Écharpe jaune
C'était il y a seize ans au Brésil, à Fortaleza. Pour la première fois sans doute je tenais un micro en public. Un public assez spécialisé en fait, il s'agissait d'une conférence sur les dialogues indigènes. À la tribune des représentants de tribus, de mouvements de défense de cultures ancestrales, parfois impliqués dans la lutte politique. Et moi dans le public je ne sais plus quelle question j'avais voulu leur poser, mais ce dont je me souviens clairement, c'est que ma main tremblait horriblement, le micro lui faisait cet effet-là.
Ce dont je me souviens aussi, c'est mon achat après la conférence. Bien qu'alors à cet endroit il ne faisait jamais moins de 26 degrés même en plein cœur de la nuit - je prenais trois douches par jour - je fus attiré par un stand écharpes. Ça pourra être utile à mon retour en France. Des écharpes assez particulières en fait, elles ont été confectionnées dans je ne sais quelle tribu d'Amazonie (ou d'autre part d'ailleurs), elles sont de différentes couleurs. Dans cette tribu la couleur de l'écharpe correspond à la position sociale au sein de la communauté.
Je suis tout de suite intéressé par l'écharpe rouge, celle des notables. Malheureusement il n'y en a plus ; et ils ne me vendront pas celle du présentoir. Pour moi il reste une écharpe jaune, celle du simple citoyen. Elle est très belle. Mais moi j'aurais quand même préféré l'écharpe rouge, celle du notable. D'un autre côté j'échappe à l'écharpe violette, celle du vieillard sur le chemin de la mort, ou pire ; la bleue, celle de la femme enceinte. Elle est pas mal en fait la jaune, oui, va pour l'écharpe du simple citoyen.
De retour en France elle intègre mon armoire où elle jouera un rôle important dans ma vie spirituelle. Mais, peu soucieux de mes affaires, je la perds quelques saisons plus tard dans un train régional du Nord de la France. Je l'oublie sur la banquette, tout simplement.
Bon, alors, pourquoi je vous raconte tout ça, à votre avis ?
Par ce que dans le débat qui s'annonce il est un sujet sur lequel il ne faudra pas trop écouter les écharpes rouges, c'est celui de la réforme des institutions. En effet ce n'est pas aux hommes de pouvoir d'écrire les règles du pouvoir. La constitution c'est un peu comme des règles du jeu d'un jeu de société, est-ce que vous accepteriez de jouer à un jeu dont les règles sont écrites au fur et à mesure par un joueur qui a une position et des intérêts particuliers dans ledit jeu ? Non, c'est enfantin, bien entendu.
Et pourtant les gens élisent des gens qui modifient régulièrement la constitution, on doit en être à une bonne dizaine de révisions depuis le début de la Vème République. Mais c'est une aberration dont prennent conscience, notamment les gilets jaunes et ceux qui les soutiennent. Le problème, c'est que le système électif n'est pas adapté à un pays de plusieurs dizaines millions d'habitants. Il mène inévitablement à une oligarchie ploutocratique, puisque ceux qui ont des capitaux peuvent acheter la presse et par là influencer l'opinion publique.
Plutôt que de système représentatif, on parle de démocratie de marché.
Alors, quelle est la solution ?
On peut déjà voir ce qu'ont entrepris d'autres peuples pour résoudre des problèmes similaires. Le premier exemple qui vient en tête est celui de l'Islande, où ils ont tout de même réussi à mettre des banquiers en prison. Mais l'Islande est une île, peuplée de moins de 400 mille habitants, difficile de comparer avec notre pays. D'autre part, l'Islande n'est pas dans l'Union Européenne, détail qui a son importance.
La Colombie-Britannique par contre, constitue un cadre déjà plus adapté pour trouver un précédent transposable à notre situation. Cette province du Canada est au moins dix fois plus peuplée que l'Islande, et, en 2004, suite à une crise politique, les élus ont accepté qu'une assemblée de citoyens tirés au sort débatte du système de désignation des représentants politiques. La proposition issue des discussions fut ensuite soumise à référendum, qui pour la peine, peut bien être qualifié d'initiative citoyenne.
En France qu'est-ce que cela pourrait donner ? Il faudrait déjà préciser de quoi on parle. Déjà, l'élection est assez adaptée pour attribuer un mandat de maire dans une petite commune, puisque les gens se connaissent et du coup ils connaissent même certains candidats, ils votent en connaissance de cause. À l'inverse le Président de la République est élu au suffrage universel direct. Je pense que c'est une très grosse connerie, mais ça a été approuvé par référendum, on ne va pas revenir dessus.
Reste le cas des députés, ces soi-disant représentants de la Nation, je dis soi-disant car de véritables représentants du peuple n'auraient pas permis à un gouvernement de s'entêter sur cette affaire de taxe sur les carburants. On aurait évité bien des violences et des dégradations. Ils portent une très lourde responsabilité dans cette affaire, mais ne comptez pas sur eux pour le reconnaître, ce sont les élitres, il ne manquent pas d'air.
Ce que je propose c'est l'élection des députés par des grands électeurs tirés au sort sur les listes électorales. En effet il n'est pas réaliste que toute une population puisse choisir ses représentants en connaissance de cause. Déjà on ne connaît pas personnellement les candidats, en dépit de l'illusion suggérée par les médias de masse, et d'autre part, rares sont ceux qui ont le temps de sérieusement comparer et d'étudier les promesses des candidats, qui n'engagent, c'est bien connu, que ceux qui y croient.
À l'inverse, le système de grand électeur - un par représentant - permet d'allouer des ressources pour que le citoyen puisse se faire une opinion éclairée. D'autre part le grand électeur sait que son choix va compter et qu'il va être public, donc il a intérêt à agir avec un minimum de sérieux. Par contre, qui dit élection ne dit pas forcément candidat. On peut très bien faire des élections sans candidat. Après, si un grand électeur ne trouve personne qui accepte de le représenter à l'Assemblée Nationale, et bien il peut soit se désigner lui-même, soit ne pas être représenté.
Ça ne sert à rien de dramatiser.