Droit du sol : Trump, Retailleau, même combat

Donald Trump et Bruno Retailleau, chacun à sa taille, le premier pour les États-Unis le second pour Mayotte, parlent de remettre en question le droit du sol. Bruno Retailleau doit se sentir tout ragaillardi dans sa politique par ce vent qui vient du large, en droite ligne.
Les situations sont cependant bien différentes.
Aux États-Unis, le droit du sol est adopté par le 14ème amendement de la Constitution, en 1868.
« Toutes les personnes nées [quel que soit son statut] ou naturalisées aux États-Unis et soumises à la juridiction de ces États sont des citoyens [des nationaux] des États-Unis et de l'État dans lequel elles résident. Aucun État ne peut adopter… une loi qui restreindrait les privilèges ou immunités... aucun État ne peut... refuser à quiconque relevant de sa juridiction l’égale protection des lois » (section 1).
« Le Congrès aura le pouvoir de faire respecter, par une législation appropriée, les dispositions du présent article » (section 5).
Ce droit du sol, quel que soit le statut de la mère, est bien illustrée dans Alambrista, film primé de la Caméra d’or en 1978 à Cannes. Dans la dernière scène, une femme court, éperdue, s’accroche au poste frontière, accouche et déclare : « C’est un Américain ». Malgré son immigration récente et illégale.
Ce droit du sol s’applique même à un enfant, né dans un avion étasunien, qui obtient automatiquement la nationalité étasunienne quel que soit le statut migratoire des parents !
Par l’abolition de l’attribution de la nationalité étasunienne à la naissance des enfants en situation irrégulière, Donald Trump prétend diminuer l’attraction des États-Unis et pouvoir expulser ces « immigrés de l’intérieur ».
Il s'agit de supprimer le droit du sol, seulement, pour les enfants de femmes en situation illégale. Avec de probables difficultés juridiques et politiques.
Pour modifier la Constitution, il faut le soutien des deux tiers des élus au Congrès !
Le but réel du Président Ronald Trump est-il de supprimer la loi ou de déstabiliser les immigrés, de montrer, de façon spectaculaire, sa détermination, de renforcer le soutien populaire à sa politique ?
Il est impossible d’expulser les enfants nés sur le territoire, donc étasuniens, et difficile d’expulser leurs parents. Si les adultes sont expulsés ou partent avec des enfants nés aux États-Unis, ceux-ci, Étasuniens, pourront revenir plus tard. Sauf nouvelle loi leur retirant cette nationalité…
Un décret, signé par Ronald Trump, le 20 janvier 2025, remet en cause le 14ème amendement concernant les enfants de parents immigrés en situation irrégulière mais aussi les titulaires d’un visa temporaire. Ce décret a été suspendu, le 23 janvier par un juge fédéral, comme « manifestement inconstitutionnel ». Donald Trump a annoncé aussitôt que son administration ferait appel de cette décision…
Cette bataille pourrait aller jusqu'à la Cour suprême.
Une telle décision toucherait 150 000 enfants par an et pourrait même faire des enfants apatrides, certains pays d’origine ne connaissant pas le droit du sang !
Ces batailles juridiques sont aussi politiques et ne sont pas sans influence en France !
Le droit du sol est appliqué aux États-Unis comme dans d’autres pays d’immigration : Argentine, Brésil, Canada, Chili, Équateur, Mexique… La France et de nombreux pays européens, Allemagne, Belgique, Danemark, Irlande, Luxembourg, Portugal, Royaume-Uni n’appliquent pas le droit du sol mais un droit du sol partiel avec des conditions variables.
Est français à la naissance, l'enfant né en France de parents inconnus ou apatrides ou lorsque l'un de ses parents au moins y est lui-même né (double droit du sol).
Les personnes nées en France de parents étrangers obtiennent automatiquement la nationalité française à leur majorité, à condition qu'elles résident en France depuis l'âge de onze ans, pendant une durée minimale de cinq ans.
Cette disposition n’est ni logique, ni intégrante : dire à un enfant, à un jeune pendant 18 ans qu’il est différent, il n’en a pas besoin, il le sait, il le sent. Lui dire en plus qu’il n’est pas français, comme ses petits camarades, n’est pas très intégrateur. C’est plutôt l’enfermer dans sa différence. Le pousser à se construire dans son altérité.
