lundi 25 juillet 2011 - par Jean-Paul Foscarvel

De l’Utopie à la réalisation humaine

D'un monde souhaité au monde réel, les écueils auxquels se sont confrontés les utopies sont connus.

Celle à laquelle nous sommes aujourd'hui confrontés, le libéralisme, n'échappe pas à la règle.

Ne s'agit-il pas de changer de modèle, pour aboutir à la réalisation humaine ?

Le monde est et a été porteur d’Utopies. De Thomas Moore et même plus tôt encore Platon, avec l’Atlantide, à aujourd’hui, les utopies ont été des signes de lumière dans le temps du quotidien obscur.

Cependant, nous pouvons constater que la plupart du temps, voire toujours, ces espoirs lumineux ont sombré dans le crépuscule d’une société totalitaire.

L’analyse qui peut en être faite est que l’écart entre le but à atteindre et le niveau réel de la société en acte dans laquelle ces utopies se sont élaborées est si grand que le chemin à parcourir, souvent négligé, conduit à des conduites réelles en contradiction avec ces buts ultimes et finissent par être prépondérants.

Pour parvenir à une société supposée parfaite, ceux qui adhèrent à ces idées veulent éliminer les obstacles, faire taire les contradicteurs, convaincus d’avoir raison et que ceux-ci ne sont que des conspirateurs.

Au fur et à mesure, la chasse aux opposants s’intensifie, se durcit, devient la principale tâche du régime, tandis que celui-ci a oublié les bases de départ qui ont mené à l’action.

Le durcissement du régime augmente la crainte d’un côté, la résistance de l’autre, on aboutit alors à une guerre civile larvée, puis ouverte, jusqu’à la chute du régime.

L’Utopie de départ est alors honnie, et toute référence aux idéaux d’origine est considérée comme allégeance au régime déchu, même si les principes étaient hautement humanistes.

L’Utopie la plus récemment effondrée fut le communisme, pour lequel l’idéal d’égalité avait donné lieu à une société privée de liberté.

L’Utopie actuelle, en cours, est l’utopie libérale. Son point de départ est la libre concurrence associée à un équilibre dit de Optimum de Pareto (c’est un état dans lequel on ne peut pas améliorer le bien-être d’un individu sans détériorer celui d’un autre.).

Ceci est l’idéal à atteindre, et pour lequel les libéraux décrètent qu’il est conditionné par l’extension de la concurrence libre et non faussée.

Cependant, l’état actuel de la société n’est pas celui-ci : l’État intervient dans un certain nombre de domaines, comme l’éducation, la santé, l’énergie, et dans certains pays, l’eau, les communications, les transports, etc.

Donc, pour obtenir cet optimum de Pareto, à partir duquel un équilibre est attendu, la doctrine libérale veut que l’ensemble des services soit soumis à la saine concurrence, libre et non faussée, dégagée de toute intervention étatique ou publique de quelque ordre que ce soit.

Pour cela, il faut bien entendu privatiser le secteur public, ou ce qu’il en reste et anéantir tout droit social, considéré comme facteur de biais de la libre concurrence. Pour cela tous les moyens sont bons. Le premier pays à suivre stricto sensus ce dogme fut le Chili, sous Pinochet. Avec pour choc un régime dictatorial brutal et sanguinaire.

L’Angleterre de Thatcher (amie de Pinochet), a suivi le même dogme, avec des moyens plus démocratiques, mais avec une brutalité antisociale marquée (casse des syndicats notamment).

L’Europe d’aujourd’hui suit à nouveau le même modèle, avec comme méthode l’utilisation du levier de la dette pour contraindre les États à privatiser tout ce qui peut l’être (tout en vérité est privatisable), et à supprimer toute aide sociale (l’aide sociale est contraire à l’optimum de Pareto, dans la mesure où elle détériore le revenu des riches pour améliorer celui des pauvres).

Ce faisant, il est évident que les fonctionnaires, les usagers des services publics, les bénéficiaires des aides, voient leurs revenus, ou les services rendus, détériorés, voire anéantis. Il est alors évident que le moyen trouvé pour obtenir des résultats ne respectent pas les principes de liberté, de démocratie (liberté individuelle au Chili, de se syndiquer en Angleterre, de définir ses choix budgétaires en Europe).

