Des journalistes pris la main dans le sac
Intéressante, la question que pose dans son dernier numéro La Revue civique : « Les médias favorisent-ils l’esprit civique ? ». Les Matins de France Culture en ont fait le sujet d’une de leurs chroniques, vendredi 2 décembre 2011 (2) en présentant comme « diamétralement opposés » les points de vue de deux journalistes sollicités par la revue, Éric Israélévitch, directeur du journal Le Monde, et Pascal Riché, cofondateur du journal en ligne, Rue 89. Or, on observe le contraire : tous deux appartiennent à la même « mythologie de l’information » que les médias ne cessent pas de ressasser avec ses leurres. Ce faisant, on a la réponse à la question posée. Pour ruiner l’esprit civique, on ne fait pas mieux.
Les deux leurres du directeur du Monde
1- Le leurre du fait-écran
Le directeur du Monde a ressorti par exemple deux leurres favoris des médias (1). L’un est le fait-écran dont la propriété est d’être exhibé pour cacher une autre information. M. Israélévitch se plaint ainsi de l’absence de vérification de l’information, sous la pression de la vitesse qu’Internet a donné au flux des informations : « Une course à l’info, déplore-t-il, amène parfois certains à ne plus vérifier ou à mal vérifier l’information ». Qui peut dire le contraire ? La vérification d’une information avant publication est la précaution élémentaire qu’on attend de tout émetteur, journaliste ou non. Mais est-ce à dire pour autant que toute information vérifiée a vocation à être publiée ? Non, évidemment !
Comme c’est l’usage, le directeur du Monde ne parle de la vérification de l’information que pour faire oublier le revers que comporte, comme une pièce de monnaie, le traitement de l’information : la seconde opération que celui-ci exige, est la décision de publier ou non. Or, qu’est-ce qui dicte cette décision ?
1- D’abord elle est soumise à une première contrainte, l’exiguïté du temps et de l’espace de diffusion en regard du flux quotidien massif d’informations disponibles. On ne transvase pas le contenu d’un tonneau dans une bouteille : le tri exclut plus qu’il n’élit.
2- La seconde contrainte qui s’exerce sur la décision, est celle des motivations de l’émetteur. Toute information passe au tamis de son autocensure avant d’être donnée, en vertu du principe qui régit la relation d’information : nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire.
Le traitement de l’information se fait donc en deux temps, mais la mythologie journalistique ne veut retenir que celui de la vérification de l'information qui fait consensus et dissimule celui de la décision de publication ou non qui, elle, offre matière à discussion : les motivations peuvent différer d’un individu à l’autre.
Or une information gardée secrète influence tout autant les citoyens que celle qui est publiée. L’esprit civique en est affecté : les électeurs auraient-ils réélu le président Mitterrand pour un second mandat en 1988 si sa grave maladie ne leur avait pas été dissimulée ?.
2- Le leurre de « l'information brute »
Le second leurre resservi par le directeur du Monde est, selon France Culture, le concept inepte d’ « information brute ». Ce genre d’information n’existe tout simplement pas.
- S’il faut entendre par « information brute » une information « qui n’a subi aucune élaboration intellectuelle et à l’état de donnée immédiate », comme dit le Petit Robert, on est alors en présence du leurre de la mise hors-contexte qui permet de faire dire ce qu’on veut à une image, un geste, un mot ou une phrase.
- S’il s’agit d’ « une information qui vient de tomber », selon l’image idiote dont use la profession sans même s’en rendre compte, elle n’a pas échappé pour autant au tamis de l’autocensure de l’émetteur qui a jugé bon de la transmettre, conformément au principe régissant la relation d’information signalé plus haut. Une information ne « tombe » jamais du ciel. C’est un émetteur qui décide de la faire « tomber », c’est-à-dire de la diffuser après s’être demandé, en fonction de ses intérêts, s’il la faisait connaître ou s’il la gardait secrète.
Il n’existe donc pas d’ « information brute » qui s'imposerait d'elle-même à la diffusion, on ne sait pourquoi, sans qu'un émetteur décide de la faire connaître. Sous ce leurre se dissimule "le déni d'influence" cher à la mythologie journalistique : malheureusement, livrer ou taire une information influence toujours, qu'on le veuille ou non.
Mais en propageant ces deux leurres de la mythologie journalistique de l’information, le directeur du Monde apporte en actes, à son insu, une réponse à la question posée par La Revue civique : il nuit manifestement à l’esprit civique puisqu’il trompe sciemment ses lecteurs.
Les deux leurres du cofondateur de Rue 89
Le cofondateur de Rue 89 se montre-t-il moins nuisible à l’esprit civique ? Non, hélas ! Il prétend, le malheureux qu’ « avec Internet les mensonges politiques sont quasi impossibles parce qu’ils sont immédiatement dénoncés et corrigés par les internautes » (1) ! En une seule phrase, il use de deux leurres.
