lundi 4 octobre 2010 - par Garnier Denis

D.R.H. : en Direction des Reculs Historiques !

De 1840 à nos jours, le travailleur est passé de l’état de marchandise à celui de ressource. Faut-il rappeler qu’au XIXème siècle devant la condamnation morale, les esclavagistes français se replièrent derrière des arguments économiques opposés : sans l’esclavage, affirmaient-ils, la prospérité de la France ainsi que sa position dans le concert des nations seraient mises en danger. Le Medef et le Gouvernement actuel, ce qui est un peu la même chose, ont changé le mot esclavage en revenu du travail. Si l’on augmente les salaires aujourd’hui, affirment-ils de concert,la prospérité de la France ainsi que sa position dans le concert des nations seraient mises en danger. Comme le recours à l’esclave au XIXème, la baisse des salaires assure la prospérité au XXIème ! La gestion des ressources humaines est un vocabulaire plus intégré. Il m’est pourtant désagréable d’entendre dire de moi que je suis une ressource humaine. Je ne suis ni un esclave, ni une marchandise du XIXème siècle, ni un matériau, ni un objet que l’on utilise, que l’on épuise et que l’on jette, comme toutes les matières premières.
Le Français est notre mère, notre identité nationale, notre langue, notre moyen de communication. Ses mots sont propres, doués d’une définition qui unie la pensée et rassemble les hommes qui la parlent, l’écrivent et l’expriment. Il est donc important de la respecter. En détourner le sens est un chemin qui conduit à la perte d’identité et c’est pourquoi nous avons une Académie Française, mère de notre langue et de ses évolutions. Dans la VIIIème édition de son dictionnaire, le mot « ressources », est un nom féminin, ici au pluriel. Il sert à désigner un être, une chose ou un ensemble d’êtres. Le mot « humaine » est employé comme un adjectif, c’est-à-dire un mot dont la fonction essentielle est de s’ajouter aux noms ou aux pronoms pour les qualifier ou les déterminer. Ainsi les ressources seraient humaines ? 
Qu’est-ce qu’une ressource ? Le dictionnaire de l’académie a évolué au fil des siècles. Dans la 5ème édition de 1798, la ressource est ce qu’on emploie et à quoi on a recours à l’extrémité pour se tirer de quelque embarras, pour vaincre des difficultés. La 8ème édition de 1932 prenant en compte l’ère industrielle fait évoluer le sens qui devient ce qui peut fournir ce dont on a besoin ; moyen d’action.
Il apparaît très vite que ce mot ressource est davantage approprié au rapport à l’argent qu’à la condition humaine.
L’Académie citeLa Comédie humaine, d’Honoré de Balzac (écrite de 1830 à 1850) ; Humain, trop humain, de Friedrich Nietzsche (1878) ; La Bête humaine, d’Émile Zola (1890) ; La Voix humaine, de Jean Cocteau (1930) ; La Condition humaine, d’André Malraux (1933) mais point de ressources humaines de Madame Parisot 2010. !
L’espèce humaine. Le genre humain. Les sociétés humaines. Des groupements humains. L’esprit humain. La raison humaine, l’entendement humain, l’échelle humaine, mais toujours pas de ressources humaines. Quels sont les synonymes d’humains ?
Bienveillant (ressources bienveillantes ?) bon, charitable (ressources charitables ?) clément, compatissant, compréhensif (ressources compréhensives ?), doux (ressources douces ?) généreux, indulgent, miséricordieux, secourable, sensible, tendre, etc.
En fait qu’importe le sens des mots pour les bourreaux. Pour eux, les meilleurs adjectifs associés aux ressources humaines seraient charitables, bienveillantes, compréhensives et de préférence non syndiquées. L’essentiel, c’est de faire travailler les ressources le plus longtemps possible, pour le moins cher possible, avec un profit maximum.
Il faut passer, pour employer une formule de M. Patrick Légeron,[2] « d’une gestion des ressources humaines à une gestion humaine des ressources. Les salariés ne sont pas une ressource que l’on forme, mute, licencie au gré de la volonté de leurs dirigeants. »
Il pense « qu’une analyse sémantique confirme d’ailleurs ce sentiment : n’y-a-t-il pas une certaine violence dans le fait de considérer les salariés comme des « ressources humaines » ?
Le vocable de ressources humaines, même s’il est un jour validé par l’Académie Française, traduit bien une appartenance à des notions de management des richesses produites par les hommes. Si l’on ne veut pas changer le sigle de DRH, peut-être pourrions-nous en changer les mots et parler de Directeur des Relations Humaines. Mais le titre, « Directeurs des Reculs Historiques » traduit pourtant au plus près la posture de cette profession qui accouche de son appellation à la fin des années 1970, tournant économique qui a permis de transférer près de 10% du PIB, du travail au capital.
C’est bien la Direction d’un Recul Historique pour les travailleurs.
 
