lundi 3 février - par C’est Nabum

En suspension...

 

J'avoue ...

 

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Il advint qu'un artisan des mots, en mal d’inspiration ce jour-là, se trouva fort dépourvu lorsqu'il se lança dans la rédaction de sa page d'écriture quotidienne. Les mots peinaient à jaillir sous ses doigts afin de se glisser sur un écran. Son clavier était rétif, ses doigts ankylosés, son imagination en berne. Il avait de plus le phrasé lourd, la ponctuation laborieuse, le lexique sans imagination ni fioritures. Il cherchait ses mots, allait à la ligne plus souvent que nécessaire, tentant ainsi de saisir un souffle qui lui faisait cruellement défaut.

Il pissait du texte comme on dit si prosaïquement dans cette activité. Il se perdait en répétitions, s’égarait en métaphores creuses, se fourvoyait en calembours incertains, se perdait dans les arcanes d'un récit qui n'avait guère de sens. Il avait perdu la main quoique, pour une fois, les fautes de frappe ne fussent pas légion. Il avançait péniblement sur le chemin de cet écrit qui ne sortait pas du cœur, qui ne coulait pas de source et ne contenait nulle petite musique intime.

Il se prit alors au jeu de la confusion, singeant les mots tordus, en se contentant simplement de mots crochus, de glissades lexicales, de confusions sémantiques, d’approximations phoniques, manière sans talent de délayer ce vide qui ne faisait que s'accentuer. C’était laborieux, terne, d'une totale vacuité. Qui pourrait bien perdre son temps à la lecture de ce pensum ? Il se peut même que personne ne parvienne à aller jusqu'au bout de cet écrit si insipide !

L'auteur, pas même un écrivain en devenir, tirait la langue, suait encre et eau pour remplir sa page, cherchant à dépasser les quatre mille caractères qu'il s'imposait comme barre à franchir. Obnubilé par cet objectif, tracassé par l'absence de fluidité de sa prose, entièrement focalisé par cette succession inepte de mots et de phrases, il en avait oublié d'enregistrer ce qui ne pouvait que mériter le vocable de torchon.

Il était pourtant parvenu à noircir son écran, usant de toutes les facilités que l'expérience lui avait enseignées. De fréquents passages à la ligne, des ruptures de ton et de propos, un abus d'adjectifs qu'il enfilait comme des perles, une propension à user immodérément des adverbes, l'usage systématique d'une ponctuation alambiquée sans raison d'être ; le point-virgule quoique fort peu célinien, lui paraissant du meilleur effet.

Incapable de trouver le mot de la fin, la chute qui allait sauver l'édifice laborieusement assemblé, l’équilibriste de la chronique, le funambule de l’inutile, sans espoir de transcendance soudain, dut se rabattre, comme bien souvent dans pareil cas, sur une pirouette dont il avait le secret. Il laissa en suspens sa dernière phrase, la gratifiant des points de suspension qui ouvraient la place à l'ellipse, offraient toute liberté aux éventuels lecteurs d'ouvrir de nouvelles perspectives à tous ceux qui resteraient forcément sur leur faim. En multipliant par trois le point final réglementaire, il espérait élargir un propos d'une totale vacuité...

C’est alors que les trois points absorbèrent lentement tous les mots inutiles qui avaient vainement tenté de constituer un récit médiocre. L’écran avait pris la main, le clavier ne répondait plus et, médusé, le pauvre scribe ne put que constater l’effacement irrémédiable d’un texte qui, de toute manière, ne serait pas resté dans les mémoires, à l’exception notable de celle d'un disque dur qu'il n'avait pas songé à solliciter. Sous ses yeux qui jusqu'alors se perdaient dans le vide d'une pensée aux abonnés absents, il se passa un étrange phénomène qui le laissa perplexe, interrogatif et parfaitement ébahi.

Les points se déplaçaient aléatoirement à la manière de symboles dans un jeu vidéo, pour avaler petit à petit, dans des trajectoires parfaitement erratiques, tous les caractères et les espaces qu'il avait semés comme de la mauvaise graine. Les points se gonflèrent, devinrent bien vite énormes. Ils avaient littéralement tout avalé. Il ne restait plus qu’eux en bas de page. Ils occupaient la dernière ligne qui était, dans le même temps, la première.

