Nucléaire, Espace : le monde avance, l’Europe et les Etats-Unis reculent...
26 janvier 2010
L’Asie à l’âge du nucléaire, l’Europe et les Etats-Unis vers l’âge de pierre
par Michael Billington,
rédacteur Asie de l’Executive Intelligence Review (EIR)
Alors que nous sommes au beau milieu de la plus grande crise
financière de toute l’histoire, l’Asie comme la Russie se sont engagées
dans une expansion sans précédent de l’énergie nucléaire. Ce vaste
chantier est source de fierté pour les pays exportant cette technologie
et d’espoir pour ceux qui l’acquièrent. Ces pays en développement
furent longtemps privés de leur droit naturel à l’énergie nucléaire par
l’influence permanente de l’impérialisme britannique. Les promesses du
programme Atomes pour la Paix mené par les présidents
Eisenhower et Kennedy – l’accès à une source d’énergie quasi-illimitée
permettant de sortir de l’arriération coloniale – furent brusquement
anéanties dans les années 1970, sous la poussée de l’hystérie
anti-nucléaire nourrie par le mouvement écologiste du prince
britannique Philip d’Edimbourg, sous le prétexte fallacieux que la
non-prolifération des armes nucléaires passait par un gel du nucléaire
civil. Désormais, les nations asiatiques ont définitivement rejeté le
dictat impérialiste britannique en basant leur développement à long
terme sur l’expansion de leur capacité nucléaire.
Malheureusement, les pays « industrialisés » ont sombré dans ce
bourbier britannique. Alors que les pays asiatiques construisent
actuellement 43 centrales, il n’y en a que 12 en chantier dans le reste
du monde. Aux Etats-Unis, une seule centrale est en construction, et
encore ne s’agit-il que d’achever le deuxième réacteur de la centrale
de Watts Bar dans le Tennessee, suspendue en 1988. En Europe, seules
deux centrales sont en cours, tandis que l’Allemagne et la Suède ont
déjà pris la décision de fermer toutes leurs centrales (bien que la
crise économique puisse les amener à reconsidérer cette folie).
En ce début janvier, 224 scientifiques et ingénieurs nucléaires ont
adressé une lettre ouverte au conseiller scientifique du président
Obama, John Holdren, lui-même un anti-nucléaire partisan de la
croissance zéro. « Le reste du monde est en train de nous larguer, déplorent-ils sans détours.
(…) Notre nation doit s’y remettre rapidement, pas dans 20 ou 50 ans,
mais pendant que les pionniers du nucléaire sont encore là pour passer
le flambeau à la nouvelle génération de scientifiques et d’ingénieurs.
Il n’y a aucun argument politique, économique ou technique qui puisse
justifier de se priver des bénéfices que l’énergie nucléaire apportera
aux Etats-Unis alors que le reste du monde va de l’avant. »
A l’opposé de ce retour en arrière, la Corée du Sud vient d’annoncer
son intention d’exporter 80 réacteurs nucléaires d’ici 2030, pour un
montant total de 400 milliards de dollars. Ce pays n’est pourtant que
le sixième exportateur mondial dans le domaine, place acquise tout
récemment avec la signature d’un contrat avec les Emirats arabes unis,
portant sur quatre réacteurs.
Ce qui fait dire à l’économiste américain Lyndon LaRouche :
« Ce que nous voyons dans l’espace transatlantique est une civilisation
qui se meurt, une civilisation qui se condamne à disparaître (…) alors
que dans la région transpacifique, en particulier du côté de l’Asie et
de l’océan Indien, le progrès est en marche ! Quand on regarde la
dynamique économique de cette région, on constate que le développement
de l’énergie nucléaire est partout au programme ; alors que dans
l’espace transatlantique, le nucléaire est quasiment banni, et
l’arriération menace de nous ramener à l’âge de pierre. »
La Russie prend les devants
Les accords sino-russes du 13 octobre dernier,
portant sur le développement conjoint de l’énergie nucléaire et du
transport ferroviaire à grande vitesse, illustrent la transformation en
cours dans toute l’Asie. Des accords semblables ont également été
signés par l’Inde avec ces deux pays. Pour LaRouche, ces avancées
constituent un pas historique vers la réalisation de l’Alliance des
quatre puissances – Etats-Unis, Russie, Chine, Inde – qu’il préconise
en vue de créer un système international de crédit qui remplacera le
système monétaire mondialiste en faillite.
