Du sens du mot « victoire »
« Vers de nouvelles victoires » qu’elle nous lance la Madone radieuse au balcon solférinien de sa déconfitude du 6 mai. Nouvelles victoires ? Mince, j’ai du louper un épisode... Un écart en faveur de Sarkozy de plus de deux millions de voix, le score le plus large d’un second tour, si on excepte la mascarade de 2002. 6 mois avant l’élection, la gauche était archi favorite. Tous les sondages l’indiquaient et les raisons ne manquaient pas... 12 années de chiraquisme, l’immobilisme sur toute la ligne, le malaise social, le marasme économique... La France avait envie de respirer. La gauche avait balayé l’UMP aux régionales (20 régions sur 22) et aux Européennes. Du jamais vu... Une formidable vague rose... Brisée net sur la digue bleue ! Tu parles d’une victoire, Marie Ségolène.
Mais comment c’est arrivé ce bazar ? Le débat présidentiel avait pourtant tourné autour de questions économiques et sociales, de l’emploi, du pouvoir d’achat, de l’exclusion. Et sur ce terrain de prédilection de la gauche, c’est Sarkozy qui l’emporte ? Et sans avoir cherché à brouiller les cartes. Il s’est revendiqué ouvertement de droite. Il n’a pas dévoyé le débat avec les questions d’insécurité. Il ne s’est pas plus abrité, comme l’avait fait son prédécesseur, derrière l’écran de fumée de la « fracture sociale ». Il a complètement assumé sa participation au gouvernement Villepin. Il a annoncé la couleur, proposé du concret, expliqué sans relâche. Et il a gagné... Inconcevable il y a 6 mois !
Bien sûr, il y a des raisons. D’un côté, on annonce à des travailleurs à moins de 1 500 euros par mois qu’on va partager le travail sans baisser les salaires. Ca c’est du nougat ! De l’argutie mirifique d’intello doré sur tranche. De l’insanité de la plus haute volée. De l’équité façon Max Havelaar. Et sans arrière-pensées ! Ils ont peur de quoi nos redresseurs de torts à 4 000 euros mensuels ? Que leurs misérables employés finissent par bosser plus qu’eux dans l’espoir de grappiller quelques croûtes du fromage. De formidables ennuis en vue avec bobonne : « Que tes sous fifres fassent des heures, d’accord. Mais toi Pierrot, toi qu’a pas besoin d’en faire, ça te sert à quoi d’être sous chef si tu peux pas quitter le bureau à 16H. Si c’est pour qu’on se retrouve tous les vendredis dans le même embouteillage minable que les pouilleux, c’était pas la peine de l’acheter la maison de campagne ! ».
De l’autre, on leur dit que ceux qui le souhaitent auront la possibilité de travailler plus pour gagner plus. Y’a pas photo ! Le travailleur, même de gauche, il court pas après le partage de la mouscaille ! Il veut du concret, pas la médiocritude. Et aussi du bon beefsteak ... Fois gras et champagne comme riches... Des belles vacances. Et surtout bien élever ses gamins, heureux, dans les bonnes écoles. Il prétend au bonheur, en somme. Il tient pas plus au temps oiseux passé à ressasser sa misère qu’à compter le sucre jusqu’à la fin de ses jours. Mijoter dans le temps libre comme un poulpe dans une bassine d’eau tiède, à part quelques trotskistes, ça intéresse personne.
Et quelle brillante idée le « Tout sauf Sarkozy »... Surtout quand il n’y a que deux candidats. « Tous avec Ségo », c’était plus positif. Seulement voilà, ça écorchait trop certaines langues. Alors, y avait qu’à dire « N’importe quoi sauf Sarkozy ». C’était plus juste comme image. Parce qu’il faut bien reconnaître qu’elle n’avait pas trop la pointure Mme Royal face à Sarkozy et sa formidable machine de guerre. Ca sentait un peu l’improvisé, cette affaire. Ca girouettait ferme par moments.
Quant au dernier argument de campagne de Ségodzilla ? « Si vous m’élisez pas, le pays sera à feu et à sang ». Vous m’avez cassé mon jouet, je me venge. Na ! C’est digne d’une candidate aux plus hautes responsabilités de l’Etat ? Et puis cette façon de faire la morale, l’ordre « juste » à toutes les sauces, « aimez vous les uns les autres ». Quelle bouillie ! Elle prenait parfois pires accents cléricaux qu’une De Villiers de gauche, la Madone des sondages... Entre urne et bénitier, faut tout de même pas confondre les vases !
Du monde entier, des pays socialistes comme depuis les autres, on salue unanimement la campagne présidentielle Française, le taux de participation élevé, la victoire de la démocratie... On félicite Nicolas Sarkozy et on lui souhaite de réussir l’entreprise de redressement d’une France qui en a besoin. Si on s’en tire bien, c’est tout bénef pour eux aussi.
Chez nous, suffrage universel ou pas, on conteste encore... De lancinantes rancoeurs suintent de tous les cœurs de gauche. On dissèque le vote des vieux, on s’invective. On entrevoit 80 000 supposés cataclysmes ! Les mêmes vieilles peurs... La « fin des libertés », le « fascisme », le « fichage génétique », « Brazil » et « 1984 » à pleins démons... Johnny part en Suisse, on vocifère au scandale... Ah que coucou, il revient ? On fulmine deux fois plus ! Sarkozy est trop présent, on suffoque. Il s’absente pour prendre 3 jours de vacances sur un yôote, on crie Tchernobyl. Où qu’il est le tyran, qu’on reprenne les émeutes ? Et au cube encore ! Les coalitions grand patronales et leurs complots berlusconissimes. Medef et CAC 40, voilà bien nos transes ordinaires pour le quinquennat ! L’essentiel ! Mais ne nous inquiétons pas, il va revenir Nicolas, et en forme... Pas à la nage ! Il l’a promis, il va les faire bouger les lignes, dès son retour !