Et le jour de ses 18 ans, d’un seul coup, d’un seul, on lui dit il est français. Plus que la veille ? Comprenne qui peut !
Paradoxalement, pour attribuer la citoyenneté (droit de vote…), il est nécessaire de modifier la Constitution : ce qui a été fait lors de l’instauration de la citoyenneté de l’Union européenne avec le traité de Maastricht approuvé par référendum en 1992.
Pour l’attribution de la nationalité, qui implique la citoyenneté (droit de vote…) une loi simple suffit.
Ainsi Charles Pasqua a pu la modifier en 1993.
Pour modifier les conditions d’attribution de la nationalité, une loi simple suffit en France et donc à Mayotte, quand, aux États-Unis, il faut une loi constitutionnelle.
Par l’abolition du droit à la nationalité étasunienne à la naissance des enfants en situation irrégulière, Donald Trump prétend diminuer l’attraction des États-Unis et pouvoir expulser ces « immigrés de l’intérieur ». La modification de la loi à Mayotte a la même prétention. Leur coté dissuasif est très incertain !
Dans les deux cas, une telle loi a surtout un but politique. En France, elle répond à une demande qui n’est pas nouvelle. Elle peut être un premier pas vers une extension à l’échelle nationale comme le signalait la Lettre de la Citoyenneté, déjà, en mai-juin 2018 : « Le mouvement social contre l’insécurité et l’immigration illégale qui a secoué l’île de Mayotte en début d’année, a été l’occasion pour certains politiques dont le président du parti Les Républicains de réclamer la remise en cause du droit du sol sur l’île. À droite et à l’extrême-droite, plusieurs demandent la remise en cause du droit du sol sur l’ensemble du territoire français. Au gouvernement, on n’exclut pas d’instaurer l’extraterritorialité de la maternité de Mamoudzou, plus grande ville du département, pour éviter que les enfants nés de femmes en situation irrégulière puissent réclamer la nationalité française au titre du droit du sol ». Dix-huit ans pus tard !
En fait, une mauvaise réponse à une mauvaise question, fruit d’une politique !
L’archipel des Comores, colonisé depuis 1841, dont fait partie Mayotte, obtient son indépendance en 1974, par référendum avec 96 % des voix. Mayotte vote « non » à 63 %. Au lieu d’appliquer le principe de respect des frontières héritées de la période coloniale, la France décide d’appliquer un droit à l’autodétermination, séparant Mayotte des Comores, et maintient la souveraineté française sur l'île.
Cette séparation a été condamnée par l’Onu, refusée par les Comores, confirmée par les Mahorais. Qui ont, finalement, voté en faveur de la départementalisation.
Si, à plus de 8000 km de Paris, Mayotte est française suivant le droit français, elle l’est beaucoup moins sur les plans géographique, économique et social. Elle compte, en 2022, 310 000 habitants dont plus de 50 % sont des résidents étrangers, essentiellement Comoriens (Anjouan, île comorienne, est à 70km), 77 % de la population vit sous le seuil national de pauvreté contre 14 % pour la France hexagonale, le niveau de vie médian est 7 fois plus faible qu'au niveau national. Mais 7 fois supérieur à celui des Comores !
Conséquence : chaque année, 10 à 20 000 Comoriens feraient le passage à bord de kwassa-kwassa, de bateaux de pêche ou de passeurs et plusieurs centaines y laisseraient la vie.
L’éventuelle nouvelle loi sur la nationalité ne changera rien au désir de changer d’île et à ses conséquences !
La fermeture des frontières, les barrages et les murs rendent les migrations plus difficiles. Plus dangereuses. Mais elles continueront à Mayotte, en Méditerranée, sur le Rio Grande et ailleurs.
Dans un monde où les inégalités persistent ou s’accentuent. Où les aides au développement diminuent dans la plupart des pays développés, notamment en France dans les dernières prévisions budgétaires pour 2025, très loin du 0,70 % du PNB annoncé depuis longtemps.
Autrefois, les pays démocratiques et sociaux accueillaient les réfugiés fuyant les pays dictatoriaux. Aujourd’hui, les démocraties libérales et illibérales, moins démocratiques et moins sociales, s’entourent de miradors pour filtrer les réfugiés économiques, politiques, écologiques...