Si, pour la première fois de l’histoire, les nations eurasiatiques
coopèrent dans l’idée que leur intérêt souverain repose sur le
développement mutuel de leur région, leurs dirigeants ne cessent de se
poser cette question : pourquoi l’Occident ne les rejoint-il pas dans
ce développement économique physique, alors que la finance mondialisée
s’effondre ?
La Russie s’est engagée auprès de la Chine à accroître son aide pour
développer le complexe nucléaire de Tianwan et à lui fournir deux
surgénérateurs qui produiront autant, sinon plus de combustible qu’ils
n’en consomment. De plus, elle lui construit une usine d’enrichissement
tout en lui fournissant de l’uranium.
En Inde, la Russie va construire 12 à 14 réacteurs qui seront conçus « à la chaîne ». En effet, le directeur de la compagnie publique nucléaire russe Rosatom a déclaré que son pays prévoyait « de repasser à une phase de production en masse de réacteurs », un programme déjà en route avec plusieurs chantiers en Russie, en Iran et en Inde.
« Je reviens tout juste d’Inde, et ce pays a un réel besoin d’énergie, a
déclaré le 15 janvier l’académicien russe Nikolai Ponomaryov-Stepnoy,
vice-président du Centre nucléaire russe à l’Institut Kurchatov.L’Inde
pense au futur et nous devrions en faire autant. Les réacteurs que nous
bâtissons auront besoin de combustible pendant tout leur cycle de vie,
c’est-à-dire jusque dans les années 2070. Nous devons donc penser à de
nouvelles technologies nucléaires dont l’approvisionnement en
combustible sera garanti. Je parle des surgénérateurs dont le cycle
serait entièrement maîtrisé. Nous devrions dès maintenant offrir à
l’Inde de coopérer dans ce domaine. Dans le même temps, nous devrons
approvisionner nos partenaires non seulement en énergie électrique,
mais aussi en carburant pour les voitures électriques et à hydrogène.
Il est ainsi nécessaire de développer un nouveau pan de l’industrie
nucléaire : la génération d’hydrogène. »
Modèle de centrale nucléaire flottante russe, actuellement en construction.
Rosatom est également sur le point de lancer la première de ses
« centrales nucléaires flottantes », des réacteurs de 70 à 250 MW
construits sur le modèle de ceux qui équipent les brise-glaces et
sous-marins russes. Ces réacteurs sont produits à la chaîne, placés sur
des barges puis acheminés sur zone pour usage immédiat, tant pour la
production d’électricité que le dessalement d’eau de mer. La première
de ces centrales devrait sortir des chantiers de Saint-Pétersbourg
cette année et déjà de nombreux pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique se
montrent intéressés par cette technologie.
L’Inde et la Chine
Si la Chine ne compte que 11 réacteurs en service, elle est le pays
qui en construit aujourd’hui le plus, puisque 20 nouveaux réacteurs
sont en chantier – suivie par la Russie (9), la Corée du Sud (6) et
l’Inde (5). Et elle ne compte pas s’arrêter là : elle prévoit de
multiplier par 6 sa production d’électricité nucléaire d’ici 2020 et de
la tripler d’ici 2030. Pour l’instant, la Chine a principalement
recours à l’importation, mais elle est en train d’acquérir la
technologie de base pour produire elle-même l’ensemble de ses
centrales. La Russie lui fournit aussi une aide déterminante en vue
d’acquérir la maîtrise totale du cycle de production d’uranium.
Avec ses 18 réacteurs en service, dont 16 « faits maison », et ses 5
en construction, l’Inde a développé sa propre technologie nucléaire, en
grande partie parce qu’elle a refusé d’être l’otage de la mafia du
Traité de non-prolifération (TNP). Détenant par ailleurs l’une des plus
importante réserve mondiale de thorium (25%), l’Inde a pris les devants
dans le développement de cette filière nucléaire.
Malgré les accords de 2008 avec les Etats-Unis, qui ont levé les
contraintes pesant sur un éventuel partenariat dans le nucléaire civil,
les échanges dans ce domaine entre les deux pays n’ont pas suivi et
l’opposition de l’administration Obama au nucléaire ne risque pas de
changer la donne. Par contre, la Russie et la Chine ont nettement accru
leur coopération nucléaire avec la troisième grande puissance
eurasiatique.
