jeudi 17 mai 2012 - par Argo

Dans le sillage de Titan Salvage (2/5)

Le Cougar Ace, a chaviré en plein océan Pacifique Nord. Une équipe de Titan Salvage est dêpéchée sur les lieux. Suite de l'épisode 1.

Lundi 24 Juillet 2006. Pacifique Nord.

Dans les heures qui ont suivi l’accident du Cougar Ace, les Coast Guards et l’Air National Guard se mobilisent. Dès l’aube, deux Lockheed HC-130 Hercules patrouillent sur zone. Ils repèrent le Cougar Ace, couché sur l’eau, et lui envoient plusieurs radeaux de sauvetage. Trois hélicoptères, deux Pave-Hawk et un Jay-Hawk décollent de la base de Kuros à Anchorage. Après avoir été ravitaillés en vol par les HC-130, ils parviennent sur zone à 9 heures. 22 membres d’équipage se sont regroupés sur une plate-forme, 40 mètres au-dessus de l’eau. « Lucky » Kyin, que ses collègues croyaient bel et bien disparu, s’accroche toujours au bastinguage.

Compte-tenu de la gite du navire, les sauveteurs décident de ne pas prendre le risque d’embarquer les hommes sur les radeaux. A 10 heures, les 23 membres d’équipage ont été hélitreuillés. Ils sont ramenés sains et saufs à Anchorage où Mitsui OSK Lines — l’armateur du navire — organise leur rapatriement au plus vite, non sans leur avoir imposé un silence total. Pas un mot ne doit filtrer sur les causes du naufrage. Kyin, hospitalisé sur place pour soigner sa fracture à une jambe, reçoit bien la visite de la presse, mais il ne se montre guère bavard.
Au journaliste du Anchorage Daily News qui l’interroge sur l’origine de l’accident, il confie seulement que cela a « interrompu sa douche » et qu’il a « mal partout ». Pour le scoop, on repassera. Quant aux Coast Guards, ils ne lanceront pas d’enquête. L’affaire est survenue hors des eaux territoriales.
 
 
Pour Rich Habib, peu importe comment on en est arrivé là. La seule chose qui compte à ses yeux, c’est un navire fantôme à la dérive, plus de dix millions de dollars de primes qui menacent de s’engloutir et de lui passer sous le nez, s’il n’intervient pas rapidement. Selon son équipage, le Cougar Ace peut sombrer à tout moment. Au pire, il pourrait aller se fracasser à la côte, libérant les 600 tonnes de carburant contenus dans ses soutes. La pollution porterait un coup terrible à la réputation de Mitsui et de Mazda.
Titan Salvage a proposé un contrat classique dit LOF (Lloyd's Open Form). Les clauses sont claires : si Titan ne parvient pas à sauver le bateau, Mitsui ne débourse pas un cent. Dans le cas contraire, Titan perçoit un pourcentage de la valeur totale du navire et de sa cargaison. Quel pourcentage ? Le jeu du chat et de la souris s’engage. Les négociations s’éternisent.
 
Mardi passe. Parvenus à Anchorage, Rich Habib et son équipe rongent leur frein. Mercredi. Mitsui hésite à se montrer généreux ; selon ses experts et les premiers contacts établis avec le commandant, le navire faisait eau lors de l’abandon. La probabilité est grande qu’il fasse son trou. Mais jeudi, le maudit rafiot s’entête toujours à flotter. Pire, poussé par 25-30 noeuds de vent de Sud-Est, il dérive à la vitesse de 2 nœuds vers les côtes de l’Alaska. Si ces conditions perdurent, il pourrait s’y échouer dans quatre ou cinq jours. À la perte du navire et de sa cargaison vient se substituer le spectre d’une pollution aux conséquences désastreuses, en termes d’image et de finances. Mitsui finit par céder. Nous sommes le vendredi 28 juillet. Dès le deal conclu, Titan affrète un CESSNA Conquest afin d’acheminer au plus vite l’équipe vers le port de Dutch Harbor, situé près de 1 300 kilomètres à l’Ouest d’Anchorage. De là, ils rejoindront le Cougar Ace par la mer. Ils sont sur le point de décoller quand un quatrième membre rejoint le groupe : Hank Bergman, alias « Le cowboy ».
 