Gardarist


 
[1] Version 1.3
 
[2] Psychiatre et directeur général du cabinet Stimulus, auteur du rapport sur la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail. Extrait de son intervention dans le cadre d’une table ronde au sénat sur mal être au travail en 2010.


5 réactions


  • Ecométa Ecométa 4 octobre 2010 12:47

    Nous marchons de plus en plus sur la tête !

    Tant que la politique comme l’économie utiliseront la société au lieu de la servir : rien ne s’arrangera !

    C’est une affaire de fin et de moyens ! Une affaire de moyens en adéquation avec une fin, et non de moyen pour le moyen : d’un moyen politique ou économique qui se regarde technoscientifiquement le nombril !

    Quelle est, en tout entendement, en toute intelligence, et non d’un point de vue malin, celui d’une intelligence plutôt marquée de l’empreinte de la « malignité » que d’une réelle intelligence : quelle est la réelle finalité de la politique ? De même : quelle est la réelle finalité de l’économie ?

    Qu’est-ce que la politique ? Qu’est-ce que l’économie ? En fait, tout dépend de quel point de vue, simpliste ou complexe, on se place : d’un point de vue essentiellement utilitariste ou finaliste ?

    D’un point de exclusivement utilitariste la politique comme l’économie utiliseront la société, alors que d’un point de vue finaliste : elles serviront la société !  Système exclusivement de moyens mis en œuvre, du moyen pour le moyen ; ou système de fin avec des moyen en adéquation avec cette fin ?

    Quelle est la vraie nature de la politique ? Quelle est la vraie nature de l’économie ? Il faut avant tout, pour être certains de savoir précisément de quoi l‘on parle, définir ce genre de chose ; avant toute autre chose : leur nature est sociétale ! Le rôle d’une politique respectable, comme d’une économie tout aussi respectable, c’est de servir la société des humains !

    Avant d’être des moyens mis en œuvre, tellement facile à détourner, et sauf à devenir de véritable cercle vicieux, des tautologies, ces systèmes sont de nature sociétale et ils ne doivent pas être détournés,  malheureusement comme nous le faisons si parfaitement, s même si savamment, de cette nature et de cette finalité sociétale !

    Nous devons nous interroger individuellement, mais également collectivement, et savoir, au plan humain, ce qui nous motive ou motive ceux que nous côtoyons, voire ceux qui nous dirigent ! Cette motivation est-elle gouvernée par des principes humainement élevés ou par des pratiques bassement humaines ? Des principes ontologiques, déontologiques, éthiques et altruiste, ou des pratiques bassement humaines : individualiste, cupide, utilitarisme, de domination de l’autre, des autres !


    C’est le rôle d’une société civilisée que d’éviter de tels comportements !

    Il faut en finir avec la confusion entre fin et moyen, et de ce point de vue l’éthique de Kant peut nous y aider :

    Agis de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée par ta volonté en une loi universelle » et non individuelle ou personnelle.

    Agis de telle sorte que tu traites l’humanité en toi-même et en autrui comme une fin et jamais comme un moyen.

    Agis comme si tu étais législateur et sujet dans la « République » des volontés libres et raisonnables.

    Il conviendrait que l’Ethique de Kant soit inscrite dans la constitution : qu’elle soit inscrite dans toute constitution républicaine démocratique digne de ce nom !

    Lire la suite ▼

  • cathy30 cathy30 4 octobre 2010 13:48

    merci gardarist pour cet excellent article
    Pour ma part je fais de la résistance, j’écris toujours sur mon courrier service du personnel. et je crois que je vais continuer je me vois très mal mettre ’direction d’un recul historique".  smiley


  • LE CHAT LE CHAT 4 octobre 2010 15:05

    DRH  : Diminuer les Rémunérations Habituelles , ça doit être le but actuel !


  • Emile Red Emile Red 4 octobre 2010 18:03

    Pourquoi « ressources humaines », parce que comme tout élément caduque, les ressources s’épuisent et que l’humain quand il est épuisé, on le jette.......


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