Développement durable : un mythe ?
Plus de 40 ans après avoir été forgée, l'expression « développement durable » (un projet surtout exploré par les bactéries, virus et la tumeur cancéreuse dans la nature, car impliquant une croissance infinie (continue) dans un monde fini) est de plus en plus à la mode dans l'espèce humaine. Faut-il s'en inquiéter, vu les expériences que nous connaissons, ou sommes-nous plus futés que nos prédécesseurs ?
Dennis Meadows (un des principaux contributeurs du « Rapport au Club de Rome « ) pense, 40 ans après la rédaction du livre, qu'il est bien trop tard pour viser un développement durable et qu'il faut viser la résilience face aux chocs à venir.
Bien d'autres sont persuadés qu'un effondrement de notre civilisation est possible, non sur des bases financières mais physiques, avec des arguments apparemment solides.
Est-il trop tard (ou trop tôt …) pour faire du développement durable ?
A la fin de l'ouvrage écrit par Donella Meadows est décrit l'état d'équilibre (habilement traduit en « développement durable ») qui permettrait à une civilisation humaine voisine de celle que nous connaissons par les services rendus, de vivre durablement. Dire que nous en sommes aux antipodes serait un euphémisme : population non stabilisée, fuite en avant de la consommation de ressources par personne, aucun cycle bouclé, au point que nous ne percevons que fugitivement que les océans et l'atmosphère terrestre sont des décharges sauvages juste nettement moins visibles que nos décharges solides.
Notre civilisation compte durablement sur la nature pour sa survie et sa croissance, tout en faisant exploser la pression combinée de ses effectifs par les besoins par tête. Quoi qu'on en pense, nos instincts et nos émotions priment largement sur notre pensée conceptuelle dans nos actes quotidiens et nos croyances et nos motivations.
Jamais ils n'ont eu à gérer des notions comme l'« exponentielle », l'« effet de seuil », la « dynamique des systèmes complexes », l'effet « domino », etc...
Il est totalement impossible de ressentir l'effet à grande échelle de la somme de tout geste quotidien, manger un steak, conduire sa voiture, surfer sur l'internet, pisser/chier dans de l'eau potable. Anodin à l'échelle d'un individu mais à 8/10 milliards ? Difficile de craindre des dangers qui ne sont accessibles qu'à travers des chiffres, courbes, graphiques, comparaison de nos prélèvements par rapport aux stocks, probabilités, etc...
Ces dangers sont d'autant plus réels qu'on connaît le passé qui a vu une fraction de l'humanité s'arroger le droit d'accès sans limite aux ressources naturelles sans considération du droit des autres à en bénéficier (pays moins avancés et générations futures).
Par ex, la science nous dit que si nous voulons émettre autant de CO2 dans l'air que la nature ne peut en absorber chaque année (un projet discutable), chaque humain a implicitement droit à un « quota d'émissions » annuel. Il se trouve qu'on atteint ce quota en faisant un aller-retour Paris/New-York ou 5000km en voiture (avec nos effectifs actuels) .
Un exemple souvent évoqué est celui du « pic de pétrole » et les scénarios qui entrevoyaient un effondrement de la civilisation par mise en décharge de la quasi totalité de nos moyens de transport.
Si on considère qu'au rythme actuel on a 40 ans de consommation, on ne descend pas subitement à zéro en 2058, sans avoir rien fait. La raréfaction va se faire sentir bien avant, donc le prix va jouer un rôle dans l'exploitation des pétroles non conventionnels (par ex) ou dans le déploiement (en cours) de véhicules électriques. Or les pétroles conventionnels repoussent l'échéance d'au moins le double de temps et un véhicule électrique est bien plus résilient (en matière de transport) au sens où n'importe quelle source peut l'alimenter en amont (fossile ou renouvelable).
Mieux que cela, entre deux utilisation du véhicule on peut espérer collecter localement tout ou partie de l'énergie nécessaire au prochain parcours, l'extraire localement (chez soi), chose impensable avec le pétrole. En 1970 on pouvait imaginer le « peak-oil » comme un retour à la bicyclette, au cheval et à la traction animale, plus difficile en 2018.
Même si le nœud coulant autour de notre gorge venait d'un manque de ressource (lithium par ex) ou de la gestion des déchets du parc automobile, ou du climat, une société où l'on on assure les mêmes services cruciaux de transport selon un schéma utilisant beaucoup moins de véhicules, conserverait un monde voisin de celui que nous connaissons. La possession d'un véhicule automobile pesant plus d'une tonne et ne servant à rien 95% du temps est-elle un impératif absolu pour préserver notre mode de vie ?
Un argument « catastrophiste » est souvent de dire qu'on ne peut avoir une croissance infinie dans un monde fini. C'est a priori vrai si on considère que nos effectifs pourraient continuer à augmenter indéfiniment, comme nos besoins individuels. C'est oublier un peu vite que le taux de croissance du PNB des pays développés perd à la louche 1% par décennie depuis la fin des 30 glorieuses et que tout indique qu'on va vers une croissance à peine positive dans tout futur prévisible. Au demeurant il faut bien parler de croissance réelle (consommation d'énergie et ressources naturelles, croissance de la population) pas de PNB qui est d'une vacuité abyssale pour traduire la seule chose qui compte (vraiment) à savoir les prélèvements sur le patrimoine (énergétique, minier, forestier etc) et leur transformation. On sait faire un dollar de PNB en faisant 5 dollars de dette, USA, Chine et Japon, le font très bien.
