mardi 18 août 2015 - par ZEN

De la réussite

Le parvenu et ses visages

 L'homme avide de pouvoir, de richesses et de gloire n'est pas qu'un personnage de roman, une figure décrite par certains Anciens ou par un auteur du 19° siècle, comme Stendhal. Il est de tous les temps.

 La passion n'a pas perdu de son actualité et de sa force, même si elle s'exerce dans des cultures particulières, selon des modalités variées..

 Sans passion, pas d'humanité. Pour le meilleur ou pour le pire. Pas d'amour fort, de dépassement exceptionnel de soi, ni d'ambitions parfois aveugles et destructrices. Sans le moteur du désir, nulle réalisation humaine d'importance, comme le reconnaissait Hegel (La passion mène le monde). 

 Mais la réalisation de soi est une aspiration ambigüe, prenant des chemins les plus contradictoires, souvent aveugle à elle-même sous la poussée de forces inconscientes, elles-mêmes ambivalentes, difficiles à comprendre, à analyser. La logique passionnelle est intéressante, mais désarmante, se perdant dans les méandres d'une l'imagination parfois déroutante.

 La littérature est un puissant moyen de saisir la force et les méandres de certains parcours passionnels, de certaines vies au destin hors du commun, d'ambitieux de tous poils, d'arrivistes sans scrupules, de parvenus se hissant avec ferveur au sommet de leur malheur. Parfois jusqu'à l'autodestruction.

 L'histoire, les faits divers, l'actualité en donnent mains exemples, qui fournissent matière à fascination admirative ou à répulsion

 Là-dessus, Balzac, comme Zola et Stendhal, sont encore de notre temps par l'attention et le talent qu'il fournit à la description de la destinée de certains types de parvenus. La matière humaine qu'il décrit n'a pas changé, même si l'avidité de la réussite et la cupidité s'étalent aujourd'hui de façon plus générale et plus ostentatoire qu'à son époque, dans une société libéralisée et plus individualiste et atomisée, où l'image de soi est exacerbée dans notre société moins solidaire et marchande. La publicité, comme les shows télévisés nous invitent à nous considérer comme des personnages d'exception., flattant notre narcissisme : Parce je le vaux bien...La consommation ostentatoire envahit la vie. Le marketing de l'ego se démocratise...

   L'auteur se Saché se plaisait à dire : Les parvenus sont comme les singes desquels ils ont l'adresse : on les voit en hauteur, on admire leur agilité pendant l'escalade ; mais arrivés à la cîme, on n'aperçoit plus que leurs côtés honteux.(*) 

  Les figures d'un Tapie, d'un Madoff, pour ne pas parler de Berlusconi, ont illustré, chacun à leur manière, des parcours de parvenus modernes, séduisants puis pitoyables.

 Le pouvoir de l'argent et la passion du pouvoir peuvent modifier parfois profondément des êtres.

Il y a un lien profond entre la cupidité et le développement des crises, qui ont, outre leur logique économique, leur dimension anthropologique. L'individualisme est une notion équivoque, mais le chacun pour soi a été érigé en principe par le libéralisme le plus extrême.

         La réussite sociale du prétendu self made man, plus que la distinction, est devenue un thème omniprésent, voire obsessionnel

 La soif des objets qui y est liée se révèle être comme un symptôme de vide existentiel, comme le suggère Pérec dans Les choses.

 La richesse, surtout la plus grande et la plus rapidement acquise, ignore ou oublie ses ressorts et ses conséquences.

______

 (*)_ A l'époque de la montée de la bourgeoisie, de l'ambition érigée en vertu à l'époque du mot d'ordre de Guizot : enrichissez-vous !.......Personnage central de la Comédie humaine, Eugène de Rastignac est l'incarnation de la nouvelle classe dominante. Dans la France postrévolutionnaire et postimpériale des années 1820-1830, la bourgeoisie a supplanté la noblesse en renversant l'Ancien Régime. Le monde qui vient sera le sien, elle en sera la maîtresse toute-puissante, y imposera ses codes, ses mœurs et ses lois. Rastignac symbolise cette ascension sociale. Lorsqu'il arrive à Paris, dans le Père Goriot, il n'est qu'un étudiant provincial, charentais, avide de se faire un nom dans la capitale. Mais il croit encore au mérite et au travail. Ses idéaux sont ceux de la Révolution française, qui a aboli les privilèges de la naissance pour que nul ne soit assigné à résidence sa vie durant. Pour que chacun, selon ses talents, atteigne la place qui lui revient. 

