lundi 24 octobre 2016 - par Paul ORIOL

Dans mes petits souliers…

22 octobre 2016
 

Dans mes petits souliers…

Ce matin, le temps était d’un gris à faire pleurer Cécile, pourtant mes chaussures frétillaient d’impatience. Une odeur de cirage noir était dans l’air. Elles en étaient sevrées depuis si longtemps. Et elles étaient si lourdes de la terre amollie par les racines car il n’avait pas plus depuis longtemps. Comme une collerette jaune.

Mes chaussures ne tenaient plus en place, prêtes à s'échapper. Comme Daniel parlait à son scooter de gauche pour le calmer devant sa participation à la primaire de droite, j’allais être obligé de leur dire quelques mots doux sous peine de les voir esquisser quelques écarts de danse et me mettre en difficulté pour les suivre. Vous rendez-vous compte, une odeur de cirage. Cela ne leur était pas arrivé depuis des mois !
Si le temps était gris, si le cuir était terne et humide après être passé sous un jet d’eau pour enlever la boue, si le cirage était noir, il ne fait pas de doute que quelques coups de brosse allaient leur redonner du brillant. Non, elles n’auraient pas le vernis tape-à-l’œil, dur, des chaussures ferrées du danseur de claquettes mais l’éclat odorant du cuir bien ciré.
Malgré ce temps maussade, derrière ces gros nuages noirs, le ciel, c’est certain, était bleu. Mes chaussures étaient prêtes à la fête, à une promenade qui serait ensoleillée.

Je me sentais parfaitement à l’aise dans ces souliers qui brillaient inhabituellement comme un euro neuf mais, déjà rodés, parfaitement adaptés à mes pieds pour monter la rue de Ménilmontant, descendre dans le métro, parcourir des kilomètres à travers Paris. Fiers de leur nouvelle apparence, ils saluaient, d’un crissement étonnant étant donné leur âge, l’étrange diversité des chaussures rencontrées dans une ville où tout s’uniformise, rythmé par la mode…

J’entendais presque leurs murmures, leurs commentaires sur les collègues qu’ils croisaient. Peu à peu je me mis à suivre leur regard vers les chaussures de sport, les plus fréquentes en ville, de toute les couleurs, pimpantes, pas seulement chez les dames ou longuement vieillies, avec des bandes auto-agrippantes ou des lacets défaits, signe de jeunesse... les mocassins, souples, légers, les décolletés nus devant ou les découpé nus derrière… les bottines enveloppantes ou les rares bottes.

Dans mes petits souliers…

Soudain un pas décidé frappe le pavé et annonce des talons aiguilles qui, par un réflexe bunuelien, me font imaginer de longues jambes de faon, inattendues, étrangères sur le boulevard de Belleville. Incapable de ralentir pour laisser passer ce qui n’est peut-être qu’un mirage acoustique, je me retourne rapidement pour remonter vers ce qui ne peut être qu’une beauté exotique…

Dans mes petits souliers…

Et je me réveille à l’hôpital. La belle avait un regard profond, probablement un peu moins que le trou du boulevard que je n’ai pas vu. Je ne sais où sont passés mes petits souliers noirs, peut-être ont-ils continué leur aimable conversation avec les stilettos… Quant à mon pied gauche, il est dans le plâtre.

Il est certain que je ne cirerai pas mes chaussures pendant quelques mois, je m’arrangerai pour qu’elles soient moins brillantes et moins joyeuses. Et, désormais, je regarderai soigneusement où je mettrai les pieds même si des anges passent.

Dans mes petits souliers…


4 réactions


  • Pomme de Reinette 24 octobre 2016 17:09

    Une petite bouffée d’air bien rafraichissante que cet article sur la vraie vie ....
    Mes meilleurs voeux de rétablissement !


  • velosolex velosolex 24 octobre 2016 17:49

    Mon père qui était cordonnier, aurait bien aimé, lui qui faisait des rimes à coups de marteau ?

     Il n’y pas que les livres on l’on apprend à lire. Les semelles livrent à travers leur usure, des secrets de notaires et de lits....
    Bien sûr les talons aiguilles vous font lever les yeux jusqu’au ciel. 
    Et c’est ainsi qu’Icare parfois retombe douloureusement sur terre.

    Car c’est fou, partout autour de nous

    Ce que les chaussures comptent

    Ce sont deux trotteuses égarées

    Sous le même verre de montre

    Deux amoureuses du temps présent

    L’une poussant le pas de l’autre devant

    Et c’est ainsi que le monde avance.


  • oscar fortin oscar fortin 25 octobre 2016 10:33

    pour ajouter à cet article, voici ce qu’en disait à l’époque de ces souliers, Feu le chanteur et poète québécois Felix Leclerc



  • Paul ORIOL 8 novembre 2016 23:03

    Merci pour vos commentaires.


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