jeudi 27 février 2020 - par GHEDIA Aziz

Élucubrations : entre hier et aujourd’hui

« Mes amis, ne m’en voulez pas

Je suis contraint de presser le pas

Car, dans ce bled perdu où l’Etat est absent

Nous risquons de passer de vie à trépas

A tout instant. »

Ces vers ne sont pas tirés d’un quelconque livre de poésie ni d’une chanson de Brel. Ils sont bien de votre serviteur qui, dans ses heures perdues, se prend parfois pour un barde des temps modernes. Il les a prononcés à une époque de peur et de terreur. Si, comme l’exprime bien un adage populaire algérien, « la peur fait détaler les vieux », la peur peut être aussi source d’inspiration pour les gens de mon espèce : ceux pour qui, la littérature, d’une façon générale, est une nécessité pour le réconfort de l’esprit.

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Je disais donc que je les ai prononcés, ces vers, à une époque pas si lointaine que ça, époque qualifiée par les uns « d’années de braise » et par les autres de « décennie rouge ». Qui se souvient encore de ces années-là ? Années pendant lesquelles faire un bout de chemin hors des sentiers battus, hors des routes asphaltées, était considéré comme suicidaire ? Pourtant que de chemins secondaires nous avions pris ! Que de raccourcis nous avions empruntés ! Mais, je dois l’avouer aujourd’hui, toujours la peur au ventre. Peur de tomber sur un faux-barrage dressé par ceux que vous savez ! Dieu nous en a préservés. Et, aujourd’hui, l’on peut évoquer ces souvenirs avec le sourire au coin des lèvres. Cela par la grâce divine et grâce aussi aux services de sécurité, tous corps confondus, qui ont mené une lutte implacable contre le terrorisme et à qui il n’est jamais tard ni inutile de rendre un hommage appuyé.

C’était au milieu des années 90. L’insécurité régnait alors partout en Algérie. Dès l’après midi, bien avant le coucher du soleil, il devenait pratiquement périlleux de prendre la route et de s’aventurer même sur un axe routier national. Limiter ses déplacements au strict minimum était une sage précaution. Mais, pour des tas de raisons, il nous arrivait de faire fi de cette sagesse et d’aller tenter le diable. C’est ainsi qu’à la veille d’un Aïd el adha (fête du sacrifice pour le monde musulman), quelques amis et moi, nous avions formé un cortège et avions pris la route d’Alger. Il n’était alors que 11h. Selon notre timing, même en roulant à une vitesse modérée, nous devions arriver à Alger vers les coups de 17h. Il faut dire qu’à l’époque, l’autoroute Est-ouest n’existait pas et la RN 5 parsemée d’embuches au sens propre du terme : les fameux dos d’âne (ralentisseurs) et les barrages de la GN ou des militaires à chaque entrée ou sortie des villages traversés. La route était quasi déserte, la journée ensoleillée et les enfants heureux de pouvoir passer la fête à Alger avec leurs grands parents. Après deux heures de route, nous arrivâmes à Bouira. Sains et saufs. Personne ne manquait à l’appel ! Aucune panne de voiture n’était à signaler. Aucune crevaison malgré les innombrables crevasses et nids de poule qui jalonnaient cette route. Mais, nous n’étions qu’à mi chemin ; il nous restait encore plus de cent bornes à faire, dans un milieu des plus hostiles. Le paradoxe était donc que plus on s’approchait d’Alger, et plus la peur augmentait.

Les gorges de Palestro, pour ne citer que cette région, était un véritable coupe gorge !