L’Utopie de départ (dont la pertinence n’est pas discutée ici, c’est un autre problème : celui du choix démocratique des objectifs d’un pays, voire d’un continent) mène à une situation en complet désaccord avec les principes d’origine, du fait simplement de l’écart entre ces principes et la réalité vivante d’une société complexe qui ne se résout pas à une doctrine unique. Une partie croissante de la population doute du régime qui se met en place, les oppositions se tendent, et la tendance naturelle du régime est son durcissement progressif, jusqu’à une chute qui peut prendre des allures dramatiques.

Suite à la chute du régime, une autre Utopie se met en place, ou un régime « réactionnaire », au sens de la réaction à cette utopie désastreuse.

Ce qui serait à construire, serait non pas une nouvelle Utopie sans lien avec la réalité de départ, mais au contraire un chemin qui part de cette situation pour tendre vers une réalisation humaine1, complexe, où chacun peut trouver sa place sans écraser l’autre, dans une sorte d’auto-organisation où chaque étape détermine la suivante, sans que le but à atteindre ne soit fixé a priori, en corrigeant à chaque étape suite aux erreurs commises, aux obstacles rencontrés, aux succès acquis.

En un sens, la réalistion humaine se détermine au moment même où elle se construit, par les acteurs, dans leurs contradictions, les synergies et s'effectue non pas via une révolution (la révolution des planètes n'est jamais qu'un tour autour de l'astre central), mais via une percolation2, qui est l'état d'un système lorsqu'une idée deveint majoritaire.

____

1 : je cite cet article dans la mesure où c’est lui qui m’a mis sur la piste de la « réalisation », que je trouve plus pertinent que « développement », celui-ci étant attaché au développement durable avec en filigrane la croissance sans fin, alors que le développement peut aussi être intérieur, dans un sens de l’approfondissement. Mais la notion (et surtout ceux qui sont derrière), de développement durable a pollué ce mot.

2 : le modèle de la percolation est celui qui fait passer une surface de frgmentée à unique lorsque la répartition devient majoritaire.



3 réactions


  • Piotrek Piotrek 25 juillet 2011 14:09

    Excellente analyse, bonnes questions

    Quelles que soient les utopies « panifiées » la nature humaine émerge et corrompt

    J’ajouterai que pour rejoindre l’utopie par la somme émergente, il est nécessaire que chaque individu soit informé, informé de ce qu’il se passe, informé des conséquences de ses propres choix... C’est peut etre idéaliste, mais ne vivons-nous pas dans ce que l’on nomme déja « la société de l’information »

    L’anarchie est de loin le plus système politique le plus complexe, c’est elle qui lie et orchestre les lois de l’univers. Pour s’en convaincre c’est simple, nous sommes tous né du chaos (inexplicable) de la fécondation (expliquée).
    D’un coté : tous les choix et objectifs que nous nous sommes fixés dans notre vie ;
    De l’autre tous les évènements pseudo-aléatoires que nous traversons continuellement
    D’après vous, quel est la cause prépondérante qui fait de nous ce que nous avons étés, ce que nous sommes et de ce que nous deviendrons ? Est-ce si terrifiant ? Est-ce si mal ?

    Merci pour votre article sur la politique bio smiley


    • lambda 26 juillet 2011 10:37

      @ piotrek

      je partage votre analyse sur l’utopie dont on a appris que d’elle naissait le progrès et pour beaucoup, est synonyme de société idéale et pour d’autres une vue de l’esprit

      Mais l’utopie c’est aussi un outil intellectuel qui sert à activer la mise en place de changements de régimes politiques qui souvent se terminent par un dictature

      C’est là le côté dangereux de l’utopie

      Et je rejoins l’auteur dans l’absolue nécessité du devoir d’information que nous avons d’autant plus que la désinformation assénée par les médias alignés ne facilite pas le développement de l’esprit critique et ce fait laisse un champ libre pour mettre en place des changement de sociétés, de régime politique

      l’antidote à ce risque est le devoir d’information, l’échange de connaissance et activer l’esprit critique




  • Le Grand Ecart Badi Baltazar 25 juillet 2011 18:52

    Merci. Et bravo. Continuons notre réflexion.


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