L’auteur vit alors, médusé, les trois points s’élever lentement sur la page, comme s’ils étaient des ballons gonflés à l’hélium. Ils montaient en lâchant du lest, en laissant échapper quelques lettres, des espaces et des signes de ponctuation, des minuscules et des majuscules dans une écriture à rebours dont notre homme ne percevait pas encore le sens. Puis, progressivement, il comprit que la machine avait pris le contrôle, qu’elle jouait elle aussi avec les lettres, qu’elle se servait de la masse de données qu’il lui avait confiée pour créer à son tour un texte plus satisfaisant à ses yeux que l’immonde salmigondis que son maître lui avait confié. L’ordinateur ordonnait autrement, il donnait libre cours à son imagination.

Un texte naissait ici, par la magie des points de suspension en élévation. Quand ils en vinrent au sommet de la page, ils éclatèrent en une explosion magnifique. Les ultimes signes cabalistiques qui étaient restés inemployés se transformèrent, se colorèrent, s’octroyèrent une nouvelle police, s’offrirent un corps plus gros et s’étalèrent en lettres capitales en tête de chapitre. Un titre était né et les points de suspension pouvaient tirer leur révérence en disparaissant de l’écran telles des étoiles filantes.

Notre écriveur à la petite semaine ne dit jamais rien de la métamorphose qui venait de se dérouler devant lui. Il signa, toute honte bue, l’œuvre magnifique que lui avait octroyée sa machine. Il eut du succès grâce à ce premier écrit mécanique, se fit un nom, fréquenta alors les salons littéraires, les plateaux de télévision, les grands salons du livre. Il y avait désormais devant lui de grandes files d’attente : les chalands se précipitaient pour obtenir sa dédicace. Il vendait, il était célèbre.

Il se garda bien d’avouer l’origine de sa verve extraordinaire, de sa prose si variée, de son imagination si féconde. Il usurpait une gloire dont il avait toujours rêvé. Parfois cependant, dans le secret de son bureau, quand l’ordinateur accomplissait seul le travail de distribution des signes et de création littéraire, il avait bien quelques scrupules mais il jouissait pleinement de ses bienfaits sans chercher à comprendre.

Puis, un jour, il découvrit que les autres vedettes de la littérature procédaient de la même manière que lui. Elles disposaient toutes d’un ordinateur autonome, d’une machine douée de sensibilité. Il n’était pas le seul : il avait simplement eu la chance d’être choisi parmi les milliers de besogneux de l’écrit. Un virus informatique avait fait de lui un élu, tout ça grâce à trois petits points de suspension qui avaient su faire leur chemin, l’élever vers les sommets de la notoriété.

Il conserva cette habitude et tous ses textes désormais se terminaient par ce petit signe magnifique. Le funambule de l’inutile n’avait pas trouvé de raison à sa folle assuétude, elle demeurait toujours aussi vaine mais cette fois, on ne lui tournait pas le dos : les gens importants boutaient leur chapeau à son passage, réclamaient sa présence. Il est vrai que cette société aime à honorer les moins brillants des siens…

Puis le temps passa et comme tous les autres il s'essaya à l'intelligence artificielle. Quelle ne fut pas sa déception de découvrir la médiocrité de cette prose, l'indigence de l'écrit. Décidément, rien ne valait le virus des points de suspension. Il se convainquit d'être dans son bon droit tandis que d'autres, les plus nombreux passaient sans vergogne à l'I.A. Il continua ainsi pour le bonheur de ses lecteurs.



6 réactions


  • Jason Jason 3 février 09:25

    Bonjour,


    Vous semblez être un « écrivant » compulsif, ce sont des choses qui arrivent. La vanité étant souvent le ressort de ce comportement, il faudrait la modérer.


    Il me vient cette maxime en parcourant vos récits : Voulez-vous qu’on dise du bien de vous ? N’en dites pas.


    Cependant, les chroniques légères étant nécessaires au bon équilibre d’Avox, bonne continuation. Beaucoup se plaignent de l’omniprésence des réseaux sociaux, de leur violence ou de leur vacuité. Ma réponse : ne les lisez pas.


  • juluch juluch 3 février 12:57

    Finalement vous avez écrit un texte cohérant !!

    Pour la deuxieme partie...le vin de la Loire vous auriez t’il aidé ???

     smiley

    Pure mensonge ! 

     smiley

  • toto toto 3 février 13:13

    Laissez donc Jaser ceux qui ont tant besoin d’exister....


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