A la sortie de Bouira, un camion venant en sens inverse nous avertît du danger par des coups de phare. Plus loin, des voitures rebroussaient chemin dans une panique indescriptible. Personne ne semblait avoir la moindre idée de ce qui se passait en aval et la rumeur amplifiât de façon dramatique l’évènement : pour certains, il s’agirait d’un accrochage entre les militaires et les « frères des montagnes » et pour d’autres rien de plus qu’un camion transportant un container qui se serait renversé barrant ainsi la route. A qui se fier ? A quelle source d’information devait-on faire confiance ? Fallait-il faire demi-tour ? La peur se lisait sur tous les visages. Les femmes et les enfants chialaient ; ils croyaient que leur heure était arrivée et qu’à la veille de ce « Aïd », ce sont eux qu’on allait sacrifier. Un ami qui connaissait bien la région, nous proposa alors de le suivre. Il prit la direction de Boghni ; nous le suivîmes. Quelques Km plus loin, il tourna à gauche et emprunta une route secondaire dont l’asphalte n’a, peut-être, jamais été refait depuis l’époque coloniale. Ça se voyait à la dégradation avancée de son état. Mais peu importe. Notre cortège s’ébranla tout doucement mais sûrement entre monts et vallons jusqu’à Draâ El Mizane et puis de là, nous rejoignîmes la RN 5. Ce jour-là, nous avions évité le pire !

Aux amis qui me reprochaient le fait de rouler vite et de les distancer, j’avais improvisé ces quelques vers. Moralité de cette histoire : si nous n’avions pas changé de voie, si nous n’avions pas « presser nos pas », nous ne serions peut-être pas de ce monde aujourd’hui.

D’aucuns pourront peut-être se dire pourquoi je raconte aujourd’hui mes élucubrations. L’explication tient au fait que, personnellement, je constate une frappante similitude entre cette petite histoire vécue par quelques individus au milieu des années 90 et l’Histoire, cette fois-ci avec un H, telle qu’elle se présente aujourd’hui au pouvoir algérien. En effet, celui-ci est devant un dilemme : presser le pas et hâter les réformes politiques ou alors prendre le risque de passer de vie à trépas. Le pouvoir algérien, qu’il soit incarné par des militaires ou par des civils, n’est pas sans savoir que le monde arabe nous épie et que l’Occident avec son bras armé, l’OTAN, nous guette. Au moindre faux-pas, ce dernier n’hésitera pas à intervenir pour nous imposer le changement. Mais un changement selon ses propres intérêts et selon sa propre géostratégie. Alors, comme je l’ai déjà écrit dans un précédent article, ne serait-il pas plus sage et plus logique que ce changement soit l’œuvre de notre pouvoir, de nos partis politiques, de notre société civile, en un mot de notre peuple ?

Le pouvoir doit ouvrir le champ politique. La décantation se fera de toute façon par les urnes si, bien entendu, les élections prochaines seront « propres et transparentes » pour reprendre la fameuse formule de Si Ahmed GHOZALI qui attend, lui aussi, depuis belle lurette maintenant que son parti soit agréé.

Ces lignes ont été écrites bien avant le Hirak.
Mais, force est d'admettre que l'actualité est toujours la même e qu'on est encore loin de sortir de l'auberge. Rien que pour cela, le Hirak doit encore continuer et même redoubler d'efforts. Il s'agit maintenant de changer tout le système et pas seulement se contenter de quelques retouches ça et là.

 



12 réactions


  • Baron de Risitas Jean Guillot 27 février 2020 18:54

    Si le peuple le veut alors le peuple le peut


  • Montagnais .. FRIDA Montagnais 27 février 2020 19:34

    Ah ! bien écrit.. vous nous faites vivre ces situations comme si on y était.

    Mais .. on prend l’émotion.. sans pouvoir en quoi que ce soit aider à la situation.

    Bonne continuation


  • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 27 février 2020 19:50

    Bonsoir. Bon courage à vous et émouvant témoignage.


  • caillou14 rita 28 février 2020 10:52

    Dans le fond vous regrettez les Français de l’époque coloniale, y avait plus de liberté que maintenant non, moins de chômage et un avenir pour vos enfants ?

     smiley


    • GHEDIA Aziz GHEDIA Aziz 28 février 2020 11:27

      @rita Nous regrettons plutôt la mauvaise direction prise par les tenants du pouvoir en 1962, juste après l’indépendance du pays. Et, c’est ce pouvoir que nous sommes entrain de combattre actuellement par le Hirak * * mouvement révolutionnaire pacifique.


    • caillou14 rita 28 février 2020 13:33

      @GHEDIA Aziz
      Mais ça été la volonté du peuple de mettre au pouvoir des voyous ?
       smiley


    • Odin Odin 28 février 2020 14:10

      @GHEDIA Aziz

      Bonjour,

      L’avenir du peuple algérien se joue une nouvelle fois avec le choix entre un monde unipolaire ou multipolaire.

