mardi 20 octobre 2009 - par
Emigrés que nous sommes...
Emigrés que nous sommes, émigrés de nous-mêmes, perdus. Appeler « société » le peuple d’étrangers au milieu duquel nous vivons est une telle usurpation que même les sociologues lui substituent maintenant le terme de « réseau » pour décrire la façon dont se connectent les solitudes, les isolements…
Qui grandit là où il est né ? Qui habite là où il a grandi ? Qui travaille là où il habite ? Qui vit là où vivaient ses ancêtres ? Et les enfants de cette époque de qui sont-ils, de la télévision ou de leurs parents ?
En vérité nous avons été arrachés à toute appartenance, et n’étant plus de nulle part, à la recherche de notre simple humanité, par le tourisme, chez d’autres que nous pensons moins séparés d’eux-mêmes, nous enfouissons une indéniable souffrance.
Notre histoire est celle des colonisations, des migrations, des guerres, des exils, de la destruction de tous les enracinements. C’est l’histoire de ce qui a fait de nous des étrangers dans ce monde, des invités dans notre propre famille. Nous avons été expropriés de notre langue par l’enseignement, de nos chansons par la variété, de nos chairs par la pornographie de masse, de notre ville par la police, de nos amis par le salariat.
A cela s’ajoute, en France, le travail féroce et séculaire d’individualisation par un pouvoir d’Etat et d’auto-organisations de formes sociales – armée, école, religion… (Cf « surveiller et Punir » Michel Foucault) – qui notent, comparent, disciplinent et séparent les sujets dès le plus jeune âge. Un Etat qui broie par instinct les solidarités qui lui échappent afin que ne reste que la citoyenneté (l’individualisation par le vote), la pure appartenance, fantasmatique, à la République. Le Français est plus que tout autre le dépossédé, le misérable.
Sa haine de l’étranger se fond avec sa haine de soi comme étranger.
Sa jalousie mêlée d’effroi pour « les cités » ne dit que son ressentiment pour tout ce qu’il a perdu. Il ne peut s’empêcher d’envier ces quartiers dits de « relégation » où persistent encore quelques liens entre les êtres, quelques solidarités non étatiques, un peu de vie commune, une économie informelle, une organisation qui est celle de ceux qui s’organisent…il sait bien qu’un camp de gitans est plus impénétrable que sa résidence sous vidéosurveillance.
Nous en sommes arrivés à ce point de privation, de privatisation, où la seule façon de se sentir « Français » est de pester contre les immigrés, contre ceux qui sont plus visiblement des étrangers comme moi.
Les immigrés tiennent dans ce pays une curieuse position de souveraineté : S’ils n’étaient pas là les Français n’existeraient peut-être plus.