 C'est dans la bouche de Vautrin, l'âme damnée de la Comédie, que Balzac prend soin de mettre les mots qui dessillent Rastignac. La tirade se veut l'exposition implacable de la nouvelle mécanique sociale, sa loi d'airain : « Une rapide fortune est le problème que se proposent de résoudre en ce moment 50 000 jeunes gens qui se trouvent dans votre position. Vous êtes une unité de ce nombre-là. Jugez des efforts que vous avez à faire et de l'acharnement du combat. Il faut vous manger les uns les autres comme des araignées dans un pot, attendu qu'il n'y a pas 50 000 bonnes places. Savez-vous comment on fait son chemin ici ? Par l'éclat du génie ou l'adresse de la corruption. Il faut entrer dans cette masse d'hommes comme un boulet de canon, ou s'y glisser comme une peste. L'honnêteté ne sert à rien. » Ainsi Rastignac se familiarise-t-il avec le cynisme. Il retient la leçon. Vingt-cinq ans plus tard, à la fin de la Comédie humaine, « il a 300 000 livres de rente, il est pair de France, le roi l'a fait comte ».

 Mais son coffre-fort n'a pas suivi le corbillard.



19 réactions


  • lsga lsga 18 août 2015 12:20

    Les crises économiques n’ont absolument rien à voir avec l’éthique des bourgeois. 

    Avec des bourgeois bien éduqués, bien élevé, avec un bon catéchisme, on aurait quand même des crises. 
    C’est la simple conséquence de la baisse tendancielle du taux de profit. 

  • ZEN ZEN 18 août 2015 12:29

    Bonjour,
    Est-ce ce que j’ai dit ?
    Où est le rapport ?
    La cupidité qu’évoque Stiglitz notamment est à la fois la cause et la conséquence d’un capitalisme ultrafinanciarisé.


  • L'enfoiré L’enfoiré 18 août 2015 15:32

    « La réussite sociale du prétendu self made man, plus que la distinction, est devenue un thème omniprésent, voire obsessionnel »

    Croyez-vous qu’elle existe vraiment de ce côté de l’Atlantique (et surtout en France) ?
    Les self-made-men cherchez-le aux Etats-Unis, on y est même fier de l’être, c’est presque une carte de visite qui rapporte.


    • ZEN ZEN 18 août 2015 16:50

      @L’enfoiré
      Bonjour ;
      Si vous avez lu le lien jusqu’au bout, vous pouvez voir ce que j’en pense et comment je démystifie les présupposés de cette notion fabriquée.


    • L'enfoiré L’enfoiré 18 août 2015 18:40

      @ZEN,
       Si c’est de ce lien que vous parlez,
      oui j’avais vu.
       Cela n’est pas un mystification, c’est un fait réel.
       Bill Gates, Steve Jobs, et beaucoup d’autres sont des exemples.
       Les diplômes n’apportent aucune certitude de réussites.
       Ce sont les idées nouvelles qui comptent.
       Et celles-là, elles ne sont pas enseignées dans les écoles justement.
       


    • ZEN ZEN 18 août 2015 19:09

      @L’enfoiré
      Cela n’est pas un mystification
      Mon papier est mal compris
      C’est moi qui tente de démystifier une prétention largement revendiquée par une culture,et par les anciens barons de l’industrie, comme des nouveaux pontes du numérique. (voir les exemples fournis)
      La question qui se pose, en toile de fond, est celle du mérite


    • L'enfoiré L’enfoiré 19 août 2015 10:24

      @ZEN,
      Sorry, pour ma mauvaise compréhension.
      Se faire engager chez Google ne marche pas avec un seul diplôme en poche.
      Il faut bien plus que cela.


  • Passante Passante 18 août 2015 16:27

    peut-être ajouter, sur stendhal, lucien plutôt, 

    là où il y a tout, la photo est si précise que c’est la vraie mort de la reine victoria, fin du rail.

    et sur balzac, déjà lucien chardon en parallèle, 
    mais aussi vautrin devant le procureur des splendeurs, chef-d’oeuvre, 
    sinon surtout le dernier mot du contrat de mariage, 
    la lettre finale adressée par de marsay à manerville l’idiot, 
    là c’est tout un programme, 

    starting page 272 on the left margin.


  • sara sara 18 août 2015 20:37

    Salut Zen, 

    Je me demande pourquoi vous introduisez par la passion ... même si je comprends 
    Pou moi passion et pouvoir ne vont pas de pair , ... la soif du pouvoir me semble être avant tout l’expression d’une peur profonde... devenue de nos jours une institution, un Etat... La Terreur !


  • Clouz0 Clouz0 18 août 2015 22:58
    Zen,

    Pourquoi mélanger « la réussite » à la galerie de défauts (et de portraits) que vous y associez ?
    Votre image personnelle de la réussite n’est-elle que matérielle, triviale, cupide, égoïste, etc... ?

    Vous voulez faire un exercice sur la détestation de ceux que vous jugez parvenus et vous y englobez au passage « la réussite », qui elle, n’a rien demandé la pauvre, et ce sans à aucun moment nous expliciter ce que vous entendez par ce terme. 
    Une définition personnelle de la réussite selon Zen nous aurait pourtant grandement éclairé.
     
    En l’absence, votre devoir de vacances, mérite un petit 2/20, pour encourager votre facilité à empiler les lieux communs et les citations même en période estivale.