      Pour le moment « l’état » a le cul entre deux chaises, les accords avec les US dans le domaine des hydrocarbures et de l’électricité d’un côté et de l’autre l’achat de radars hyper performants à la Chine et des avions militaires à la Russie.

      Si elle choisit de renforcer sa souveraineté, elle doit se préparer à des manifestations violentes avec l’aide de certaines ONG et des incursions beaucoup plus fréquentes et violentes d’AQMI à sa frontière sud avec le Mali ainsi qu’à terme des sanctions financières pour non respect « des droits de l’homme ».

      « Gouvernerc’est prévoir ; et ne rien prévoir, c’est courir à sa perte » 


    • HELIOS HELIOS 28 février 2020 16:18

      @Odin

      = = = l’achat de radars hyper performants à la Chine et des avions militaires à la Russie. = = =

      C’est vrai que l’algérie a besoin de se defendre... :

       des maliens plein d’avions de fusées de chars etc
       des Marocains qui veulent envahir l’Algérie avec leurs armes qui volent, qui roulent etc...
       les tunisiens qui n’en ont rien a foutre mais qui tentent la liberté
       L’Espagne, la France et l’Italie qui veulent s’approprier leur territoire (et pourquoi pas toute l’Europe)
       etc...

      Donc, l’Algerie, plutot que de réparer le reseau d’eau, d’electricité, internet (oui, mais là, la liberté....), de donner du boulot à son peuple et développer le pays, (re) faire des routes (sans les sous traiter au chinois)... aider les agriculteurs pour qu’ils fassent bouffer les gens... bref, l’argent va servir a « acheter des radars hyper... » qui ne serviront strictement a rien, sauf a alimenter quelques comptes en banque (généralement en Suisse) de ceux qui ont joué les intermédiaires...

      Hirak, pas hirak, tous les algeriens s’en foutent ils prefèrent bouffer et vivre chez eux et s’ils veulent des visas c’est parce que vivre au pays c’est seulement survivre là ou rien ne marche... et si personne ne veut leur donner ces visas, c’est parce qu’ils ne rentrent pas une fois le séjour fini, tellement ils craignent de se retrouver dans des conditions difficilement supportables quand on voit sur tous les autres continents des pays où tout (semble) fonctionner, mais où c’est sûr, cela marche mieux.

      Il ne faut pas s’etonner, quand un ex-Algerien revient d’Europe au bled, il ne peut que donner envie de fuir le pays et ses poubelles le plus rapidement possible...

      Il n’y a qu’une seule solution pour l’Algerie et son gouvernement : la liberté d’entreprendre (ce qui n’exclu pas les règles), la liberté tout court pour que le peuple se sentent bien chez lui et developpe son pays comme il l’entend.

      ... et donc, venir a un systeme gouvernemental de type démocratique... mais en tout cas issu du peuple.

      chao


    • caillou14 rita 28 février 2020 16:18

      @Odin
      Le seul espoir pour le peuple Algérien est de refaire une révolution pour éliminer la racaille au pouvoir !


    • Odin Odin 28 février 2020 20:36

      @HELIOS

      Bonsoir,

      Je pense que vous avez mal analysé mon commentaire.

      Je ne parlais pas de la situation interne de l’Algérie et de la souffrance de son peuple qui est très grande en raison de la mafia politique et militaire qui ont capté une part importante des revenus des hydrocarbures.

      Mon commentaire était dans le sens géopolitique et géostratégique pour l’avenir de l’Algérie pour ne pas suivre l’exemple de l’Afghanistan, de l’Irak, de la Libye…

      C’est au algériens de choisir les bonnes personnes pour diriger le pays afin de les sortir de cette misère inadmissible et ceci est possible avec les richesses du sous sol

      Un armement moderne leur sera donc nécessaire ainsi que de bonnes alliances s’ils optent dans le futur pour un monde multipolaire vous semblez oublier ce qui est arrivé à Kadhafi.


    • HELIOS HELIOS 29 février 2020 05:34

      @Odin

      ... oui, j’entends bien votre discours, mais j’insiste, l’Algerie n’est pas l’Afghanistan pas plus que la Lybie si proche...