Pour la population, on peut imaginer un plateau dans un avenir prévisible (au delà de 2100), le niveau de consommation énergétique n'est pas vraiment borné (la ressource solaire extractible est démesurée par rapport à nos besoins et les éléments nécessaires pour l'exploiter sont multiples) et les besoins en ressources minérales peuvent être fortement minimisés par le recyclage et par la technologie (beaucoup de recherches visent à produire et stocker de l'énergie solaire en exploitant soit des matériaux organiques, soit des éléments hyper abondants (carbone, soufre, aluminium, calcium, etc...).
Par ailleurs, sur le plan énergétique et matériel, on ne peut considérer la planète Terre comme un système fermé/clos/fini.
Les ressources alimentaires posent un problème vu l'évolution de nos effectifs et du régime alimentaire occidental très carné qui tend à se banaliser. On a de multiples cartes à jouer, notamment une évolution vers des régimes peu/pas carné (il faut dix fois plus d'eau, à peu près autant d'énergie et 4/6 fois plus de terre pour nourrir un omnivore occidental qu'un végétarien par ex), mais si les aliments de culture (viande, lait, poisson, crustacés, etc) se banalisent , ou si comme le font les chinois, on fait vis-à-vis des produits de la pêche ce qu'on a fait avec les produits de la chasse, le goulet d'étranglement pour la biodiversité se réduit notablement. A savoir que les produits d'aquaculture dépasse déjà la production de viande bovine et le potentiel est très grand. Le rendement de conversion (matière organique en protéines) est aussi bien plus efficace chez les poissons herbivores que chez les animaux terrestres à sang chaud.
Dissuader la consommation de viande bovine (de loin la plus vorace en ressource) pourrait être envisagé.
On pourrait aussi fortement développer la production de micro organismes (algues, levures, etc...) qui sont bien plus efficient à fabriquer de la matière organique que les végétaux supérieurs.
On gagnerait énormément à relocaliser les productions agricoles et toutes les productions industrielles qui le peuvent. Le « tourisme » international des marchandises a été multiplié par 7 en quelques décennies sous l'effet de la mondialisation « à la chinoise ». Difficile d'aligner des sommets pour « préserver la planète ou le climat ou la connerie humaine » quand on soutient, bec et ongles, un système économique dévoreur de ressources énergétiques et polluant.
On entrevoit donc, à l'examen un peu attentif que les scénarios de « fin de civilisation » et/ou d'effondrement brutal du niveau de vie, ne dépendent pour l'essentiel pas de la Nature, mais bien de nous (incompétence politique, myopie, intérêt court- termiste d'une minorité allant à l'encontre des intérêts collectifs à long terme (un classique), impossibilité de nous fixer des limites sur Terre, difficulté à gérer le système complexe qu'est devenu la techno sphère et ses besoins et interactions avec l'écosphère.
Le plus grand danger visant une civilisation humaine durable sur Terre à très court terme (décennies), c'est nous. A plus long terme (siècles), cela dépend de la façon dont nous gérerons les limites physiques qui nous sont imposées sur Terre. Elles dépendent fortement du niveau de notre technologie et de notre capacité à boucler les cycles naturels. Les dinosaures l'ont fait pendant des dizaines de millions d'années et ne passent pas pour avoir été bien plus intelligents que nous...
Une piste pour y parvenir est par ex de faire exploser ces limites physiques en sollicitant les ressources (incommensurables à notre échelle) du système solaire. En fait c'est la seule échelle à laquelle on peut faire ce que tout le monde appelle du « développement durable », ça fait réfléchir...
Une autre est de recourir au maximum aux autres espèces pour leur faire faire gratuitement et avec un recours minimal à la technique, ce que nos machines faisaient (on a déjà l'exemple de l'agriculture post moderne). Si comme prévu, nos effectifs finissent par baisser ce sera d'autant plus facile.
Nous avons probablement déjà toutes les pistes pour parvenir à une civilisation humaine durable sur Terre sans revenir à un Moyen-âge pour le plus grand nombre et une élite de « Cloud minders » supervisant les besoins d'un cheptel humain.
On a même, depuis peu, une solution technique et financière pour esquiver des astéroïdes de taille hectométrique et bientôt kilométrique (qui pourraient nous freiner quelques peu dans nos projets, disons...).
On peut nourrir l'espoir d'avoir un avenir collectif qui ne soit pas un cloaque ou une dystopie. Ce serait cependant un pari dangereux d'attendre que l'impulsion vienne des « décideurs ». Sans prise de conscience collective d'une masse critique (pour influencer les décideurs) bifurquer vers un chemin ne conduisant par à un désastre collectif n'est pas acquis, car l'actuelle idéologie économique (le « néolibéralisme » disons) est à l'écologie (la préservation de notre support-vie), ce que l'antimatière est à la matière.Dire « c'est pas gagné » est en 2018 un doux euphémisme.