jeudi 18 août 2016 - par Thierry SALADIN

Des réseaux sociaux face aux événements dramatiques survenus en France

Un membre du Tyrannicisme* vient de m'envoyer un texte rédigé par un autre membre du Tyrannicisme, lequel membre serait écrivain.

Tous les deux étant des jeunes de moins de vingt-cinq ans, j'ai pensé utile de faire profiter les lecteurs d'Agora Vox de l’analyse que fait le second nommé, s'agissant des réseaux sociaux et de leur rôle sur le peuple français à la suite des récents événements survenus en France. » 

Voici ce texte, sous la signature de son auteur et avec son accord, bien entendu.

Seuls le choix des illustrations et des liens internet relèvent de ma propre initiative.

Thierry Saladin

*Le Tyrannicisme étant un mouvement disparu, auquel ils ont tous deux participé.(sic)

(Ces temps-ci, on m'a reproché de ne pas faire mon devoir de citoyen, c'est-à-dire de donner mon opinion sur l'actualité, ou de m'engager dans les conflits et les débats de mes contemporains. Hélas, je n'ai pas d'opinion, et à vrai dire, j'ignore qui s'y intéressera alors que moi-même je n'y accorde pas d'intérêt. En revanche, pour soigner les reproches qui me sont faits, je peux tenter d'éclaircir la situation, à ma manière, comme ça, en passant.)

ll est assez étonnant que ce peuple, le nôtre, n'ait su réagir qu'en pleurant, et, peut-être pire, qu'en priant. Le désormais répété « Pray for » me semble inapproprié, et cela pour deux raisons. 

La première est l'usage de l'anglais qui, n'étant pas notre langue, nous soumet à un sens éloigné de notre sensibilité, de notre intelligence et de la possibilité de nous comprendre. Essayons tout de même d'étudier sa forme. Soit l'emploi de l'indicatif « Prier » bannit tout sujet de l'action, laissant le sujet hors de toute possibilité d'agir, soit, et c'est le plus intense, l'emploi de l'impératif « Priez » fait résonner le ton de l'ordre et de la soumission, auquel cas quelque chose aurait le pouvoir de nous demander de prier, en nous dépossédant par là de toute volonté d'agir.

La seconde raison, liée au sens précédent, est l'idée selon laquelle nous demanderions à un dieu de sauver des villes, de résoudre nos conflits ; par cette formule, nous nous reposerions sur un dieu dont les fanatiques mêmes ont permis la formule. Nous opposerions paradoxalement un geste religieux, la prière, à un autre geste religieux, le sacrifice ; nous opposerions la foi à ce que l'ennemi nous oppose, la foi. En quoi l'ennemi est-il dans ce cas l'ennemi ? Voyons quel lien existerait entre ces deux fois.

Puisque « Pray for » n'a pas de résonance dans la réalité, la demande est superficielle : je n'ai opéré à la suite du slogan aucune cérémonie de supplication ; je n'ai ni joint ni tendu mes mains pour me faire entendre d'un dieu. L’expression est creuse. Notre foi va au superficiel. On m'opposerait que la demande de prière est une simple marque de compassion, mais, si ce mot-ci appartient en effet au vocabulaire religieux, il n'en est pas moins superficiel en ce qu'il n'a pas de résonance profonde dans le fait religieux. Par ailleurs, pourquoi la compassion ? Faut-il donc se nourrir de la douleur pour affronter la faiblesse ? Peu importe, de la compassion, je reviens à mon étonnement initial : ce peuple, le nôtre, ne sait-il que réagir, et qui plus est en pleurant ?

Dans leur cas, la foi est autant superficielle. Le dénommé E.I ne se diffuse pas aux peuples par des prêches ou des discours à la manière des religions dans leur période d'expansion, mais au contraire, il recrute d'individu à individu, il use de la sainte communication. Tel est le publicitaire qui cible des dates et des villes symboliques. Car enfin, ses arguments correspondent à la très contemporaine façon de penser : la façon dite du « vernis ». Après tout, que veulent les fuyards ? un ensemble fragmenté d'éléments moraux pour se constituer une image sublime à laquelle ils voudront obéir. N'est-ce pas la preuve qu'ils viennent non pas du Moyen-Âge (qui au demeurant était une période de foi profonde, totale, autant vulgaire qu'intellectuelle) mais bel et bien de notre temps, et qu'ils obéissent eux aussi aux lois de l'Écran ?

Ainsi, il n'y a pas une foi qui en opposerait une autre, mais une seule et même à laquelle nous obéissons fidèlement (nommée pour l'heure l'Écran) et dont nous ne semblons pas avoir réellement conscience.

Je dois, puisque j'ai été formé ainsi, me contredire et dépasser.

Ne faut-il pas constater que le slogan « Pray for » est un slogan qui prolifère sur les réseaux sociaux, et que lesdits réseaux sociaux sont le royaume des individus ? Il n'est nulle communauté sur Facebook mais une accumulation de réactions qui passent et qui passent, sans lien, mais un ruement d'individus, d'égos, de types.