      Alors évidement que le peuple algerien a le droit de choisir ses dirigeants etc, comme un peuple libre, dans la communauté internationale bien comprise.

      Si maintenant les choix qui seront fait ne correspondent pas a un bon voisinage avec le reste du monde, comme l’a fait Khadafi (par exemple) alors, je peux vous dire que les radars hyper truc chinois ou russe ne leurs servirons pas a grand chose, ils auront payé le prix fort pour jouer le role du pigeon au stand de tir et cela est inacceptable pour un peuple souverain, fier et responsable.

      Il faut bien regarder les choses en face... la « communauté internationale », sorte de magma informe tiraillé par les uns et les autres en fonctions de divers interets parfois contradictoires mais qui depassent les peuples ... pourquoi croyez vous que les pays tentent de faire des blocs consistants et de dimension continentale... cette communauté obeit en fait a des exigences pas toujours tres morales, certes, broyeuse de peuple, n’hesitera pas a trouver une excuse pour se servir au détriments des apparences géopolitiques d’un pays de la taille de l’Algerie. La Lybie etait bien plus puissantes et je ne parle pas de la Syrie.

      Effectivement, je me suis peut-etre emballé sur ce sujet car comme beaucoup de français ce pays reste plus proche que d’autres et je n’aimerai pas qu’il fasse partie des perdants. Oui, il faut un chamboulement dans son systeme politique et c’est a son peuple de le mener. Pour le reste, et comme partout, il y aura des défauts, rien n’est parfait en ce bas monde.

      C’est pour cela que je pense qu’il y a d’autres priorité que d’acheter des armes de théatre régional, alors que son besoin militaire est eminament local, interieur et exterieur sur des zones de petites dimensions (en clair pour defendre les frontieres de ses voisins plus au sud, dans un contexte de desert).

      L’algerie a, par exemple, et la je ne suis pas militaire, besoin de vehicules rapides typés « Sahara », d’hélicos et de drones de surveillances, pour assurer la sécurité de son développement dans ces zones.
      Vouloir avoir des armes ultra modernes pour empecher les avions plus ou moins furtifs (par exemple) ou de missiles de croisière est idiots, ceux qui les possedent sont de toutes façons plus forts... et la technologie evolue plus vite que les contrats d’armements.

      Je souhaite que le peuple algérien ait pris le bon chemin, celui du développement, de la stabilité et des bonnes relations avec ses voisins, et pas, une fois de plus, celui du repli hystérique qui ne fait que favoriser une toute petite minorité au détriment du plus grand nombre.


  • Odin Odin 29 février 2020 12:29

    Bonjour,

    Nos échanges ont été positifs puis que nous nous rejoignons sur beaucoup de points sauf sur le militaire.

    Je précise sur ce dernier point. Il y a deux possibilités à venir :

    L’Algérie va dans le sens de l’unipolaire (impérialisme US) et là vous avez raison, elle n’aura pas besoin d’armes sophistiquées, le pentagone se chargera éventuellement de ses ennemis et AQMI sera prié, par ses commanditaires, de se diriger vers d’autres pays récalcitrants à l’impérialisme. Ce sera comme le pacte de Quincy en 1945 entre US et Arabie Saoudite, protection contre hydrocarbure. Le résultat sera qu’une grande partie de ses richesses partira au détriment du peuple algérien,.

    L’autre possibilité est de se diriger vers le multipolaire et préserver ainsi ses ressources pour le développement du pays, comme Kadhafi le souhaitait, on connaît la suite.

    Ce deuxième choix entraînerait un conflit futur (voir Venezuela) pour la non possibilité de pouvoir capter les richesses du sous sol. Comme les US ne peuvent plus envoyer de troupes au sol, la nouvelle stratégie en cas de conflit est d’utiliser l’aviation comme notamment avec la Libye. La solution, pour ne pas finir comme Kadhafi est donc d’avoir la maîtrise aérienne de son territoire (Syrie) avec des radars et des avions performants. Seul manque un système de défense type S 300 voir S 400 pour que le peuple algérien puisse profiter de son sous sol, à la condition de mettre les bonnes personnes à la tête du pays.


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