mercredi 23 mai 2012 - par Argo

Dans le sillage de Titan Salvage (5/5)

L'équipe de Titan Salvage parviendra-t-elle a éviter la catastrophe écologique et à mettre en sûreté le Cougar Ace et sa précieuse cargaison, alors que le mauvais sort s'acharne sur l'épave et ses sauveteurs ? Suite de l'épisode 4 et fin de la saga. 

Entre les deux hommes, les rôles sont vite répartis. Mayani sera le singe. Stender lui passe un cordage autour de la taille et arrime une pompe à un second bout. La manoeuvre consiste à filer les deux cordes en même temps, à l’aide d’un descendeur, jusqu’au bas du Pont 9, Mayani maintenant la pompe contre lui de façon à ne pas lui faire subir de chocs trop violents. Les coups qu’il prendra ? C’est une autre histoire... Début de la descente. Premiers jurons.
— Attention enfoiré ! Je ne suis pas une putain de bille de flipper, hurle Mayani à l’adresse de Stender, à chaque fois qu’il vient donner contre un obstacle.
Stender apprécie l’image de la bille de flipper. Habib, alerté par les cris, se laisse à son tour glisser dans la cale. Stupéfait, il découvre Mayani, enserrant la pompe de ses deux bras, qui essaye de s’imprimer un mouvement de pendule afin de franchir un monceau de voitures.
— Qu’est-ce que tu trafiques ?
— Qu’est-ce que j’ai l’air de faire ? réplique Mayani. Voler une putain de voiture ?
— Ecoute, Mayani, je ne veux plus de casse. Pas même un petit doigt. Compris ?
Sans prendre le temps de lui répondre, Mayani donne un grand coup de pied en se synchronisant avec le roulis. Il s’écarte, mais un peu trop… Et le voilà qui revient avec plus de vitesse qu’il n’aurait souhaité. Il n'a que le temps de plier les jambes... franchissant l’obstacle de justesse pour… s’écraser contre le parebrise d’une CX-7, après avoir arraché au passage le rétroviseur d’une autre voiture.
— Tu viens avec moi maintenant, ordure !, hurle-t-il à l'attention de la pompe.
Puis, en se retournant vers Habib :
— Désolé pour le verre, boss, mais c’était moi ou ce putain de parebrise.
Sans voix, Habib secoue la tête. A quoi bon argumenter. On ne refera pas le « Panamaniaque ».
 
Une fois les pompes installées, Stender et Mayani profitent d’un moment de répit pour explorer le Cougar Ace à la recherche d’un trophée. De chacun de ses sauvetages, Mayani aime ramener un objet appartenant à un membre de l’équipage. A sa dernière intervention, il a déniché une balise radio en plastique jaune fluo ; elle trône à côté de l’écran plat de sa télé. Cette fois ci, il aimerait bien trouver une belle paire de jumelles.
La plupart du temps, les armateurs ne sont pas d’accord avec ce genre de chasse au trésor, qu’ils qualifient d’acte de piraterie.
« Mais qui croyez-vous que nous sommes ? » s’amuse à leur répondre Mayani « Des putains de golden boys ? ». Fort heureusement, le Cougar Ace est un vaisseau fantôme, et personne n’est là pour leur faire la leçon. Mayani et Stender se dirigent vers la passerelle. Ils escaladent les superstructures, comme ils peuvent, jusqu’à ce qu’ils parviennent à la porte donnant sur l’aileron à bâbord.
Mais quand Mayani se penche pour l’ouvrir, la porte cède et il bascule à l’intérieur de la passerelle. Stender, qui n’a pas eu le temps de le retenir, le voit dégringoler, tenter de se retenir à droite et à gauche, jusqu’à ce qu’il parvienne à s’agripper aux pieds du fauteuil de l’officier de quart. L’épais tapis de caoutchouc qui recouvre le sol de la passerelle a freiné sa chute. Mayani se redresse, passe une jambe autour du pied du fauteuil et découvre… une paire de jumelles, retenue par sa courroie à un accoudoir.
— Ça va ?, lui lance Stender, d’en-haut.
— J’ai trouvé mes putains de jumelles, répond Mayani, sans se soucier du fait qu’il est suspendu au fauteuil comme un paresseux à la branche d’un arbre.
— Super ! Et tu fais comment pour remonter maintenant ?
— J’en sais rien, mon pote. A toi de me sortir de là.
En regardant autour de lui, Stender avise une lance à incendie, montée sur un dévidoir. Il file le tuyau de toile épaisse jusqu’à Mayani, qui s’y accroche, puis il le hisse, et l’extirpe de la passerelle. Le « Panamaniaque » vient de faire une culbute comparable à celle qui a tué Johnson. Il n’a pas l’air de s’en émouvoir, il tient son trophée. Il ne dit rien, il tourne et retourne la paire de jumelles entre ses mains, il les examine, abîmé dans une méditation qui fige son visage dans un sourire de bouddha. Il ôte le cache protégeant les optiques. Un des verres est fendu.
— Merde ! grommelle-t-il dépité, avant d’envoyer dinguer les jumelles dans la passerelle où elles finissent de se disloquer.
 