hank_bergmanDepuis le petit village suédois de son enfance, Hank a toujours fantasmé sur l’Amérique et la country music de Hank Williams. Son diplôme d’officier mécanicien en poche, il s’est embarqué sur le premier navire marchand en partance pour les USA. Au cours de ses premières années de navigation, Hank s’est bâti la réputation de pouvoir réparer n’importe quelle machine, de la plus minuscule à la plus gigantesque. Dès le départ, il a été de l’aventure Titan Salvage, si bien qu’il n’a eu aucune difficulté à réaliser son rêve de gamin. Il a acheté un bon bout de terrain du côté de Durango, Colorado, et y a fait construire un ranch pourvu d’un garage assez vaste pour abriter ses deux Jeeps et sa Mercedes 560SL. Dans le Boeing 737 d’Alaska Airlines qui vole vers Dutch Harbor, un cowboy aux boots de cuir noir salue ses camarades, un parfait cowboy… à l’accent suédois à couper au couteau.
 
Samedi 29 Juillet. Dutch Harbour, île d’Unalaska.
 
Le ciel est si bas qu’on n’en sort pas même au moment où l’avion touche la piste. L’aérodrome est désert. Ici, personne n’attend personne. A la sortie, la route file droit entre les entrepôts, les maisons en bois peint, l’église orthodoxe russe aux coupoles vertes, le pub et le néon rouge de son enseigne. Un ruban de bitume luisant comme un dos d’otarie s’étend sur quelques centaines de mètres, longe le port, et puis s’arrête aux limites de la ville, n’ayant plus nulle part où aller. Ailleurs, partout, il y a l’eau, sa présence obsédante, la mer relayée par les canaux, les lacs, les glaciers, l’eau dure, l’eau froide, tout autour, qui enserre la ville et ses habitants.
 
Dutch Harbour est un des derniers endroits au monde où l’on peut encore se perdre et disparaitre. Sur l’île, depuis les temps très anciens des premiers indiens Aléoutes, on vit pour pêcher et on pêche pour survivre. Deux fois par an, en octobre et en janvier, la pêche au crabe des neiges attire les flottilles de schooners caseyeurs et, avec elles, débarquent les aventuriers de la planète, les insomniaques du rêve américain venus ici chercher fortune, se battre sur la mer et dans les pubs, fumer du crack, gagner leur vie, la bousiller surtout, en mer et sur terre. Tous ceux qui connaissent le bled vous le confirmerons : Dutch Harbour, ce n’est pas la fin du monde, mais de là on peut l’apercevoir. Une ville où personne ne s’arrête, une chimère.
 
N’empêche ! « Welcome to Dutch Harbour » proclame une imposante pancarte de cèdre rouge qu’Habib, Johnson, Trepte, et Bergman voient s’effacer dans la brume, depuis la timonerie du Makushin Bay, le navire de sauvetage en mer qui les emporte vers la haute mer à pleine vitesse. A bord, Titan a rassemblé l’équipement nécessaire : des groupes électrogènes, un compresseur et du matériel de plongée, des outils pour la réparation des machines et le découpage de l’acier, des pompes d’assèchement... Le bazar habituel. Chacun inspecte son fourbi tandis que Johnson commence à modéliser le Cougar Ace d’après les photographies et les plans transmis par Mitsui.
 
Dimanche 30 Juillet. En mer, 140 milles au Sud des Aléoutiennes.
Un point sur l’horizon grossit au fur et à mesure qu’on s’approche, enfle démesurément, rétrécissant la taille des objets qui l’entourent, la vedette des Coast Guards, l’hélicoptère armé d’un canon de 76 mm qui le survole, le Makushin Bay. On a l’impression d’émerger d’un trou noir pour atterrir en nain dans l’univers d’un géant.
 