A l’extrême gauche, la LCR appelle à la résistance ! Eux, le concret ils s’en foutent. C’est les idées qui comptent et uniquement les leurs. La démocratie ils s’en moquent ! Vive la lutte finale ! Bader ! La bande ! Et dès mai, les Brigades Rouges 68 fois au service de la dictature prolétarienne ! C’est vrai qu’influencer une poignée de débiles pour qu’ils mettent le feu aux niches, c’est plus simple souk que de faire partager une idée du crétacé inférieur. Comme Jules Renard l’écrivait « Il ne suffit pas d’être heureux, il faut que les autres ne le soient pas. » La nostalgie du passé soviétique... L’inquisition par l’idée et Proletovitch derrière cent mille barbelés !
Au PS, à peine remis du 6 mai, on se prend à rêver de « renouveau », à pleins tuyaux idéologiques. On s’est réuni en comité pour ramoner les vieilles chaudières et repeindre la devanture de toutes les couleurs. On affirme tout et son contraire... D’un côté, on va prendre en compte les réalités économiques, le marché. Oubliée la généralisation des 35 H et on ne reviendra pas sur les lois Fillon. On s’improvise réaliste du jour au lendemain. Presque Sarkozyste... De l’autre, on va revenir aux vraies valeurs de la gauche sociale et anti-libérale. Taxer le patronat et le Medef et en finir avec ces aspirations sociales libérales qui brouillent la vue du militant de base. Zigzags, tantôts bredouilleux vers le centre, tantôts titubants vers la gauche. Tous farouchement bafouilleurs de leurs dogmes et bien conservateurs d’infinies certitudes ! Des postures et aucune idée neuve... L’alliance avec François Bayrou ? François qui, dites-vous ? Improvisations !
Il n’y a plus aucune ligne politique au PS. Seule la trouille de perdre trop de sièges aux législatives tient lieu de colonne vertébrale. Depuis 5 ans, le PS vit de « concessions ». On y confond contradiction (la synthèse de l’eau et de l’huile ça existe) et confusion, prises de position et antagonismes actifs. Résultat, mayonnaise ou béarnaise, rien ne prend ! Qu’importe, on continue avec la sacro sainte orthodoxie socialiste à la Française. Les exemples de l’étranger, de l’Espagne, de l’Angleterre ? C’est pas bon pour les socialistes Français. Nous c’est le congrès, les motions et la synthèse qui priment. La tambouille des social-démocraties qui réussissent ? Au cloaque !
Et qui va s’y coller à présent ? Fabius, Emmanuelli, Delanoë, Strauss-Kahn, Bockel ? Trop vieilles barbes ! Hamon ou Peillon ? Trop jeunes poils ! Les candidats pour l’après 17 juin, ça foisonne, mais pas un qui souhaite endosser le costume de perdant des législatives. On continuera donc avec François et Ségolène. JL Bianco, porte parole du PS, nous annonce qu’« elle aura un rôle important dans la campagne des législatives, notamment sur le terrain ». Pour ses collègues, vu le nombre de mines qu’elle y a posé, mieux vaut que ce soit elle qui s’y fasse sauter le tailleur Chanel, c’est sûr ! Avant de rejoindre son compagnon dans la charrette.
Parce que ces deux là, avec leurs airs de ne jamais être d’accord, ils se sont fabuleusement entendus pour réaliser le hold-up du siècle sur le PS. Depuis la pantalonnade de la « synthèse » du congrès du Mans et ses fabuleuses rillettes imposées en novembre 2005 contre plus de 80 % des adhérents jusqu’à la légitimation permanente par François Hollande du gouvernement de Jacques Chirac, ils ont tout fait pour éviter l’ancrage à gauche du PS et la dérive vers le libéralisme social. Les rois du compromis et du Ni Ni ! Mais au soir du 17 juin, le goudron et les plumes attendent Bonnie Royal et Clyde Hollande. Jeunes ou vieux, les éléphants ne pardonnent jamais et ils ont de la mémoire, c’est connu.
Car il n’y aura pas de session de rattrapage en juin. Le PS perdra logiquement les législatives pour les mêmes raisons qu’il a perdu la présidentielle, loin des aspirations d’un peuple de gauche qui ne s’y retrouve plus, déchiré entre ses courants contradictoires, sans âme, sans cap, sans programme concret et sans leader. A la clé, à peine 100 à 150 sièges de députés... Un parti socialiste exsangue qui mettra des années à remonter la pente. Et pendant ce temps, plus de véritable bipartisme en France, avec le risque de voir la gauche sociale (la véritable opposition à l’UMP) abandonner, faute de combattants, les débats de l’assemblée pour les luttes de la rue, encouragée par une extrême gauche radicalisée et des syndicats revanchards. Au bout du compte, l’inverse d’une démocratie moderne. Encore merci Ségolène et François... Salives, cocoritudes et sourires en tailleur immaculé ? Peut être. Mais victoires ? Faudra vraiment que je change de dictionnaire...