pu le voir ces derniers temps..


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