Le monstre est couché sur le flanc gauche, dévoilant la ceinture rouge de sa carène. Son hélice tribord et son gouvernail, immobiles, pendent impuissants au-dessus de l’eau. Il dérive vers le Nord à la vitesse d’un nœud, et n’est plus qu’à 140 milles nautiques des côtes. « Putain ! » grommelle Trepte.
 
Six heures plus tard, le Makushin Bay dépose les hommes sur la plage de manœuvre arrière du Cougar Ace. Vite, la progression s’avère trop périlleuse et Habib se ravise. Il demande à l’hélicoptère H-65 des Coast Guard de les hélitreuiller à bord. Dan Magone, le patron du Makushin Bay, les accompagne. Sur cette opération, il a été appointé comme consultant par Titan. Après plus de 27 années passées à venir en aide aux bateaux de pêche en péril, cette mer n’a plus de secret pour lui. Il en connaît les courants, les marées, les vents, les hauts fonds et les roches isolées. Il a payé pour en savoir la dureté.
 
Pour l’heure, la mer est calme. Habib estime que la gîte, autour de 60 degrés, ne s’accentue pas. La première chose à faire est de déterminer précisément combien d’eau a été embarquée dans les cales du navire, de façon à alimenter le modèle de Johnson.
Habib commence à déballer les cordages de son sac et à les disposer sur le pont. Se frayer un passage dans le navire réclame des compétences d’alpiniste. Heureusement, Habib sait ce qu’il fait. Il possède à son actif plusieurs ascensions délicates dans les Rocheuses Canadiennes. Une fois, alors qu’il redescendait du sommet, il a été attaqué par un loup qui lui a laissé une longue cicatrice à la jambe et un boitement léger. Cela l’aide à relativiser. Après tout, il ne s’agit cette fois que de vaincre une minuscule montagne, et il n’y aura pas de loups pour les agresser.
 
Chacun allume sa lampe frontale. Les générateurs du navire ont rendu l’âme. Il fera nuit noire, à l’intérieur. De plus, les épaisses parois d’acier du bordé bloqueront les émissions des radios portatives, empêchant toute communication avec le monde extérieur. A partir de maintenant, chacun ne pourra compter que sur les autres membres de l’équipe.
 
S’enfonçant dans le ventre du navire, les hommes balancent dans l’obscurité le long des cordages jusqu’à atteindre un panneau donnant sur le pont principal du garage, au niveau 9. Ils parviennent à le déverrouiller avec difficulté. Depuis l’ouverture, les pinceaux de leurs lampes fouillent le garage, éclairent des rangées de voitures arrimées au pont par des sangles de nylon, avant de se perdre dans les ténèbres de la cale. Il va falloir descendre dans cet enfer. A intervalles réguliers, une lame plus puissante que les autres fait s’incliner le navire. Chacun retient son souffle, craignant le point de non-retour. Les sangles se tendent à l’extrême et les cales résonnent d’un concert de grincements sinistres, puis le navire revient et un calme relatif s’installe. Jusqu’à la prochaine lame. Il fait froid. L’acier ruisselle d’humidité et d’huile. Un cauchemar claustrophobe et glacé.
 
Sans un mot, Trepte allonge une corde et se laisse glisser par l’ouverture.
 
 
Crédit (texte original et photos) : Wired (photos) : US Coast Guard
Article complet (Wired : en anglais)


3 réactions


  • Radix Radix 17 mai 2012 12:47

    Bonjour Argo

    Article intéressant et bien écrit, vivement la suite !

    Radix


  • Argo Argo 17 mai 2012 15:49

    Bonjour,


    La suite 3/5 demain, 4/5 et 5/5 lundi et mardi. Samedi et dimanche, je serai autiste (coupé du monde Internet / téléphone), avec des centres d’intérêts restreints à ce qui subsiste en deçà de l’horizon : mer, bateau, équipage, moi... 

  • COVADONGA722 COVADONGA722 17 mai 2012 18:46

    yep , ben on vas « mariner » en attendant .
    Asinus


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