Si quelqu'un ou quelque chose dit « Priez », ce ne peut être moi, car je suis celui qui partage. Si j'avais été celui qui inventa, qui propagea, qui ordonna, j'aurais absolument compris et maîtrisé mon œuvre ce slogan. Or, je n'ai pas inventé, propagé, commandé de « Prier pour » mais à nouveau, j’ai seulement partagé qu’il fallait « Prier pour ». Autrement dit, on (que je laisse faire) agit sur moi et on me demande de « Prier ». Je le partage dans la fougue compatissante et générale, sans savoir quelle dimension pourrait avoir ce slogan. C'est la forme « idiote » de la démocratie (qui dégénère de fait en laoscratie*, et qui conserve paradoxalement son -cratie) — par idiot (n'ayant nul désir d'être insultant), j'entends simplement l'origine grecque ἴδιος : ce qui est particulier, simple, délié. Sur les réseaux sociaux, point de démocratie : mais une bande d'idiots. Ce qui est commun est dans la rue.

Ainsi, nous sommes tous obéissants à Facebook, avant d'obéir à notre compassion ou à une quelconque foi. Si chaque individu est libre, quelle que soit sa foi (du catholicisme au socialisme, de l'islam au sartrianisme), l'individu doit savoir qu'il obéit avant tout aux lois contemporaines dont Facebook et les réseaux sociaux sont à la fois les symptômes et les gardiens. Ceci est l'affaire d'une autre réflexion, et d'un autre dépassement ; le sujet, vous l'aurez compris, veut s'arrêter à la formule « Prier pour ».

(Pour être plus actuel, je pourrais ajouter que la tolérance n’est possible que lorsqu’il y a un autre que soi : autrement dit, celui qui se dit tolérant, mais qui refuse toutes les formes contraires à son « image », ou mieux, celui qui fantasme et refuse essentiellement l'Autre, n’est plus si tolérant. Par conséquent, les croyants qui condamnent la caricature ont autant leur place que les caricaturistes qui condamnent la croyance. De fait, et donc selon l’idée même de tolérance, l’un et l’autre, tant qu’ils ont la sagesse de voir dans leur relation (aussi conflictuelle soit-elle) une possibilité de s’éviter le fanatisme, garantissent une paix vivifiante et un équilibre en leurs idées.

Mon devoir étant fait, ceux qui ont critiqué ces temps-ci mon absence de critiques seront, je le souhaite, servis.)

Marvin Adoul

*Le laos, c’est la masse, le peuple sans principe d’organisation, un peuple idiot, composé de singularités qui se pensent irréductibles ; en revanche, le démos c’est le peuple convoqué pour décider d’un avenir commun.

(voir la vidéo)

 

 

 



3 réactions


  • Taverne Taverne 18 août 2016 11:26

    « en revanche, le démos c’est le peuple convoqué pour décider d’un avenir commun. »

    Il est grand temps de convoquer le demos  ! Les bandes de sauvages et les bandes d’idiots aux ambitions politiques, font tant de bruit autour de leurs positions minoritaires qu’elles donnent le sentiment de s’exprimer au nom de l’Humanité. Or, l’humanité ne se fait plus entendre dans ce concert de bruit et de fureur. Pourtant, c’est sa seule opinion qui vaut !


  • Robert GIL Robert GIL 18 août 2016 11:38

    Depuis l’attentat de Nice, les équipes de Hollande, de Sarkozy et de Le Pen se combattent à coups de polémiques stériles. Leurs oppositions sont purement démagogiques et politiciennes car, sur le fond, ils sont tous d’accord.

     Ils sont d’accord pour accroître les mesures sécuritaires. Sur le fait de poursuivre la guerre et intensifier les bombardements en Syrie et en Irak, ils sont encore d’accord. Sur le fait de maintenir la présence impérialiste de la France au Moyen-Orient, ils sont unanimes.

    Ils trompent tous la population. Ce n’est pas en augmentant la violence et la répression que l’on obtiendra plus de sécurité.

     Il suffit de prendre les idées avancées par les uns et les autres et de les appliquer au massacre de Nice pour comprendre qu’elles n’auraient rien empêché. Pire, chacune de ces mesures a son relent de xénophobie et de nationalisme. Elles renforcent la bêtise raciste et entretiennent un climat anti-immigré qui ne peut être que source de haine.

     Et qu’est-ce que  les travailleurs ont à gagner à faire la guerre en Irak et en Syrie ? Qu’ont-ils à gagner à la présence impérialiste de la France aux quatre coins de la planète ? Rien ... lire la suite


  • lsga lsga 18 août 2016 13:56

    Un texte réactionnaire qui dégouline de « c’était mieux avant »

    Les réseaux sociaux, comme tout progrès dans les infrastructures de télécommunication, représentent un progrès net de la conscience de classe.

    Cet article lui-même n’existerait pas sans ces progrès technologique.


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