lundi 3 février - par Lucchesi Jacques

De l’annexion

Phénomène fréquent d'appropriation territoriale, l'annexion était jusqu'ici plutôt la marque des états totalitaires. Donald Trump va-t-il l'inscrire au fronton de la démocratie américaine ?

 Dans la longue histoire de l'humanité, rares sont les états qui, parvenus à un certain degré de puissance, ne lorgnent pas le territoire de leurs voisins. Leur appétit n'est pas toujours démesuré et souvent ils préfèrent une partie à la totalité : celle, bien sûr, la plus proche de leur frontière, donc la plus malléable d'un point de vue linguistique et culturel, ce qui est bien utile pour la suite des choses. Après tout les frontières n'ont jamais été qu'une réalité formelle et modifiable à souhait. Ce mouvement d'expansion et d'appropriation du bien géographique d'autrui – mouvement qui caractérise aussi bon nombre de sociétés animales – s'appelle une annexion. Et même s'il se pare des meilleures raisons du monde, il ne connaît qu'un seul principe : la loi du plus fort. L'annexion, qui est en soi un casus belli, n'entraîne pas toujours un conflit ouvert. Lorsque les forces en présence sont disproportionnées, le plus faible préfère céder au plus fort une partie de son territoire plutôt que de risquer le perdre tout entier. Voyez, parmi cent autres exemples, l'annexion des Sudètes – alors région tchécoslovaque – par l'Allemagne nazie en 1938.

Malgré les institutions internationales créées, comme des garde-fous, au lendemain de la seconde guerre mondiale, ce qui se passait hier se déroule encore aujourd'hui sous nos yeux fatigués de télespectateurs. La Crimée puis maintenant le Donbass, arrachés à l'Ukraine par la Russie, sont sans doute les cas d'annexion les plus marquants de ces récentes années. Il y en a d'autres, bien sûr : le Brésil et le Vénézuela avec l'Amazonie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan pour le Haut Karabakh ou, ces jours-ci, la crise congo-rwandaise à Goma. La plupart du temps, ces annexions sont le fait d'états qui n'ont de démocratique que le nom. Mais que dire quand la menace vient des Etats-Unis, pays qui est unanimement considéré comme la première démocratie du monde, membre permanent du conseil de sécurité de l'ONU ?

C'est ainsi que Donald Trump, avant même son retour à la Maison Blanche, a surpris le monde entier en souhaitant l'intégration du Canada aux Etats-Unis d'Amérique. La réponse de Justin Trudeau, son premier ministre, ne s'est pas faite attendre : non le Canada ne sera jamais le 51eme état américain. Ce qui laisse augurer une forte augmentation des droits de douane entre les deux grandes nations d'Amérique du nord, bien davantage qu'une confrontation militaire. Rappelons au passage que le Canada est près de dix fois moins peuplé que les USA (36 millions d'habitants contre 340 millions) pour une superficie sensiblement équivalente ( 9 984 670 k2 contre 9 833 517 k2).

C'est différent avec le Panama et son célèbre canal conçu par Ferdinand De Lesseps en 1881. D'abord parce que ce petit pays (4,4 millions d'habitants), à la pointe de l'Amérique centrale, a toujours été sous la tutelle étatsunienne depuis sa séparation d'avec la Colombie en 1903. Et les USA ne se sont pas privés d'y intervenir militairement à de nombreuses reprises, la dernière en date étant pour chasser le général Noriega du pouvoir en 1987. Alors pourquoi pas une énième fois ? Car si le canal appartient pleinement à l'état du Panama depuis 1999, Trump voit d'un très mauvais œil le nombre grandissant de cargos chinois qui y transitent à bas coût depuis quelques temps. L'Amérique, il le sait bien, a trop à y perdre.

Le Groenland est une contrée encore plus stratégique, tant d'un point de vue militaire que commercial, pour les USA. Proche du cercle arctique, cette île gigantesque ( 2 166 086 k2) et à demi-gelée possède d'importantes réserves halieutiques et un sous-sol riche en hydrocarbures. Déjà, en 2019, Trump avait proposé de l'acheter au Danemark (dont le Groenland constitue une région autonome). Là aussi il avait essuyé un refus cinglant. Depuis tout s'est accéléré, notamment la fonte des glaces polaires qui permet une navigation commerciale presque toute l'année. Et les navires chinois ne se privent pas d'emprunter le détroit de Béring. La Russie, de plus en plus belliciste, a une ouverture sur la mer du Groenland avec les ports de Mourmansk et de Severomorsk. Ils concentrent d'importantes forces navales et nucléaires qu'il s'agit, plus que jamais, de surveiller.

