mercredi 29 août 2007 - par Vincent Frédéric Stéphane

Cousteau et l’évolution des mentalités

J’ai regardé hier soir un documentaire de Cousteau diffusé sur Ushuaia TV. Je le daterais de la fin des années cinquante. Que de chemin parcouru depuis ! Et que de chemin restant à parcourir...

On y voit la Calypso suivant un groupe de cachalots. Le bateau heurte l’un d’eux. Cousteau écoute ses signaux de douleur et constate que d’autres cachalots le rejoignent et le réconfortent. Le bateau suit la petite troupe quand un jeune coupe sa route et se fait profondément lacérer par l’hélice. On nous fait apprécier les dégâts dramatiques depuis le pont puis par des images sous-marines qui permettent effectivement de mieux voir les quantités de sang perdu. Une fois ces images prises, on décide d’abréger les souffrances de l’animal en le harponnant et en lui tirant une balle dans la tête. Passons, ce sont des choses qui peuvent arriver et ce serait procès d’intention que de penser que les souffrances n’ont été abrégées qu’après qu’un stock d’images spectaculaires a été constitué.

On garde le cachalot mort arrimé au bateau. Surviennent alors des requins. On les voit rôder, effleurer la chair offerte un certain temps avant de se ruer pour la dépecer. Rien à dire non plus, ce sont des choses de la vie marine. Par contre, cela se gâte après que Cousteau ait fait remarquer que le requin est l’ennemi du plongeur... Voilà que l’équipage se met à crocheter les squales et à les remonter sur le pont pour les finir à la hache d’incendie, par le côté qui ne coupe pas. Et pas deux ou trois, mais une bonne quinzaine de requins, massacrés dans la joie et une prise de risque invraisemblable de nos jours. Que personne n’ait été blessé dans ce carnage est un miracle.

Après cet intermède ludique et vengeur, on a droit à des images de bidasses écrasés par la chaleur et se taquinant au jet d’eau. De vrais gamins.

Puis on se transforme en Christophe Colomb débarquant en Amérique. « Terre, terre, droit devant » crie la vigie et l’équipage embarque sur une chaloupe et se met à explorer, en courant s’il vous plaît, la petite île abordée. Elle est peuplée de tortues géantes. Des milliers de tortues végétariennes sans prédateurs. Un paradis pour les tortues. Et voilà que ces mêmes gamins se mettent à jouer avec les tortues en leur montant dessus, sur deux à la fois, en s’en servant de table et de fauteuil de pique-nique, organisant des courses avec les tortues pour montures. Effarant.

Dans la droite ligne de tout ceci, on découvre que l’île est habitée notamment par un jeune noir qui récolte les œufs des tortues. Un dialogue s’instaure par lequel l’autochtone apprend à l’équipage ce qu’il sait de la ponte des tortues. En quelle langue parle-t-il l’autochtone ? En piti noir si vous pli. Li tortu ceci, li tortu cela. Affolant !

Que l’on ne se méprenne pas. Cousteau n’est pas en cause. C’est l’époque et le niveau de nos consciences d’alors qui est en cause. J’ai dû voir ce documentaire en son temps sans être particulièrement choqué ou alors seulement par la mise en scène de « l’autochtone ». Que l’on massacre des requins dans la bonne humeur et le sentiment du devoir accompli ne m’aurait sans doute pas dérangé, à l’époque. Et Cousteau a évidemment participé de la prise de conscience que certaines choses ne se font pas, pas pour des considérations morales mais simplement parce qu’il n’y a aucun plaisir à traiter autrui, quel qu’il soit, comme un ennemi ou quantité négligeable.

Que de chemin parcouru depuis ! Et que de chemin restant à parcourir...



15 réactions


  • Francis, agnotologue JL 29 août 2007 11:01

    Bon article. Mais vous dites : «  »Que de chemin parcouru depuis !«  » Vous le croyez vraiment ? Je crois que la barbarie s’est déplacée, ailleurs.

    J’ai lu des récits relatant l’attaque de petits bateaux par des orques. Peut-être agissaient-ils en souvenir d’une telle rencontre.


    • La mouche du coche La mouche du coche 29 août 2007 11:20

      @ l’auteur,

      et vous n’avez pas parlé du moment où Cousteau raconte que pour étudier la faune d’un massif de corail, il a besoin de compter les poissons et utilise ... de l’EXPLOSIF sous-marin ! smiley

      (je crois que c’est dans le film « jojo le mérou » )


    • renaud 29 août 2007 12:26

      Heeeeeu les orques ne sont pas de la famille des requin tout d’abord : le requins est un poisson et l’orque un mammifère marin, vague différence... De plus, et je crois que cela a beaucoup plus attrait à la légende ; il y a moby dick et le calamar de jules verne aussi...