1- le leurre du mot « mensonge »
- On ne conteste pas qu’Internet a offert la possibilité de s’exprimer à ceux que les médias traditionnels muselaient jusque-là dans leur "courrier des lecteurs" triés sur le volet. Mais est-ce que pour autant « les mensonges politiques sont (rendus) quasi impossibles » en raison de la vigilance des internautes ?
- D’abord, et c’est un premier leurre, le mot « mensonges » est inapproprié en matière d’information. Son usage par les médias traditionnels vise à conférer en douce au mot « information » le sens de « vérité ». « Information » et « désinformation » sont, en effet, systématiquement opposés comme « vérité » à « mensonge ». Or, l’expérience montre qu’ « information » ne peut être synonyme de « vérité » : elle n’est tout au plus qu’ « une représentation de la réalité plus ou moins fidèle ».
2- Le leurre de la flatterie
- Ensuite, c’est faire beaucoup d’honneur aux internautes que de les croire capables de débusquer les représentations les plus éloignées de la réalité. On reconnaît le leurre de la flatterie. Le propre d’un leurre est en principe de passer inaperçu. Celui de la flatterie est cousu de fil blanc. Les stratèges en information, en revanche, ne sont pas nés de la dernière pluie : eux savent user de leurres qui échappent même à la sagacité des internautes. On en soupçonne quelques uns dans la prétendue crise que connaît aujourd’hui l’Euro et l’Europe.
La Revue civique s’est-elle rendu compte qu’en sollicitant des professionnels des médias pour répondre à sa question, ils prouvaient en actes qu’ils combattaient vigoureusement « l’esprit civique » par les erreurs qu’ils répandaient en matière d’information pour tromper les citoyens. On aurait aimé qu’une radio de service public le remarquât. Mais c’est trop demander : France Culture adhère elle-même à ces erreurs comme elle ne cesse de le montrer dans ses émissions. Ce n’est donc pas d’elle non plus que « l’esprit civique » ait quelque chose à attendre : ce n’est pas sa culture. Paul Villach
(1) http://www.revuecivique.eu/index.php?option=com_content&task=view&id=97&Itemid=99999999
http://www.revuecivique.eu/index.php?option=com_content&task=view&id=90&Itemid=99999999
(2) « Les matins de France culture », vendredi 2 décembre 2011, « Le coup d’œil », chronique d’ Augustin Arrivé, entre 8h40 et 8h43.
« Les médias favorisent-ils l’esprit civique ? » C’est cette question qui est posée dans le dernier numéro de la publication « La Revue civique » et dont le journal La Croix nous fait l’écho aujourd’hui. La revue civique qui convoque pour l’occasion plusieurs personnalités des médias, notamment d’un côté Éric Israélévitch qui dirige le journal Le Monde, et d’un autre côté Pascal Riché qui personnifie les nouveau médias et la révolution technologique puisqu’il est le cofondondateur du site Rue 89. Et sur cette question « Les médias favorisent-ils l’esprit civique ? » leurs points de vue sont diamétralement opposés.
Pour É. Israélévitch, ce bouleversement technologique de médias accélère ce qu’il appelle la crise du désenchantement qui contribue à la perte de confiance vis-à-vis du pouvoir, des organes politiques et du système électoral. Pourquoi ? Parce que la presse résiste très difficilement aux pressions de l’Internet. Il y a aujourd’hui une course à l’info et cette course amène parfois certains à ne plus vérifier ou à mal vérifier l’information. Il y aurait aussi une suprématie de l’information brute au détriment de l’analyse. Il n’y a pas de place sur les réseaux sociaux pour, par exemple, des papiers de fond. Les messages publiés sur ses sites sont extrêmement limités en termes de longueur, ce qui favoriserait par exemple dans une campagne politique la focalisation sur les petites phrases plutôt que sur les programmes et ça, ça peut doper l’abstention.
Pascal Riché de Rue 89 répond qu’on faisait le même genre de remarque à Gutenberg quand il a inventé l’imprimerie. L’élite intellectuelle de l’époque reprochait, semble-t-il, à ce nouveau procédé le fait qu’il allait faciliter la diffusion d’erreurs même involontaires. Une simple faute d’orthographe dans l’alignement des casses se retrouvait sur l’ensemble des imprimés alors que les moines copistes l’auraient corrigée dès l’exemplaire suivant. Pascal Riché pense au contraire qu’avec Internet les mensonges politiques sont quasi impossibles parce qu’ils sont immédiatement dénoncés et corrigés par les internautes. Et puis sur leur site, les médias traditionnels peuvent en plus offrir à leur public des dossiers tellement longs et fournis qu’ils seraient pour certains impubliables sur des formats papier. Tout ça pemettrait de se réapproprier le champ politique et de réveiller le débat citoyen. »