Lundi 7 Août. 13 milles dans le Nord-Est de l’île Umnak.
 
Le vent de Sud-Ouest s’est levé, reportant les opérations du pompage à l’après-midi. A 15 heures, Habib décide de faire une première tentative.
— Prêts les gars ? Redressons cet engin !
Les pompes sont alimentées depuis le Makushin Bay. Bergman, Trepte, Mayani, et Stender se dirigent vers leurs postes. Les radios portatives n’étant pas assez puissantes pour porter jusqu’au fond des cales et des garages, Habib décide de se positionner à mi-hauteur du navire. Pendu par son baudrier, il dirige les opérations, tout en servant de relais-radio. Le modèle bâti par Reed ne renseigne pas sur la vitesse à laquelle le navire se redressera. Peu importe le temps que cela prendra, pense Habib, du moment que cette baille ne nous joue pas le coup du fauteuil à bascule.
— D’abord l’eau du pont 9, annonce Reed.
Mayani et Stender engagent le flexible d’aspiration de leurs pompes.
— OK Mayani, pont 9 avant.
— OK Stender, pont 9 arrière.
 
Enfin, le Cougar Ace commence à résonner du ronronnement des pompes. Habib relaie les messages à Reed, resté sur le Makushin Bay, les yeux rivés sur son ordinateur. A 18 heures, les conditions empirent. Le Makushin Bay peine à tenir sa position. A intervalles réguliers, son étrave s’écarte du Cougar Ace, menaçant d'arracher les cables d'alimentation électrique des pompes, avant de revenir cogner contre le tableau arrière. Habib prend la décision de suspendre le pompage. Demain, le Cougar Ace aura rejoint la baie abritée de Wide Bay, au nord de l’île Unalaska. Les choses seront plus aisées.
 
 
Mardi 8 Août. Mer de béring. Wide Bay.
 
Le Cougar Ace est amarré sur coffre dans les eaux immobiles de Wide Bay. Les opérations reprennent. Reed a calculé qu’avec le ballast tribord plein au cinquième de sa capacité, le Cougar Ace devrait revenir droit. Au pont 9, les 2 pompes tournent à plein régime. Mayani et Stender, couchés sur une voiture, les surveillent en fumant. A l’heure du déjeuner, ils reviennent sur l’arrière et demandent aux matelots du Makushin Bay de leur préparer un en-cas. Quelques minutes plus tard, Stender et Mayani, affamés remontent leur repas, au bout d'un filin. Du chou bouilli et des épis de maïs.
— On ne bouffe pas de chou, bande d’enfoirés, hurle Mayani, et une plâtrée fumante vient s’écraser sur la timonerie du Makushin Bay, dont aucune protestation ne s'élève. Un jour passe et le Cougar Ace n’a pas bougé d'un millimètre.
 