  • LE CHAT LE CHAT 29 août 2007 11:23

    l’homme au bonnet rouge a permi au monde du silence de faire entendre sa voix, des progrès ont été accomplis , mais un océan de choses à faire est nécessaire pour que la biodiversité des mers ne sombre pas dans les abysses de l’histoire .


  • Patience Patience 29 août 2007 11:39

    Faudra-t-il censurer Cousteau pour les mêmes raisons que celles qui ont déjà frappé l’oeuvre de Hergé ?

    Je n’ai pas vu ce documentaire. Etait-il précédé d’un avertissement invitant le téléspectateur à recadrer son contenu avec les réalités de l’époque ?


    • Vincent Frédéric Stéphane 29 août 2007 13:14

      Loin de moi l’idée de vouloir censurer quoi que ce soit ni de juger le passé avec mes yeux d’aujourd’hui pour citer Actias. Je ne pense pas que le documentaire ait été précédé d’un avertissement.


    • Vincent Frédéric Stéphane 29 août 2007 13:10

      Moi aussi j’ai été étonné par la balle unique pour tuer le cachalot bien que je ne sois plus tout petit...

      Entièrement d’accord avec vous sur le fait qu’il découvrait une nature inconnue et sur les implications que cela suppose.

      J’aime bien votre formulation « juger le présent avec les yeux du demain » et suis convaincu que même les plus conscients d’entre nous passeront pour des barbares dans un avenir de plus en plus proche.

      Sur la question d’arrêter la consommation de cadavres, je pense que je franchirai le pas sous peu mais je me laisse le temps de savourer certaines des contradictions qui me restent avant de les tuer.


  • philou 29 août 2007 12:54

    Il s’agit du « Monde du silence », Palme d’Or à Cannes en 1956.

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Monde_du_silence


  • fb 29 août 2007 17:46

    À un demi siècle d’intervalle difficile de juger un comportement, ce qui est avéré en revanche c’est que Cousteau a réussi à médiatiser sans commune mesure le monde sous-marin. Petit rappel : la plongée autonome c’est en partie grâce à lui, le premier appareil photo amphibie (le Nikonos) également... Est-ce que les choses changent ? Non. Il suffit de lire cet article pour ne voir que de l’emballage politiquement correct. Nous avons et continuons à détruire les océans ; la ressource halieutique s’épuise dans des proportions terrifiantes (75 % de réduction en 50 ans) dans l’indifférence générale, « heureusement » il reste les aquariums et les films de Cousteau...


  • L'enfoiré L’enfoiré 29 août 2007 18:40

    Bonjour,

    Après avoir été à la recherche de tous les poissons pendant toute sa vie, il a été ferré comme un vulgaire poisson par sa 2ème épouse. Son entreprise est du coup valsée dans les oubliettes.

    Son fils a écrit l’histoire qui a suivi la mort du père. Quel gâchis. Il ne reste que les films d’époque pour nous rappeler de cette période glorieuse qui nous faisait comprendre ce qu’était le « Monde du silence ».  smiley


  • shiba67 shiba67 30 août 2007 01:44

    Ce qui est désolant c’est de voir la calipso rouiller dans le musé de La Rochelle Je trouve ça moche .


  • finael finael 31 août 2007 13:16

    Ayant rencontré à de nombreuses reprises Jacques-Yves Cousteau depuis l’époque où il dirigeait le musée océanographique de Monaco (j’étais encore très jeune), je pense pouvoir dire qu’à l’époque, ce co-inventeur du scaphandre autonome s’intéressait plus à la plongée proprement dite et à la découverte du monde sous-marin qu’à sa préservation.

    Il cherchait alors à faire découvrir ce monde sous-marin, qui n’était pas encore en péril, à ses contemporains.

    Son intérêt était de montrer des images, et, à l’époque, ce genre de « massacre » ne dérangeait personne, y compris lui-même.

    C’est quand l’intérêt s’est transformé en intérêt industriel, à l’encontre de son émerveillement, qu’il a commencé à faire campagne pour la préservation de « son » monde.

    Pour mémoire, le premier film de Cousteau primé à Cannes c’est « Carnets de plongée » en 1951, « Le monde du silence » (que j’ai bien évidemment) l’a été en 56.


  • Lucien Lacombe 22 mai 2008 09:53

     C’est touchant cette anecdote... ça m’a remonté des souvenirs aussi...

    J’étais hier soir à un dîner en plein dans le sujet : vivons nous une époque plus "civilisée" aujourd’hui ? Dans la forme, certes, dans le fond, bof...

    Lucien


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