  • ZEN ZEN 18 août 2015 23:21

    ClouzO,
    Vous avez une approche morale d’une analyse qui ne l’était pas.
    Si vous aviez ouvert les liens, vous auriez évité de vous égarer dans une interprétation inappropriée
    Je ne vous dirai pas quelle note je vous attribuerais.
    La réussite est une notion polysémique, qui se définit subjectivement par opposition aux quelques figures que j’évoque.
    Vous avez le droit d’être déçu d’un billet qui n’est que partiel et imparfait.
    S’il est si mauvais, il fallait vous abstenir...
    Désolé de vous avoir déçu, cher Maïtre.
    Promis, je ferai mieux la prochaine fois !
    Furtif, lui, n’a même pas lu. Disons, comme d’habitude. Par principe.


  • ZEN ZEN 19 août 2015 03:12

    Cher Sharp de Maisdisons

    Votre générosité me touche et votre hilarité me met en joie.
    Je vois que vous continuez à visiter incognito ce site plutôt honni, celui que vous ne deviez plus fréquenter. Mais vous vous faites du mal...
    .Pour vous remercier de votre intérêt bienveillant. quoique peu constructif, je vous souhaite bonne continuation dans la bande à Fufu, le cher voisin, qui a toujours le mot pour rire...


  • ZEN ZEN 19 août 2015 08:49

    Beaucoup de malentendus sur l’intention de mon papier, qui aurait pu être plus clair c’est vrai, et éviter un titre qui créait des attentes indues.
    Je ne souligne pas, comme je l’ai entendu, que la réussite en soi serait un échec, ce qui n’aurait pas de sens.
    Sans entrer dans le développement de ce que serait une réussite vraiment humaine (notion très problématique), j’ai voulu faire la critique des lieux communs qui tournent autour.
    La réussite purement financière, celle du pouvoir pour le pouvoir (il faut relire Balzac), à travers des figures modernes qui illustrent combien cette notion peut être un piège...était le seul but de mon propos, sans moralisation ni exhaustivité.
    Ce que je dis est finalement assez banal. C’était surtout une incitation à relire Balzac, Stendhal, Maupassant, Shakespeare, etc.....
    Une question de bonnes lunettes...


    • Clouz0 Clouz0 19 août 2015 10:15

      Du coup je ne comprends plus votre réponse de cette nuit !


      Votre article « De la réussite » ne serait donc qu’une incitation à la lecture ? 
      Même avec d’excellentes lunettes il m’est difficile de n’y voir que cela.

      Vous induisez que la réussite est une injustice, une insulte faite à ceux qui ne réussissent pas.
      A aucun moment pourtant vous ne parlez de la seule réussite financière (que vous mentionnez maintenant et soudainement), mais vous citez seulement dans votre papier la « réussite sociale », par un auto-renvoi sur une précédente critique personnelle du « self made man » avec la même galerie de personnage pour illustrer votre propos.
      - « Il faut reconnaître que l’expression self-made-man est abusive et fonctionne le plus souvent de manière condescendante, culpabilisante et exclusive : les losers et les pauvres mériteraient leur sort, idée qui nous vient du darwinisme social propre au rêve américain »
      C’est une vision étriquée et récurrente chez vous. Un reste de « l’école française » tant cette vision est partagée par un grand nombre d’anciens profs un peu marxistes (et dépassés) sur les bords. 
      Le chemin de la réussite individuelle devient avant tout suspicieux et, presque par principe, entaché de tous les défauts.
      Difficile de n’y pas voir une sorte de jalousie dissimulée sous un égalitarisme mal compris.

      Pardonnez-moi de ne pas pouvoir poursuivre cette conversation, il me faut encore bosser aujourd’hui sans aucune garantie que « la réussite » que j’espère, bien loin de se limiter au seul plan matériel mais l’incluant aussi, sera bien au rendez-vous.

    • ZEN ZEN 19 août 2015 21:25

      @Clouz0
      Difficile à vous suivre, tant vous mélangez les points de vus et les plans, en me prêtant je ne sais quelles intentions.
      Ce que je décris plus haut, : les principaux points du darwinisme américain, la pensée de Rand vous semblent acceptables,peut-être ?
      La réussite-arrivisme cynique, bien vu dans le film que cité par Lapa, vous semble normale sans doute...Pas besoin d’être marxiste pour en apprécier la justesse.
      Reprenez la lecture. Try again...


  • Lapa Lapa 19 août 2015 15:21


    [...]La publicité, comme les shows télévisés nous invitent à nous considérer comme des personnages d’exception., flattant notre narcissisme : Parce je le vaux bien...La consommation ostentatoire envahit la vie.Le marketing de l’ego se démocratise...[...]

    voilà comment expédier en peu de lignes un aspect qui mériterait pourtant qu’on s’y attarde ! (aucune allusion à la perche à selfies, quel scandale !!! )

    Or, cet article parle trop littérature. Je conseille à l’auteur cet excellent film de 2014 :
    Night Call qui est un réquisitoire implacable sur l’absurdité de « nos » critères de réussite. (certains n’y on vu qu’un thriller critique envers les media, mais le pamphlet va bien au delà...) afin de diversifier un peu et d’étoffer le propos. En plus c’est un excellent film, vraiment.


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