 
Jeudi 10 Août. Wide Bay.
Le pompage se poursuit depuis 36 heures. Chacun attend avec anxiété que le Cougar Ace daigne réagir. Et il finit par réagir, doucement d’abord, la gite diminue… un… deux degrés.
— Il revient, annonce Habib dans la radio.
Il s’est fabriqué un fil à plomb, en suspendant une bouteille d’eau minérale à un bout qu’il a tourné sur un tuyau de la cale. A l’aide de cet instrument de fortune et de quelques formules trigonométriques, il calcule la gite : 58 degrés.
La journée se termine à 56 degrés de gite. L’équipe est épuisée, mais chaque heure qui s’écoule voit le Cougar Ace ressembler à ce qu’on attend d’un navire. Samedi, Reed donne le feu vert pour le remplissage du ballast tribord. L’eau pompée au pont 9 à bâbord est renvoyée sur tribord. La gite diminue plus rapidement, 53 degrés… 48 degrés.
 
Dimanche 13 Août. Wide Bay.
 
Lundi 14 Août. Wide Bay.
 
Après une semaine d’efforts, le Cougar Ace flotte presque droit. Il n’a pas coulé. La catastrophe écologique a été évitée et la majeure partie de la cargaison semble intacte. Les représentants de l’armateur embarquent. Ils prennent possession du navire. L’équipe de Rich Habib rejoint Dutch Harbor et s’envole pour la Floride, mission terminée. Le compte en banque de Titan Salvage s’enrichit de plus de 10 millions de dollars. Habib, Reed, Bergman, Trepte, Mayani et Stender touchent leur part.
 
Vendredi 1er Septembre 2006. Mer de Béring
Le Cougar Ace quitte les Aléoutiennes pour être remorqué vers Portland, Oregon. Pendant un an, les 4 703 voitures vont stationner sur un gigantesque parking. Et pendant un an, les services commerciaux et les concessionnaires Mazda vont crouler sous les appels de leurs clients. Ces derniers, tenus au courant du sauvetage du Cougar Ace, veulent s’assurer qu’on ne leur livrera pas une des voitures rescapées du naufrage. Hors de question de rouler dans ces voitures maudites ! Mazda hésite, son image est en jeu. A première vue, les voitures sont commercialisables, en bon état de marche. Mais comment en être sûr, après plus de deux semaines passées dans l’air saturé de sel de la cale, et par 60 degrés de gite. Des pièces ont pu s’user. Les airbags fonctionneront-ils ? Les moteurs tiendront-ils sans accroc jusqu’au terme de la période de garantie ? Il y a bien des demandes spéciales, d'auto-écoles, d'Hollywood pour les cascades... Mais comment garantir que les voitures ne seront pas détournées vers le circuit commercial classique, le cas échéant à l'insu des clients ? Au cauchemar du naufrage succède un casse-tête commercial.
 
Un an plus tard. Portland, Oregon
Un matin, le parking se met à résonner d'un étrange staccato... Pop ! Pop ! Pop ! Pop ! Pop ! Pop ! Les services de Recherche et Développement de Mazda ont conçu une machine spéciale permettant de déclencher les 6 airbags de chaque véhicule en même temps. Puis, les voitures sont vidangées, dépouillées de leurs accessoires (fluides, batterie, pneus, pare-brise…) avant d’être glissées, une à une, entre les mâchoires d’une presse hydraulique. Durant des semaines, une noria de camions transportent les carcasses aplaties sur le site de Pacific Car Crushing où elles sont déposées sur le tapis roulant d’une monstrueuse machine à broyer qui les engloutit dans un fracas d’apocalypse avant de les recracher en fragments de la taille d’un poing. Bientôt, la cargaison du Cougar Ace a donné naissance à une montagne de ferrailles enchevêtrées et fumantes, espérant leur recyclage du fond d'une décharge de l’Oregon.
100 millions de dollars, la valeur de revente des véhicules, sont partis en fumée. Selon Jim O’Sullivan, president et CEO de Mazda North American Operations, c'est la plus importante perte en 36 ans d'exploitation aux USA. Le constructeur, échaudé par la réaction de ses clients et la perspective d’imbroglios juridiques, a décidé de détruire la totalité des 4 703 voitures.
 
