mercredi 11 juillet 2018 - par Daniel Salvatore Schiffer

David Bowie et son « Blackstar » à Saint-Denis : un massacre musical et une trahison conceptuelle

DAVID BOWIE ET SON « BLACKSTAR » AU FESTIVAL SAINT-DENIS :

UN MASSACRE MUSICAL ET UNE TRAHISON CONCEPTUELLE

Il y a quelques mois, au début de cette année 2018, je publiais, chez Alma Editeur, à Paris, un livre intitulé « Traité de la mort sublime ». Paru le jour même où l’on commémorait le deuxième anniversaire de la mort de David Bowie, advenue le 10 janvier 2016, il avait comme significatif sous-titre « L’art de mourir de Socrate à David Bowie » (https://www.alma-editeur.fr/traite_de_la_mort_sublime.html). Conçu donc comme une véritable anthologie de l’ « ars moriendi », de l’antiquité gréco-romaine (Epicure, Platon, Sénèque, Marc Aurèle, Cicéron…) à nos jours (Mishima, Genet, Yourcenar, Warhol, Leonard Cohen…), en passant par la réflexion des plus grands philosophes (Montaigne, Kant, Hegel, Nietzsche, Heidegger, Emmanuel Levinas…) et écrivains ou artistes des siècles passés (Villon, Jérôme Bosch, Bossuet, Mozart, Goethe, Byron, Chateaubriand, Baudelaire…) il a, comme fil conducteur, l’insigne figure de David Bowie, icône du « pop rock », avec son dernier album, « Blackstar », sorti deux jours à peine, le 8 janvier 2016, avant sa disparition et donc considéré par la postérité, à juste titre, comme son testament spirituel. Mieux : son tombeau musical et son ultime legs artistique !

SUBLIMATION DE LA MORT

Un pur chef-d’œuvre, donc, ce « Blackstar », où Bowie met en scène, comme le donne à voir le clip vidéo de son plus suggestif titre, « Lazarus », emblématique métaphore de la résurrection, sa propre mort ! C’est ainsi que, « dandy absolu » comme j’ai encore sous-titré un autre de mes livres à son sujet, « Petit éloge de David Bowie », paru, en 2016, aux Editions François Bourin (https://www.amazon.fr/Petit-éloge-David-Bowie-absolu/dp/B01DFBIM7S), Bowie n’a pas seulement fait de sa vie une œuvre d’art ou de sa personne une œuvre d’art vivante, comme le préconisait Oscar Wilde, le dandy le plus flamboyant de son temps, en un de ses aphorismes-clés à propos du dandysme. Car c’est sa mort même qu’il y élève là, en définitive, au rang d’œuvre d’art. Une véritable sublimation, unique en son genre, de ce qui pourtant effraye, d’ordinaire, le commun des mortels !

D’où, précisément, le titre de mon propre « Traité de la mort sublime », dont les médias ont largement rendu compte, de « France Culture » au « Monde des Religions », en passant par « Libération » ou « Mediapart », dont voici, en l’occurrence, le lien électronique vers l’élogieuse critique qu’en a faite, en un article intitulé « Daniel Schiffer et sa métaphysique de la mort » la philosophe Véronique Bergen : https://blogs.mediapart.fr/veronique-bergen/blog/040118/daniel-schiffer-et-sa-metaphysique-de-la-mort.

LE CAUCHEMAR D’UN MELOMANE : UNE INAUDIBLE CACOPHONIE

C’est donc tout naturellement, et logiquement, que je me suis intéressé au concert, en hommage à ce « Blackstar » de David Bowie, que le Festival Saint-Denis avait programmé, le 20 juin dernier, dans l’enceinte même de cette célèbre basilique, monument religieux où sont inhumés les rois de France. Mais voilà : n'est pas Bowie, hélas qui veut ! Ce fut là une inaudible et emphatique cacophonie, un spectacle dont la prétention n'avait d'égale que son indigence, un médiocre mais grandiloquent massacre, un misérable enterrement de dernière classe, dépourvu de toute harmonie musicale comme de tout imaginaire poétique, pour ce subtil génie du « pop rock ». Bref : un cauchemar pour tout mélomane un tant soit peu informé, sur le plan du contenu, et exigeant quant à la forme !

PAUVRE BOWIE : SA MORT TRAHIE !

Certes le talent, notamment, d’Anna Calvi, principale chanteuse ici, n’est-il pas à mettre en question, bien que son jeu de scène, consistant principalement là à se dandiner de manière aussi gauche qu’inélégante, ait laissé, en cette triste circonstance, grandement à désirer. Je veux bien laisser ici également le bénéfice du doute, jusqu’à preuve du contraire, de Soap&Skin, Jeanne Added ou Laetitia Sadier, qui, malgré quelques patentes insuffisances en matière de voix, firent de leur mieux, au risque parfois de se perdre en d’inutiles et pathétiques circonvolutions pseudo mélodiques, pour la seconder honorablement. Mais, au final, que tout cela fut lourd et emprunté, mal géré et bien trop superficiellement construit sur le plan conceptuel, submergé enfin par l’artificiel et laborieux brouhaha d’un orchestre - l’ensemble « Stargaze » - multipliant à l’envi, par-delà sa bonne volonté, les approximations musicales, pour ne pas dire, carrément, les fausses notes.

En résumé : pauvre Bowie, mis à toutes les sauces, parfois même les plus insipides et indigestes à la fois, ainsi honteusement trahi jusque dans sa mort même, comme le démontre, pour qui a le courage de la regarder et de l'écouter dans sa totalité, cette vidéo sonore, sur laquelle j’aurais préféré laissé choir un voile charitable, réalisée cette funeste soirée-là : https://www.facebook.com/festivaldesaintdenis/videos/10155713220097060/UzpfSTEwMDAyMzgwMjg4Mjk1NDoyNDg2NDI3MTkyNzI0ODk/

DANIEL SALVATORE SCHIFFER*

*Philosophe, auteur notamment de « Philosophie du dandysme – Une esthétique de l’âme et du corps » et « Le dandysme, dernier éclat d’héroïsme », publiés aux Presses Universitaires de France, « Oscar Wilde », « Lord Byron », parus tous deux chez Gallimard (collection « Folio Biographies), « Petit éloge de David Bowie – Le dandy absolu » (Editions François Bourin) et « Traité de la mort sublime – L’art de mourir de Socrate à David Bowie » (Alma Editeur).

 



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