La Corée du sud à l’offensive
En décembre dernier, la Corée du sud a décroché un contrat de 40
milliards de dollars avec les Emirats arabes unis pour la construction
de quatre centrales nucléaires, damant le pion aux consortiums français
et américano-japonais. Ainsi, pour la plus grande fierté de son peuple,
la Corée a définitivement signé son entrée dans le cercle des nations
développées. Elle annonça de surcroît qu’elle exporterait 80 réacteurs
d’ici 2030, démontrant ainsi le rôle que joue l’énergie nucléaire pour
faire d’un pays sous-développé une nation industrielle moderne.
Renaissance nucléaire en Eurasie
En effet, pour ce pays dévasté, il y a 50 ans encore, par le
colonialisme et la guerre, l’énergie nucléaire a joué un rôle central
dans son développement. En 1958, un accord signé avec les Etats-Unis
mettait à l’ordre du jour le développement de ce type d’énergie,
permettant non seulement de produire de l’électricité en abondance,
mais qui servit aussi, comme l’a souligné l’ancien commissaire coréen à
l’énergie atomique, Chang Kun Lee, de locomotive scientifique pour
l’ensemble de l’économie et de l’enseignement, puisque se situant aux
frontières de la science.
Le marché emporté dans le Golfe ne fut pas une surprise pour
autant : la Corée a plus de 30 ans d’expérience dans la construction et
l’exploitation de centrales nucléaires, et elle a le taux de
fonctionnement le plus élevé de tous les parcs nucléaires du monde :
93,3% ! Elle a battu tous ses concurrents car elle est maintenant
capable de construire plus vite et moins cher qu’eux.
La Corée est également à la pointe dans le nucléaire de l’avenir :
elle a son propre réacteur expérimental pour la fusion, sur lequel sont
formés de nombreux scientifiques et ingénieurs, dans le cadre du projet
international ITER. Elle travaille aussi à la conception du premier
prototype commercial d’une centrale de fusion.
Son objectif est d’atteindre l’indépendance énergétique d’ici 2015
au plus tard, comme l’a annoncé son Président à son retour de
Copenhague, par la maîtrise du cycle de production et de retraitement
des combustibles nucléaires.
Le déclin transatlantique
La destruction de l’industrie nucléaire américaine et européenne
ainsi que la démoralisation des peuples et de leurs dirigeants ne sont
pas sans conséquence pour la renaissance économique et nucléaire que le
monde doit réaliser.
James Muckerheide, le responsable du nucléaire pour l’Etat du
Massachusetts, a calculé que pour atteindre un niveau de vie décent
pour tous d’ici 2050, il faudrait produire 6000 réacteurs nucléaires,
tout en consacrant les ressources nécessaires pour que d’ici là,
l’énergie de fusion devienne réalité.
Mais aujourd’hui, la capacité de production annuelle mondiale
n’excède pas 30 réacteurs. Et le quasi-gel des constructions et
l’abandon de certains programmes d’avenir en Amérique du nord et en
Europe nous font perdre les ressources technologiques, scientifiques,
industrielles et humaines nécessaires à une telle entreprise. Ces
ressources de haut niveau, constituées au fil des ans, ne se recréent
pas en un jour.
Même la France, l’un des pionniers et leaders mondiaux dans ce
domaine, le pays dont 78% de l’électricité est nucléaire, ne construit
actuellement qu’une centrale, poussant à bout un parc vieillissant de
58 réacteurs. Semblant perdre la tête, le gouvernement français va même
jusqu’à subventionner l’installation de panneaux solaires en
garantissant un prix d’achat de 58 centimes le kilowatt/heure, alors
que l’électricité nucléaire ne lui en coûte que 3 !
Le plus fou de tous reste l’Union européenne : elle exige des
ex-pays soviétiques qu’ils ferment leurs vieilles centrales nucléaires
de conception russe pour pouvoir rejoindre l’Union ! Si la construction
de nouvelles centrales est envisagée « à terme », les fermetures sont
immédiates. C’est le cas de la Lituanie, qui a fermé le 31 décembre
dernier sa seule centrale d’Ignalina. Depuis l’accident de Tchernobyl,
rien ne fut entrepris pour remplacer les centrales du même type
(filière graphite-gaz), entre autres celle de Lituanie. Pour l’heure,
la fermeture de la centrale lituanienne, qui produisait 70% de
l’électricité du pays, a brutalement livré le pays au bon vouloir de la
Russie pour sa survie énergétique immédiate.
C’est un immense chantier qui nous attend, et dont dépend la survie
de la société humaine. L’énergie nucléaire est la clé de voûte du monde
de demain, et le monde transpacifique nous montre la voie.
Marsha Freeman et Ramtanu Maitra ont contribué à cet article