lundi 5 septembre 2011 - par
Deux visiteurs perdus dans Pompéi et heureusement retrouvés, en août 2011
Pour qui parcourt Pompéi depuis vingt ans, la dégradation de la ville morte est apparente. Que va-t-il rester dans cinquante ans de cet exemple unique au monde d’une cité romaine du 1er siècle après J.-C, conservée 18 siècles tant qu’elle restait enfouie sous les lapilli de l’éruption du Vésuve qui l’a détruite en 79 ? Les enduits s’effritent, les pierres se descellent, les trottoirs sont arasés, les tuyaux de plomb affleurent, les murs s’effondrent. Heureusement pour les générations futures, un tiers de la ville n’est toujours pas fouillé.
Maisons fermées
Outre celles qui n’ont jamais été ouvertes aux touristes et qu’on ne visite que sur autorisation expresse, comme Les Amours Dorés, Lucretius Fronto, Le Centenaire et son lupanar privé, les Noces d’Argent, à hauteur du Décumanus inférieur de la via Nola, ou encore Le Cithariste et Ménandre à proximité des théâtre et odéon, de plus en plus de maisons jusque-là accessibles sont désormais fermées, comme celle de Ceius Secundus ou surtout celle des Vettii sous les échafaudages d’une restauration qui dure depuis plusieurs années. On ne peut davantage entrer dans les Thermes de Stabies.
On ne comprend pas la politique qui a consisté à privilégier le quartier du Décumanus Maximus, dit la Voie de l’Abondance, sur laquelle donnent des sites qui ont été équipés dans un but pédagogique sous le label de « Pompéi Viva » (1). La maison de Polybe, aménagée avec reconstitution de la cuisine et du triclinium, n’est pas plus accessible que l’insula des Casti Amanti qui la jouxte : on voit bien des vitrines avec photos le long des murs, mais l’accès au chantier de fouilles n’est ouvert lui aussi que sur autorisation. Son intérêt est de montrer une fouille en cours : sont exhumés déjà une boulangerie avec son four, ses meules et les ânes ou mulets qui les faisaient tourner et dont les squelettes gisent encore dans l’étable à côté, et une maison de type hellénistique avec viridarium, dont une peinture murale donne sont nom à l’insula : sur le mur d’un triclinium, un tableau représente deux amants en train de s’embrasser chastement sur un lit de banquet. Pompéi connaît en effet des baisers bien plus torrides. D’autre part, la découverte d’un mur coupé net à sa base et projeté sur plusieurs mètres a conduit à reconsidérer les modalités de l’éruption de 79 : une nuée ardente aurait, en fait, fini par détruire la ville.
Rues fermées
Pour comble de malchance, depuis les récents écroulements successifs survenus un peu plus loin sur ce Décumanus Maximus à hauteur des Maisons de Trebius Valens et du Moraliste dont on avait pu voir l’an dernier que les maximes du triclinium était déjà quasiment effacées, des grilles empêchent d’aller plus loin (voir photo ci-contre). Il faut connaître pour les contourner par le lacis de ruelles adjacentes, et gagner, au-delà, la Maison de Loreius Tiburtinus, un disciple d’Isis qui a construit dans son jardin un bassin longiligne censé représenter symboliquement le Nil, et un peu plus loin la Maison de Vénus quit doit son nom à une grande peinture au mur du portique de son viridarium, où Vénus naît sur l’Océan dans sa coquille, bien avant que Sandro Botticelli, 15 siècles plus tard, en offre le chef-d’oeuvre inoubliable que l’on voit aujourd’hui au Musée des Offices de Florence (voir photo ci-dessous).
Un couple de visiteurs perdus... puis retrouvés
On comprend donc la déception de certains visiteurs alléchés par les livres qu’ils ont pu feuilleter et qui leur ont donné envie de découvrir la ville morte. Ils cherchent vainement ce qu’ils espéraient voir. La visite audio autoguidée ne leur est pas d’un grand secours : quand ce ne sont pas les maisons, ce sont les rues qui sont fermées.
On a ainsi rencontré un couple de Bordelais, le nez plongé dans un plan, sur le Décumanus inférieur de la Via Nola, à proximité de la Maison du Faune. On les a sentis si tristes et désemparés qu’on leur a proposé spontanément son aide. On ne peut souffrir l’idée que des visiteurs viennent jusqu’à Pompéi et en repartent déçus ou dégoûtés. Bien sûr, on ne pouvait pas faire de miracle, on n’avait pas les autorisations qui auraient permis de faire ouvrir les maisons qu’on connaît, mais on les a promenés dans Pompéi en leur montrant les voies pour contourner les palissades.
On leur a ainsi traduit en passant l'inscription au linteau de la porte d'entrée du temple d'Isis qui signale crânement qu'un enfant de 6 ans (sic !) l'a reconstruit avec son propre argent après un tremblement de terre et que, malgré son jeune âge, dans un geste de reconnaissance, il a été coopté par l'ordre des décurions, le conseil municipal de la ville.
Les visteurs perdus voulaient voir « Le jardin des fugitifs », du nom de cette parcelle du quartier des vignes à proximité de l’amphithéâtre où a été retrouvée une quinzaine de cadavres dont on conserve les empreintes de plâtre dans une vitrine (voir photo ci-dessous). On s'y est rendu, en leur montrant au passage les colonnes de décompression près des fontaines qu'on croisait. On a réussi à atteindre par des détours les Maisons de Loréius Tiburtinus et de Vénus. Quant à celle un peu plus loin de Julia Félix, cette propriétaire qui avait, après le tremblement de terre de 62, partagé sa propriété en trois lots - sa propre résidence, des thermes privés qu’elle avaient ouverts au public et un restaurant avec sièges et lits de triclinium d’été - on leur a montré par les grilles de la porte fermée le merveilleux portique du viridarium aux fines colonnettes de marbre à chapiteaux corinthiens et fûts parallèlépipédiques : mais faute de pouvoir entrer, il n’a pas été possible de leur faire admirer, donnant sur ce portique, le triclinium d’été revétu de plaques de marbre, qu’enserrait une eau courante ruisselant par nappes d’une vasque.
Au sourire qu’on a vu renaître sur le visage de ses compagnons de hasard, on a compris qu’ils ne quitteraient pas Pompéi tristes et dépités. Le surlendemain, on visitait Paestum, à 80 kms plus au sud : on leur a proposé de leur présenter cette cité grecque aux temples doriques bien conservés et à la prodigieuse peinture de la « tombe du plongeur » qui, depuis 25 siècles, présente avec humour la mort comme l’aventure d’un plongeur suspendu en l’air entre terre et mer dans un saut vers l’inconnu de « l’eau-delà » dont on a pas appris grand chose depuis(voir photo ci-dessous). Ils ont tout de suite accepté. Paul Villach
(1) Paul Villach, « « Pompéi Viva » et Pompéi abbandonata, le choix de la Superintendance des fouilles de Pompéi », AgoraVox, 8 juin 2010.