Daech, un « Frankenstein » au service d’Israël
Au moment où les successeurs de Daech / Al-Qaïda lancent une offensive majeure en Syrie, pays considéré comme la « colonne vertébrale de l'Axe de la Résistance à Israël » (Iran, Syrie, Irak, Yémen, Hezbollah & Hamas), cette interview par CNN de Wesley Clark, ancien Commandant suprême de l'OTAN qui affirme que Daech a été créé et financé par les « amis et alliés » de Washington pour « combattre le Hezbollah », rappelle l'ampleur de l'ingérence étrangère dans ces événements.
Interview de Wesley Clark, ancien commandant suprême des forces alliées de l'OTAN
CNN, 11 février 2015
Traduction Alain Marshal
Abu Bakr al-Baghdadi, ancien chef d'Al-Qaïda en Irak devenu Daech, et son ancien lieutenant, Abu Mohamed al-Julani, créateur du Front al-Nosra en Syrie et actuel chef de Hayat Tahrir al-Cham.
Journaliste : Je suis maintenant rejointe par le Général Wesley Clark, ancien Commandant suprême des forces alliées de l'OTAN et auteur du livre N'attendez pas la prochaine guerre. Enchantée de vous voir, Monsieur.
Nous attendons l'intervention du Président Obama. Je parlais tout à l'heure avec notre correspondant à la Maison Blanche, Jim Acosta, qui, lors du briefing quotidien, posait des questions sur ce que nous entendrons du Président. Il se demandait si son message serait intentionnellement flou, c'est le terme qu'il a employé. Cela illustre en partie le problème : le Président n'a pas été clair sur sa stratégie dans cette guerre. Pensez-vous que nous aurons un message clair ?
Wesley Clark : Je pense que nous aurons davantage de clarté que par le passé.
Journaliste : Davantage de clarté.
Wesley Clark : Oui, davantage de clarté. En ce qui concerne la lutte contre Daech, le Président va ou a déjà demandé au Congrès une autorisation légale d'utiliser la force. C'est une étape nécessaire, car nous ignorons encore comment la bataille contre Daech évoluera.
Il est évident que cela ne peut se régler avec la seule puissance aérienne. Nous comptons sur les membres de la coalition pour fournir des troupes au sol. Ces derniers auront besoin d’aide, notamment un appui aérien rapproché des États-Unis. Cela n’est possible qu’en envoyant des forces spéciales pour les accompagner.
Journaliste : Pensez-vous que nous entendrons cela aujourd'hui ?
Wesley Clark : Je pense que vous entendrez des indications dans ce sens.
Journaliste : Mais rien de spécifique concernant des troupes de combat au sol ?
Wesley Clark : Je ne pense pas qu'il annoncera l'envoi de troupes de combat au sol. J’espère que ce ne sera pas le cas, car je ne crois pas que la situation le justifie.
Notre expérience passée dans la région montre que ce n’est pas la solution idéale.
Journaliste : D’accord. Et que pensez-vous de l’absence de limites géographiques dans cette bataille ? Qu’est-ce que cela révèle sur les renseignements dont disposent le Président et le Pentagone concernant Daech, notamment dans les pays voisins ?
Wesley Clark : Je pense qu'il est essentiel de maintenir une certaine flexibilité géographique à ce stade.
Nous savons ce que nous faisons en Irak. En Syrie, nous avons été quelque peu limités. Il reste de grandes questions géopolitiques à résoudre. Par exemple, si vous éliminez Daech en Syrie par des moyens militaires importants, où cela nous laisse-t-il vis-à-vis de Bachar al-Assad ? Il n’y a pas de réponse à cela.
Journaliste : C’est vrai.
Wesley Clark : Par ailleurs, nous ne souhaitons pas coopérer avec Bachar al-Assad, les Iraniens, le Hezbollah et les Russes, car ils ne sont pas nos alliés non plus. Cela nous place dans un dilemme, et il est nécessaire de conserver une certaine ambiguïté à ce sujet. Mais nous avons besoin de l’autorisation pour suivre les pistes, déployer nos troupes et avancer nos positions.
Ecoutez, Daech est né grâce au financement de nos amis et alliés. Comme on le dit souvent au Moyen-Orient, si vous voulez recruter des combattants prêts à se battre jusqu’à la mort contre le Hezbollah, vous n'y arriverez pas avec des slogans du type : « Engagez-vous pour construire un monde meilleur. » Vous recrutez des fanatiques, des fondamentalistes religieux. Ce sont eux qui se battent contre le Hezbollah.
Journaliste : Mais Général, je comprends votre point sur l’ambiguïté en Syrie...
Wesley Clark : C’est un peu comme un Frankenstein.
Journaliste : Oui, mais la Syrie, l’Iran, la Russie et le Hezbollah, eux, ont été très clairs dans leur volonté de détruire et démanteler Daech. Il n’y a aucune ambiguïté là-dessus. La question est : s’ils éliminent Daech en Syrie, ce qui est leur objectif, que se passe-t-il pour Bachar al-Assad ? Il doit bien y avoir un plan pour cette étape.
Wesley Clark : Oui, mais certaines choses ne peuvent pas être planifiées avec précision, car elles relèvent de la politique. Une partie de la question est : pouvons-nous convaincre les Russes de retirer leur soutien à Bachar al-Assad ? Comment ? Eh bien, nous traitons actuellement avec les Russes en Ukraine, et ils ne se montrent pas coopératifs.
Journaliste : Non, pas du tout.
https://www.youtube.com/watch?v=BH9SHxetO1I
Wesley Clark : En fait, du point de vue de Poutine, c’est probablement l’opposé. Il se dit que puisque les Américains ont besoin de lui sur le dossier iranien, parce qu’ils n’ont pas de troupes terrestres en Syrie, ils comptent en fait sur lui. Donc, il se sent libre d’avancer ses pions en Ukraine, convaincu que les Américains ne réagiront pas, par peur de perdre sa coopération ailleurs. Voilà comment Poutine joue la partie.
C’est une situation complexe. On ne peut pas toujours tout prévoir de manière linéaire. Mais nous devons obtenir l’autorisation d’envoyer des troupes terrestres, car nous ne voulons pas que nos adversaires se disent : « Les Américains n’interviendront pas ici, car ils n’en ont pas le droit. »
J’aimerais que les limites géographiques restent larges. Je pense que le Président comprend qu’il devra rapprocher certaines personnes des troupes au sol. Notre expérience en Irak et en Afghanistan a montré qu’il faut des gouvernements pour résoudre ces problèmes. Se contenter de tuer des gens ne résout rien. Et la gouvernance ne peut pas être assurée par les États-Unis.
Journaliste : Je suis heureuse que vous évoquiez Poutine. Je parlais récemment avec Mikhaïl Saakachvili, l’ancien Président de la Géorgie, qui me disait que Poutine adore voir l’attention des États-Unis focalisée sur l’Irak et la Syrie. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles il semble tirer profit de la situation.
Wesley Clark : Cela ne fait aucun doute.
Journaliste : Aucun doute. Général Wesley Clark, merci d’avoir été avec nous.
Wesley Clark : Merci à vous.
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