lundi 25 mars 2013 - par Fabienm

De la solitude du dédicaceur

C'est beau une péniche. Ça met des images plein la tête. De belles images. On pense à une vie de bohème… pas d'attache, une boîte postale pour seul domicile, et la liberté, infinie et verte comme l'eau végétale qui s'écoule sous notre coque. Une vie faite de petits roulis et de tangages, d'écluse et de routes silencieuses. Une vie de voyages fluviaux et de rencontres fabuleuses. Une vie tout simplement, loin de la fureur de la monotonie, loin de la morne pollution et de la fadeur de la foule absorbante et aliénante.
 

Mais une péniche des fois, ça reste à quai. Ben ouais. Le genre bien accrochée à une bite – vous excitez pas les filles, je parle d'amarrage. Puis ça accueille des écrivains. Enfin... Des écrivains. Des gens qui ont écrit des livres. S'ils en vendent, on pourra éventuellement les taxer d'écrivains (et taxer leurs maigres revenus aussi). Pour le moment, ce sont juste des galériens (locataires suant d'un autre type d'embarcation), qui alpaguent le moindre péquin s'étant égaré un dimanche après midi à Triel-sur-Seine.
Hein ?
Oui, le week-end du printemps, il y a deux évènements littéraires mondiaux (qu'on se le dise) : le salon du livre de Paris (vous y croiserez quelques Goncourt (pff, quelle bande de crâneurs) et tout ce que la planète culturelle fait de journalistes (je hais les journalistes)), puis le salon de Triel-sur-Seine (c’est beau la Seine). On y trouve des livres aussi. Bon, moins connus quand même. Mais c’est pas plus mal, on y croise sûrement des vrais gens. Non ?


Vous arrivez un peu en avance en vous disant "il va y avoir du monde, évitons d'arriver en retard et en nage" (et à la nage non plus d’ailleurs). Vous vous installez sur une solide table à la nappe en papier vert pomme (le type de vert qui rappelle la liberté qui s'écoule tranquille avec le courant), puis le temps passe. Vous discutez avec une auteure sympathique, Anne Stien, qui a fait une magnifique chronique de votre livre et qui vous offre quelques marque page (toujours utile), puis avec un historien médiéval, Alexandre Bande – nom prédestiné pour finir dans un de vos livres sans aucun doute –, spécialisé dans les tombeaux de cœur au moyen-âge, et avec une foultitude d'autres... auteurs. Vous regardez votre montre. Ha tiens, vous avez oublié votre montre. C’est pratique. De toute manière, le temps s'est arrêté. Aucune âme promeneuse ne s'est encore perdue sur la péniche "bonne espérance". Les auteurs décident de s'échanger les bonnes pratiques ("oui moi j'ai fait faire mes marque pages chez Bidule" ; "T’es chez Kirographaires ? Pffff" ; "La 4eme de couv', franchement, moi je pense que ça devrait être devant").


Quand finalement un couple de vieux descend les marches qui mènent à l'espace de vente, on se croirait au souk de Marrakech. Le couple repart avec 30 bouquins et 50 cartes de visites.


Bon. Le temps s'est de nouveau arrêté.
Vous vous dites que vous auriez dû prendre une console de jeu, un livre, un vélo, un jeu d'échec, une boîte d’allumettes pour faire une reproduction de la péniche, un piano à queue, n'importe quoi qui vous permette de vous extraire de cet ennui. Mais à ce stade ce n'est même plus de l'ennui. C'est au-delà. Le temps passé sur ce bateau redéfinit la notion même d'occupation. On subit chaque tic, chaque tac, non pas comme un rapprochement d’une quelconque libération, mais comme le symbole, la preuve de votre emprisonnement dans cette geôle temporaire. Alors il ne vous reste plus qu’à apprivoiser l'ennui, à l'observer, à tenter de dialoguer avec lui, de lui parler, de le contourner, de négocier, de lui dire de vous lâcher la grappe 5 minutes. Merde, j'ai dit "minutes", voilà que ça vous reprend. Vous vous emmerdez sévère.

 

Quand finalement quelqu’un s'arrête en face de vous, au bout de 3 secondes et demie de conversation où sa solitude éclabousse ce qui vous reste de cerveau disponible, vous vous demandez vaguement comment vous débarrasser de lui. Quand en plus, il vous fait comprendre que votre livre ne l'intéresse pas – ce qu’il veut, c’est parler de lui –, vous n'espèrez plus qu'une chose : retomber dans l'ennui mortel qui tente de venir à bout de votre volonté depuis… merde… seulement 45 minutes. Soupir.
 

