vendredi 1er avril 2022 - par Rémy Mahoudeaux

De la justice des guerres, un cas pratique

L’Église Catholique a établi des critères permettant de rendre juste la défense armée dans une guerre1. Ces critères sont (i) de subir un dommage durable, grave et certain, (ii) que tous les autres moyens que la guerre se soient révélés inopérants pour résoudre le conflit, (iii) que les conditions sérieuses de succès d’une action guerrière soient réunies, et (iv) que l’emploi des armes n’entraîne pas de pire maux que les maux à éliminer. Notons que l’attaque ne saurait jamais et en aucun cas être justifiée. En outre, établir des réponses claires, précises et booléennes à ces critères pourrait être hasardeux et subjectif, surtout pour les deux derniers points.

L’Euromaïdan ne saurait être vu comme la refondation univoque et démocratique d’une nation unie. Elle restait artificielle, et n’a vraisemblablement jamais existé en tant qu’unicité de peuple, langue, territoire, histoire et communauté de destin. Le feu a été mis aux poudres par « l’édit de Villers-Cotterêts » ukrainien du 23 février 2014 supprimant le statut de seconde langue officielle au russe dans la foulée de cet évènement. Dès lors, une guerre civile ou guerre de sécession (suivant les points de vue) du Donbass a opposé l’armée régulière ukrainienne aidée de peu recommandables milices à d’autres milices séparatistes aidées par la Russie. C’est l’armée ukrainienne qui, en réponse aux déclarations d’indépendance des deux oblasts de Donetsk et de Louhansk, a tenté d’envahir cette région séparatiste. Il faudrait une bonne dose de révisionnisme pour contester le dommage grave, durable et certain subi par les populations du Donbass. La rapidité de l’invasion indique que le pouvoir central ne souhaitait rien négocier. L’échec de cette invasion démontre une suffisante probabilité de succès. Pour le 4° critère, il relève de la pure spéculation. Mais il est possible que cette guerre de sécession ait été juste du point de vue des séparatistes du Donbass.

Pour la résistance à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les moyens de prévention (mettre en œuvre les accords de Minsk, par exemple) n’ont pas été employés par le pouvoir de Kiev, bien au contraire, et la probabilité de succès militaire de l’Ukraine face à la Russie semble, objectivement, quasi-nulle. Présenter la défense de l’Ukraine contre la Russie comme une guerre juste relève donc de l’hypothèse absurde.

Et puis il y a cette résurgence de guerre froide qui oppose l’OTAN à la Russie et a pris comme dernier théâtre d’opération l’Ukraine. Depuis 30 ans, l’expansion de l’OTAN dans les ex-pays du pacte de Varsovie fait d’elle l’agresseur. L’OTAN est donc d’emblée disqualifié pour prétendre se faire le champion d’une guerre juste. Cette « agression » est en outre une pure félonie puisque les engagements de non-extension ont été pris en 1990-1991 par les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne2.

Un dommage géopolitique grave, durable et certain existerait pour la Russie si la Crimée et / ou l’Ukraine passait sous contrôle occidental derrière une marionnette : elle y perdrait l’accès à la mer Méditerranée. Une plus grande proximité de belligérants potentiels serait un dommage moins grave, mais indéniable. L’ultimatum du 17 décembre 2021 est le dernier acte diplomatique après plus de 20 ans d’échecs et de fourberies occidentales, il a été de facto rejeté, sans doute par l’arrogance durable des maîtres de Washington qui pensaient sans doute être face à un bluff. Il ne saurait y avoir de succès dans un conflit généralisé opposant OTAN et Russie, mais la probabilité d’un succès tactique limité de la Russie en Ukraine semble évident puisque l’OTAN ne fera rien. Le basculement de l’Ukraine dans l’OTAN serait-il pire que sa neutralité, fût-ce au prix d’un conflit de moyenne intensité ainsi que de ses conséquences géopolitiques et économiques ? La réponse est, là encore, spéculative. L’agression contre l’Ukraine est évidement injuste, elle est instrumentalisée dans un conflit qui la dépasse. Mais la riposte de la Russie face à la menace de l’OTAN y trouve une incarnation dont la justice est a minima discutable (mais je me garderais bien d'être affirmatif sur une réponse). Cela ne change pas la Russie en démocratie exemplaire, ni Vladimir Poutine en Bisounours bienveillant, mais telle n’est pas la question. D’ailleurs, ces deux points ne concernent que la Russie et les russes.