En tant que membre de l'OTAN les Etats-Unis possèdent déjà des bases militaires au Groenland – les plus importantes étant celles de Thulé et de Pituffik. Et le Danemark est, comme eux, membre de cette organisation. Cette situation rend théoriquement impossible une annexion par la force de cette région si convoitée. Car elle mettrait de fait les USA au ban des démocraties. Reste la guerre économique dont Trump semble avoir fait son cheval de bataille. Même si elle ne sera pas décisive dans ce contexte, elle annonce bien des tensions entre des nations pourtant alliées. En outre, les déclarations intempestives du président américain ne sont pas de nature à calmer les ardeurs conquérantes de tous les états en mesure d'envahir leurs voisins. C'est même, de façon à peine voilée, un droit à l'annexion qu'il leur offre.

 

Jacques LUCCHESI



12 réactions


  • Jason Jason 3 février 20:18

    Bonjour,


    Votre article contient des informations intéressantes. J’ajouterais cela : Les USA se sont construits sur la conquête territoriale, aux dépens du Mexique, de Hawaïi, de Puerto-Rico, de Cuba, et bien sûr des Améridiens ; j’en oublie peut-être. Dire que les USA sont une démocratie est un abus de langage. Ignorant comme je suis, il suffit de voir leur système de suffrage indirect, et le financement des campagnes électorales, sans parler du délire des médias, pour avoir un sérieux doute sur la démocratie américaine. Il faudrait dire démocratie à la sauce américaine, sauce passablement rancie.

    Ce n’est pas parce qu’un Etat le proclame que c’est vrai. Voir bon nombre de gouvernements dans le monde. L’élection ne fait pas une démocratie, loin de là.


    Les idées reçues, les poncifs ont la vie dure.


    • sylvain sylvain 3 février 20:44

      @Jason
      vous m’otez les mots de la bouche, ou du clavier. On aurait meme pu dire, les etats unis ne se sont construits que sur de la conquete territoriale. Ceci dit, si on remonte suffisamment loin, c’est peut etre bien le cas de toutes les nations


  • rogal 4 février 06:35

    Quelle différence faut-il voir entre l’annexion d’un territoire habité et son accaparement colonialiste ?


    • Fantômas Fantômas 4 février 13:20

      @rogal Il y en a au moins une : Quand un pays annexe un territoire, les gens qui habitent ce territoire deviennent des citoyens à part entière du pays, avec les mêmes droits (et les même devoirs). Quand il s’agit d’un accaparement colonialistes, les habitants du territoires n’ont soit aucun droits (ou très peu).


  • SilentArrow 4 février 08:06

    @Lucchesi Jaques

    Dans votre liste d’annexions, vous avez oublié celle du Kosovo. Il s’agit d’une quasi annexion puisque les USA y ont installé une base militaire (Camp Bondsteel), ce qu’ils n’auraient pu faire si le Kosovo était resté Serbe.

    Et ne me dites pas que c’était pour la bonne cause, pour protéger les Kosovars d’un génocide. Ces rastaquouères albanais avaient été installés en Serbie par Hitler pour récompenser l’Albanie de sa collaboration avec les nazis et pour punir la Serbie de sa résistance.


  • SilentArrow 4 février 08:46

    L’avancée de l’OTAN vers l’est peut aussi être considérée comme une annexion.


    • Zolko Zolko 4 février 10:06

      @SilentArrow : ou une grosse erreur, comme quand on avance sa dame trop loin dans le camp adverse aux échecs


  • Zolko Zolko 4 février 10:41

    Les agissements de Trump au sujet de l’OTAN sont assez chaotiques. Selon moi, ça peut vouloir dire 2 choses : soit il est débile et il fait n’importe-quoi, soit il veut abandonner l’OTAN.

     

    Car franchement, vouloir annexer hostilement un territoire de l’OTAN, et exiger que les Européens consacrent 5% de leur PIB à l’armement, c’est de la provoc : il sait parfaitement que personne ne peut accepter ça, et donc sa demande ne peut se justifier que comme excuse pour quitter l’affaire. Ce qui, moi, me plaît bien.

     

    Ce que j’ignore c’est de savoir si il a mesuré toutes les conséquences de cette décision : plus de base militaire de Rammstein, plus en Turquie, donc plus d’intervention militaire possible au moyen orient et soutient militaire réduit à Israel. A moins qu’il veuille pense l’OTAN tout en continuant à occuper les bases militaires ... et là il va avoir un réveil pénible

     


  • CORH CORH 4 février 16:27

    Si une majorité de Canadiens sont d ’accord ?


    • SilentArrow 5 février 00:11

      @CORH
       

      Si une majorité de Canadiens sont d ’accord ?

      L’ironie serait que cette annexion ait lieu et que les Canadiens votent majoritairement démocrate à la prochaine élection. Ils ont bien élu cette limace LGBTQQQiste de Trudeau.

  • Gasty Gasty 5 février 06:48

    Oui ! que dire quand la menace vient des Etats-Unis, pays considéré comme démocratique ? Regarder ailleurs... vers la Russie.


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