D’autres personnes viennent. En famille, entre vieux. Vous prenez alors conscience de la difficulté en 10 secondes d'expliquer votre livre. Devez-vous essayer de l'intéresser ou doit-il, lui, s'intéresser ? Vous essayez toutes les techniques – l'humour, la déprime, l'absurde, la menace même. Rien n'y fait, que des sourires polis, gênés parfois, et dans leurs yeux un ennui sage et maîtrisé, aussi. Finalement, vous vous sentez moins seul. Eux aussi s'ennuient. Dans leur cas, vous imaginez que c'est un peu votre faute. Bordel, voilà que ca devient contagieux.

 

A un moment, un auteur s’approche de vous, et vous offre son bouquin comme ça. Il vous écrit une dédicace « Fabien, raconte-toi un rêve que tu existes un peu... ».
Bizarrement, ce moment de pure poésie rend l'ennui différent, plus doux sans doute.

 

Tiens de nouveaux gens…

Au bout de dix fois que vous essayez votre pitch sur des inconnus, vous craquez : "c'est l'histoire du testicule perdu de Lance Armstrong", "ça raconte la vie d'un lapin sodomite", "c'est sur les coulisses du gardien du zoo de Vincennes qui tombe amoureux d'un gorille condamné", "c'est sur le trafic d'armes en Angola", "c'est de la science fiction pour les enfants. C'est à mi-distance entre E.T. et Oui Oui et la voiture magique", "c'est l'histoire de mon combat pour la reconnaissance de ma maladie mentale".

 

Ha tiens il ne manquait plus que le raciste qui regarde le stand d'à côté en disant "regardez-moi ça, ils viennent jusqu’ici pour vendre le coran", parce que la fille est un peu bronzée et porte un fichu sur la tête…

 

Le pire, vous semble-t-il, ce sont les auteurs – gentils au demeurant, et même au demeuré – qui veulent faire des échanges de leur bouquin (ils savent plus comment les fourguer). Bon les gars (et les filles), comment dire ? Le dernier échange que vous avez fait, c'était en primaire, vous avez échangé une vignette Panini de Dominique Rocheteau, mais c'était juste parce que vous l’aviez en triple. Depuis, vous avez vaguement été tenté par l'échangisme, mais c'est tout.

 

Finalement, l’ennui c’est pas si mal.


Quand vous voulez avoir dix minutes de libre au boulot pour juste penser, vous n'arrivez pas à dégager 10 secondes, et maintenant que vous avez des heures, vous ne savez pas quoi en foutre. Elles vous emmerdent, vous encombrent. Faut croire que quelque chose tourne pas rond, ou carré, enfin bref, ça va de traviole.

Qu'est ce que vous avez fait pour mériter ca ? Et pourquoi vous parlez de vous à la 2ème personne du pluriel ?


Ha oui, ca y est, je me souviens, je voulais vendre des livres. Quelle idée. Le premier connard qui passe à proximité de mon stand, il prendra pour les autres : "ben alors, qu'est ce que tu foutais, ca fait 1 heure que je t attends ?!". Fait chier putain.
 

C'est que j'ai pas que ça à faire moi de glander.

J'ai des tonnes de trucs à faire.

Enfin...

Des tonnes.

Ok, j'exagère peut-être un peu.

Bon, je vais faire ma liste de courses tiens. Ou un morpion. Oui mais avec qui ? Mon voisin de table n'a pas trouvé la péniche (ou alors, il a regardé avant de descendre). Bof... Avec moi tiens. J'ai toujours été nul. Avec un peu de chance, je vais réussir à me battre.

 

Comme ça, j’aurais pas tout perdu.

 

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4 réactions


  • In Bruges In Bruges 25 mars 2013 17:58

    C’est une rude journée.
    Jean-Marc Roberts est mort ce matin, après deux ans de pas de deux et de travers avec son crabe, dont il parlait longuement et pudiquement dans « deux vies valent mieux qu’une ».
    http://www.parismatch.com/Culture-Match/Livres/Actu/Jean-Marc-Roberts-a-la-vie-a-la-mort-473400/

    Roberts dont « affaires étrangères » a été le premier bouquin que j’ai acheté, je crois , en dehors des conneries obligatoires des études.

    Et puis là, le même jour, le Fabienm qui nous remet ça avec un article.
    Pas juste, tout ça.
    Et puis cette citation qui me revient et dont je ne me souviens plus de l’auteur :
    « Parmi ceux qui n’ont rien à dire, ceux qui se taisent sont les plus agréables ».

    PS : allez, j’arrête d’étre méchant. Il y avait une légèreté , une ironie distante et une insondable légèreté de l’étre chez Roberts dont vous étes loin, mais quand même un peu « sur la route » , comme disait ce vieux Mac.


  • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 25 mars 2013 18:52

    Là on comprend mieux le taux de suicides chez les écrivains ...
    A peu près sur qui z’ont intitulé le salon « le bateau livre » ,idée géniale de la bibliothéquaire principale et municipale ... smiley


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