Emmanuel aux Antilles
Il vit une aventure à la Martine. Martine aux Antilles. La photo qui en résulte célèbre un moment de franche camaraderie républicaine. Mais voilà, on lui cherche des poux.
Fierté
De gros poux. Je ne partage pas tout. J’ai par exemple de plus en plus horreur du ton imprécateur/victimaire de Marine Le Pen, un ton qui finit par noyer ses arguments. J’essaie une autre lecture de cette séquence. Mais je partage en partie certaines critiques qui le visent. D’abord, comme le suggérait un intervenant sous mon précédent billet :
« J’imagine qu’il doit considérer que des jeunes hommes noirs peuvent se mal se tenir. C'est "culturel". Par contre un jeune blanc de province doit savoir dire "Monsieur le Président" et se comporter avec politesse.... J’y vois presque une forme de racisme. »
Oui, un traitement différent. Un possible racisme en creux. Il semble partager la culpabilité de l’homme blanc occidental face au reste du monde. L’image le montre dans une posture plutôt « djeun », avec une expression improbable – de celles qu’on partage avec des copains. Pas celle qu’on attend d’un président en exercice. À noter qu’il semble que monsieur Macron n’ait pas vu immédiatement le doigt d’honneur.
Un autre élément renforçait dans un premier temps cette idée de traitements différents selon la couleur de la peau. En avril dernier un retraité avait fait un doigt d’honneur en public. Il visait le président. Ce retraité a été interpellé, placé en garde à vue et sanctionné d’un rappel à la loi.
Cependant, on apprenait quelques heures plus tard que le jeune homme au doigt d’honneur ne visait pas le président mais tous ceux qui considèrent la population de ce quartier comme des riens. L’exclusion sociale existe toujours, même dans des populations historiquement victimes de ségrégation.
Ceux qui ne vont pas dans ce quartier voient sa population comme peu fréquentable. En réponse, le doigt d’honneur leur dit : « Voyez, nous sommes suffisamment bien pour que le président nous rende visite. » Il exprime une fierté.
Changer les codes
Pour moi cette justification est prenable. Le langage des corps invalide l’idée que le président ait pu être visé. En cas de doigt d’honneur on s’adresse directement à la cible et on ne la touche pas avec son corps comme c’est le cas ici. De plus les images qui précèdent et suivent cet épisode ne montrent pas d’hostilité envers le président.
Par contre l’image montre qu’il cède le pouvoir aux jeunes gens. On le voit en-dessous d’eux, en infériorité symbolique, décontenancé, dans une attitude de début de soirée plus que dans celle d’un président. La posture des jeunes gens est forte, pleinement assumée, et montre leur aplomb. Ce sont eux qui mènent le bal.
Qu’attend-on de la fonction présidentielle ? Qu’elle soit incarnée de façon parfois hiératique et plutôt distante. Au-dessus des gargouillis du monde. La proximité n’est pas forcément perçue comme un bon marqueur de l’autorité, même si elle est parfois réclamée.
Cependant chacun l’exerce selon sa vision et sa personnalité. Macron veut changer les codes, pourquoi pas. C’est un défi à l’intérieur de son quinquennat. La tradition française est coriace et contradictoire à souhaits, bon courage pour lui.
Cette autophot (auto-photographie, ou selfie en anglais) d’une seconde, avec ce doigt d’honneur, va marquer son mandat. J’ignore si elle va le desservir, ou au contraire si les français apprécieront qu’il se soit jeté dans l’arène.
Pour moi se pose à nouveau la question de sa jeunesse émotionnelle. Soit il fait trop djeun pour son âge, soit il fait trop sérieux comme le soir de sa victoire. Son attitude sérieuse est à mon sens discontinue.
À suivre
Par exemple je trouve ses silences peu épais, peu habités. Comme une séquence interrompue, sans continuité secrète, celle que l’on attendait, que l’on entendait, chez De Gaulle ou Mitterrand. Macron peine visiblement à se laisser libre de ses comportements (la fonction n’étant pas un carcan mais au plus un habit), et en même temps à incarner ce sérieux solide, stable et posé qui représente un aspect fréquent de l’autorité sage et bienveillante.
On lui reproche aussi son attitude et ses propos avec l’un des jeunes hommes, l’ex-braqueur. C’est vrai, il ne le tance pas comme il l’a fait avec d’autres. On peut en être étonné. La logique que j’entends dans ses propos mesurés est de vouloir ne pas en rajouter. Le garçon a purgé sa peine, il reconnaît avoir fait une bêtise. What else ?
Cela ne mange pas de pain évidemment, et l’on pourrait craindre le serment d’ivrogne. Mais j’ai trouvé intéressant de voir Emmanuel Macron proposer un contrat, même une sorte de pacte, validé par la parole et la présence de témoins. Ce faisant je pense qu’il parlait un langage assez proche de celui du jeune homme. Celui-ci s’est engagé publiquement, il est tenu à tenir son engagement par simple respect de lui-même.
À suivre donc. Il serait intéressant qu’un journaliste retourne voir dans quelques années ce que ce garçon est devenu. Il pourrait aussi enquêter sur l’hypothèse que cet échange avec le président aurait fait des émules : d’autres jeunes en délicatesse avec la société pourraient, qui sait, suivre la même voie.
Faille
En fin du compte je n’accorde pas une importance excessive à cette séquence. Je ne sais pas si je me serais justifié après coup, comme l’a fait l’Emmanuel. Je constate qu’il attire des comportement irrespectueux parce que trop familiers.
Il est jeune, il a encore beaucoup de travail à faire sur lui-même pour accéder enfin à une posture d’autorité calme, ouverte, proche et distante à la fois. S’il y arrive il pourra jouer au père de la Nation qui aime tous les enfants de la République en étant un peu plus crédible.
On peut déplorer la vulgarité qui a envahi à ce point la communication. Le doigt d’honneur ou le bras d’honneur sont très prisés par nombre de jeunes. Mais quand on voit ce qui parfois s’écrit sur certains blogs, ou quand on entend Cyrille Hanouna (TPMP) lancer à son chroniqueur Jean-Michel Maire, sur son ton mi-figue mi-
raisin : « Je vais te balancer mon pied dans la gueule », en direct, parce que ce dernier a exprimé un avis qui n’a pas plu à l’animateur, on a en politique le spectacle que l’on mérite. Et le CSA s’en fiche : il n’intervient que dans ce qui a trait au sexe et aux femmes. Le CSA est-il devenu une annexe de l’internationale féministe ou un club d’obsédés sexuels ?
Ce qui me cause du souci dans cette image du doigt d’honneur est la possible culpabilité du président en tant qu’homme blanc, et le fait qu’un président cède si facilement autorité et pouvoir. Je n’ai pas d’animosité envers Emmanuel Macron, mais je crains que cette faille d’autorité ne le conduise à agir de manière peu appropriée en cas de crise politique majeure.