Un état puissant peut-il interdire à son voisin faible de mener certaines politiques ? Oui. C’est mal, c’est immoral, c’est injuste, mais c’est de la géographie et de la Realpolitik. L’indépendance d’un état est inversement proportionnelle à la puissance de ses voisins divisée par la distance qui sépare ses centres d’intérêts vitaux.

Il serait illusoire de prétendre que cet exercice est autre chose qu’une vague esquisse des pistes de réflexion que peuvent emprunter ceux qui abondent aux propos de Saint Augustin : « Fais la justice et tu posséderas la paix, afin que s’embrassent justice et paix ! ». Dans un conflit qui oppose des peuples chrétiens, prier pour la paix ne saurait être dissocié de prier pour la justice. Mais sont-ils légions, ceux qui voudraient que la justice et les perspectives du temps long président à la résolution des crises et des conflits ? 

(Image neelam279 via Pixabay) 

1Cf Catéchisme de l’Église Catholique § 2308 et suivants, qui reprend Gaudium et Spes, § 77 et suivants.



5 réactions


  • pipiou2 1er avril 2022 11:57

    Alors ça c’est costaud !

    « Présenter la défense de l’Ukraine contre la Russie comme une guerre juste relève donc de l’hypothèse absurde »

    Alors se défendre contre un envahisseur est injuste ?!

    C’est de la bêtise toute catholique cette affirmation.


    • pemile pemile 1er avril 2022 12:16

      @pipiou2

      Tout est de la faute des ukrainiens, ils n’avaient pas à s’installer si près d’un voisin PUISSANT nous explique l’auteur ! smiley

      « Un état puissant peut-il interdire à son voisin faible de mener certaines politiques ? Oui. »

      "L’indépendance d’un état est inversement proportionnelle à la puissance de ses voisins divisée par la distance qui sépare ses centres d’intérêts vitaux."


    • eddofr eddofr 1er avril 2022 14:23

      @pemile

      De toute façon, c’est de la faute des Ukrainiens, sans eux la Russie n’existerait même pas. smiley


    • Pascal L 2 avril 2022 20:36

      @pipiou2
      « C’est de la bêtise toute catholique » C’est de la bêtise certainement, catholique, je ne suis pas sûr. L’enseignement de Jésus, c’est « rendez à César... », donc il n’est pas question pour un catholique de se soustraire à ses obligations civiles. Les prêtres ont combattus dans les armées françaises pendant les dernières guerres. La zone grise concerne plutôt les opérations de résistance qui sont des actes personnels et qui demandent du discernement avant de s’engager. Les arguments présentés peuvent aider au discernement, mais ne sont pas une règle absolue car l’obéissance d’un catholique à son église ne vaut que pour les engagements qu’il a pris. On peut toujours se mettre à l’écoute de Jésus qui lui, ne donne jamais d’ordres. Il commence toujours par nous faire aimer ce qu’il veut nous donner.


  • I.A. 1er avril 2022 18:45

    « Un état puissant peut-il interdire à son voisin faible de mener certaines politiques ? Oui ».

    Ben non : c’est sans compter sur THE super-héros muni de ses supers-pouvoirs, et de son sens souverain de la justice divine... !

    (Un état puissant vient de le réveiller et d’interrompre ses doux phantasmes, son plus joli cartoon...)

    Sonnez trompettes ! Sus au diable ! Allez mes bons chiens, mordez-le, saignez-le, vous irez tous au paradis... !





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