Au cours des mois qui ont suivi leur intervention sur le Cougar Ace, Habib et ses hommes ont enchaîné les missions autour du globe. Ils ont remis à flot un porte-conteneur de 300 mètres planté sur un banc de sable au Mexique, sauvé un méthanier désemparé dans une tempête en mer des Caraïbes. Ils sont intervenus sur une plate-forme pétrolière, dans le sud de l’île de Tristan, 1 700 milles à l’ouest de l’Afrique du Sud. La structure de 6 000 tonnes avait rompu ses câbles, lors d’un remorquage entre le Brésil et Taiwan et était venue s’échouer là, après 9 mois de dérive dans le Pacifique Sud. Impossible à dégager, il avait fallu la démanteler et la saborder sur place.
 
Le jour où ils ont appris la destruction des voitures, aucun d’eux n’a tiqué. C'était de l'histoire ancienne, ils étaient passés à autre chose. Pour autant, pas un d'entre eux n'a oublié le Cougar Ace. Quand Mayani sirote un Mojito dans un club de Miami, il repense souvent au jour où il a vu le géant pour la première fois, couché sur l’eau, à la dérive. Il ne peut réprimer un frisson, le long de son dos. Heureusement, il y a le rhum pour le réchauffer. Dans sa caravane, au fond des forêts, Stender éprouve la même chose. Bergman aussi, du fond de son ranch. Pas un d'entre eux n'a oublié... sauf Trepte qui semble avoir fait le vide.
— Ecoutez, boss, tout ce que nous faisons est de la folie. Absolument tout !, avoue-t-il un jour à Habib. Je m’y suis fait. Voilà tout !
 
Habib, lui, ne s’y fait pas. La mort de Johnson le hante. Elle lui revient régulièrement en mémoire. Ainsi, ce jour où il dispense une formation, au siège de Titan Salvage, sur l’état de l’art des techniques de sauvetage.
L’instructeur adjoint a disposé une maquette de navire sur le sol. Autour, des figurines de plastique sont censées représenter l’équipe de sauvetage. Dans son dos, deux employés de Titan plaisantent : les poupées leurs rappellent des prostituées qu’ils ont connu, lors de leur dernier job, en Russie. Habib ne rit pas. Il s’agenouille, se penche sur une des poupées. Et commence à lui faire du bouche-à-bouche, comme s’il voulait lui insuffler la vie.
 
Crédit (texte original et photos) : Wired (photos) : US Coast Guard
Article complet (Wired : en anglais)


4 réactions


  • Argo Argo 23 mai 2012 10:18

    Bonjour Sabine,


    C’est une histoire en mer, je ne sais pas si on doit en tirer des enseignements, en dehors d’un « Tout cela pour ça » qui conviendrait aussi bien à la plupart des élucubrations politiques, artistiques, etc. actuelles.

    Quant à Rich Habib, devenu aujourd’hui vice-president de Titan Salvage vous le verrez sur le renflouement du Costa Concordia. Mais ceci est une autre histoire et elle reste à vivre. 

  • LeGluonDuPoste LeGluonDuPoste 23 mai 2012 12:12

    Situations et jobs étranges ... Du coup j’ai boosté mon poêle à bois et mes déshumidificateurs atomiques ! ! .... L’avis de grand frais rétrospectif sans doute ... smiley

    Une petite analyse économique pour nous remettre ?

    Et merci : série très intéressante que n’aurait peut-être pas reniée Bernard Giraudeau ... « fortune de mer » .... 


  • zadig 23 mai 2012 12:50

    Bonjour,

    Merci pour cette série.
    Tout de même au chapitre 4 j’ai pensé.
    Pas très futé, descendre en rappel au péril de sa vie,
    Pour percer des trous sans avoir de bouchon !!!!!
    Dans ma caisse à outils j’ai en permanence : des bouchons,
    de la ficelle,du petit fil de fer,du sparadrap, etc
    Par exemple, un vieux bouchon de campagne avec un simple Opinel et ....
    Et plein d’autres trucs  !!
    Par exemple de la farine ! devinez pourquoi ?

    Je vais contactez Habib pour de l’embauche !

    Cordialement


  • gordon71 gordon71 27 mai 2012 04:57

    bonjour 


    loin des futilités, loin du théâtre social et politique 

    et pourtant 

    un réel proche du non sens quelque part 

    mais tellement fidèle à notre époque 

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