mardi 18 février 2020 - par Michel J. Cuny

En route vers la coopération, en route vers les kolkhozes… et vers la révolution culturelle !

Deux ans après avoir formulé ce qui précède, Lénine y revient dans l’article De la coopération qu’il publie en deux parties durant le mois de mai 1923 dans la Pravda. Il est à 7 mois de sa propre mort.

Ainsi, écrit-il, bien éloignée du temps des réquisitions et de ce communisme de guerre dont elles étaient l’une des applications…
« […] la NEP [Nouvelle politique économique] marque un progrès en ce sens qu’elle s’adapte au niveau du paysan le plus ordinaire, qu’elle ne lui demande rien au-delà. » (Vladimir Ilitch LénineŒuvres, tome 33, etc., page 483.)

Il peut donc rester parfaitement lui-même… Cependant qu’il va tout de même falloir l’emmener, peu à peu, vers autre chose : la coopération. À nouveau, selon Lénine lui-même, les délais ne pourront qu’être assez longs :
« Mais pour obtenir, au moyen de la NEP, que l’ensemble de la population prenne part aux coopératives, il faut tout une époque historique. En mettant les choses au mieux, nous pouvons la franchir en dix ou vingt ans. » (Idem, page 483.)

C’est que la coopération emporte avec elle des éléments qui ne sont pas que de nature économique ou organisationnelle. Il s’agit d’un phénomène de développement historique, au sens où il est question d’obtenir, à travers elle tout autant que pour la mettre en pratique, une transformation profonde des comportements et des savoirs. Qu’il y faille dix ou vingt années…


« Ce n’en sera pas moins une période historique particulière, et sans passer par là, sans généraliser l’instruction, sans une intelligence suffisante des affaires, sans apprendre dans une mesure suffisante à la population à se servir des livres, sans une base matérielle pour cela, sans certaines garanties, disons, contre la mauvaise récolte, la famine, etc., – sans tout cela nous n’atteindrons pas notre but. » (Idem, page 483)

Alors, cette coopération ?… S’agirait-il de retomber à pieds joints sur le socialisme utopique du XIXème siècle ? Non ! se récrie immédiatement Lénine, qui ne pense pas se séparer ici, et rien même que d’un millimètre, du socialisme scientifique. Effectivement…
« En quoi, les plans des anciens coopérateurs, à commencer par Robert Owen, sont-ils chimériques ? C’est qu’on rêvait de transformer pacifiquement la société moderne par le socialisme, sans tenir compte de ces questions essentielles que sont la lutte des classes, la conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière, le renversement de la domination de la classe des exploiteurs. » (Idem, page 486.)

Or, en Russie soviétique, tous ces présupposés sont maintenant solidement entrés dans les faits. Il ne peut plus être question de faire semblant… Et c’est bien là que tout se complique. Il s’agit pour les humains d’intégrer un autre système d’interprétation des phénomènes sociaux dans leur ensemble. Il s’agit de s’ouvrir à une véritable révolution intérieure, dont nous allons découvrir avec un certain étonnement de quel adjectif Lénine lui-même la qualifie alors qu’il est aux portes de la mort…

Si la conscience prolétarienne est un effet de l’exploitation telle qu’elle se trouve déployée dans la grande industrie tout particulièrement, la NEP n’aura fait que conforter le paysan dans la mise en œuvre des critères de l’économie marchande… Il n’y aura plus alors de remède pour lui – et pour la conscience qu’il a de la vie en société alors qu’il va devoir rejoindre lui aussi le socialisme de plein exercice – que son investissement personnel dans la coopération…

Ainsi, s’exclame Lénine, ces paysans…


« Si nous pouvions les grouper tous dans des coopératives, nous nous tiendrions les deux pieds sur le terrain socialiste. Mais cette condition implique un tel degré de culture de la paysannerie (je dis bien de la paysannerie, puisqu’elle forme une masse immense), que cette organisation généralisée dans les coopératives est impossible sans une véritable révolution culturelle. » (Idem, pages 487-488)

Tiens donc !… Mao ?

Ce qui est certain, c’est qu’en ce moment-ci du vingt-et-unième siècle, il vaut mieux ne pas hésiter à prendre quelques renseignements à la bonne source…
« […] la révolution politique et sociale chez nous a précédé la révolution culturelle qui maintenant s’impose à nous. Aujourd’hui, il suffit que nous accomplissions cette révolution culturelle pour devenir un pays pleinement socialiste. Mais elle présente pour nous des difficultés incroyables, d’ordre purement culturel (nous sommes illettrés), aussi bien que d’ordre matériel (car pour pouvoir devenir des hommes cultivés, il faut que les moyens matériels de la production aient acquis un certain développement, il faut posséder une certaine base matérielle). » (Idem, page 488.)

C’est ce à quoi – se pourrait-il que nous en prenions désormais conscience ? – il aura fallu renoncer en Union soviétique pour se préparer à combattre la folie meurtrière qui était bientôt née à Berlin en recueillant tous les vœux secrets de pleine et entière réussite des pays occidentaux…



1 réactions


  • CN46400 CN46400 19 février 2020 08:15

    « se préparer à combattre la folie meurtrière qui était bientôt née à Berlin »

    Lénine cesse d’être conscient en mi23, Hitler est en prison. Ce n’est donc pas lui qui va devoir gérer la montée du nazisme, dont personne à ce moment, n’imagine qu’il puisse arriver au pouvoir à Berlin.

    Mais Lénine laisse la NEP et une idée que personne, sauf Trotski peut-être, ne partage vraiment : « La bourgeoisie internationale peut se diviser si nous parvenons à en intéresser une partie, notamment allemande contrariée par le traité de Versailles, et US, au développement de l’URSS » Avec le recul, c’est sans doute cela qui pouvait empêcher la marche triomphale de Hitler, qui, alors, aurait été privé du soutien total de la bourgeoisie allemande, vers le pouvoir.

    Et cela n’exonère pas les internationales socialiste et communiste d’avoir tardé à réagir au début des années 30...


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