mardi 15 octobre 2013 - par Michel Koutouzis

Et maintenant, que ferons-nous sans les barbares ?

Ludwig Wittgenstein disait : éthique égal esthétique. Selon l’auteur du Tractatus Logico-Philosophicus, si le langage ne peut pas tout exprimer ni dévoiler la nature humaine, son rétrécissement répétitif annonce la barbarie. Cet état primaire - mais aucunement sauvage - du dit, de l’énoncé qui consiste à répéter encore et toujours la même chose rétrécit l’intelligence non seulement de ceux qui l’entendent (c’est après tout le but inavoué) mais surtout de ceux qui l’utilisent. La communication remplaçant la pensée,  un expert communiquant qui, invariablement, répète la même chose depuis vingt ans, et ce indépendamment de la réalité des événements, finit par devenir un crétin au pire, au mieux un autiste. Son état mental et ses capacités cognitives nous importent peu, mais la conséquence de son état, celui d’un barbare insensible, nous concerne tous. La posture (souvent moralisante) remplaçant l’analyse, ajoutée au fait qu’il monopolise quasiment une parole officielle, proposée comme avis indépendant et rationnel finit par se transformer en un mur infranchissable pour l’entendement. Le monopole de la parole experte devenant une exclusion pour la pensée critique. Nous sommes ainsi en présence d’une pensée eschatologique, c’est-à-dire, pour donner le sens premier à ce terme, d’une logique fermée qui va au bout de sa logique, sans jamais concevoir l’existence d’une alternative, d’une autre logique, voire d’un autre monde. La pensée totalitaire, qu’elle soit religieuse, politique ou économique, conçoit de la sorte un monde à décliner dans ses moindres détails mais exclut tout autre monde, toute autre logique ou interprétation. Pendant que les nazis détruisaient le monde, ils pensaient (et se référaient) à un monde parfait (ou idéal) où cependant, et au nom de cette perfection, toute pensée divergente était sanctionnée. Et Goebbels répétait le même discours, depuis les premiers moments glorieux et victorieux du troisième Reich jusqu’à la veille de son suicide et de la défaite totale. 

Certes, aujourd’hui on risque moins en affirmant que les réformes (toujours affublées du l’adjectif courageuses), c’est du pipeau, que de déclarer au quinzième siècle que la terre tourne autour du soleil. Mais la punition reste du même ordre : l’excommunication du monde des communiquant, des nantis, des puissants et des avantages qui en découlent. Hors du dogme de l’Eglise, point de salut. Rappelons-nous en parenthèse que les autodafés nazis ne furent pas sans suite : on brûla aussi bien les disques et les brochures des Beatles au Kansas, des livres « marxistes » à Santiago et à Athènes que des Corans à Bagdad (on ne parle ici que de nos dogmes occidentaux). L’autodafé contemporain se définissant comme un ostracisme perpétuel des médias officiels et officieux à donner son avis où exprimer son analyse. Pour un Emmanuel Todd éphémère, combien de Alain Minc permanents ? 

Ainsi, les mêmes certitudes protègeraient le mot réforme que celui du Saint Esprit ; la dérégulation du marché du travail devenant une sorte de purgatoire nécessaire pour accéder au paradis du plein emploi et de la reprise (ou croissance, au choix) en tant qu’idéal. Sans vouloir être cruel pour ces clercs du monologue linéaire et fermé, rappelons-leur cette phrase de Francis Scott Fitzgerald, que l’ont lit dans sa nouvelle L’Effondrement : on reconnaît une intelligence de premier ordre à son aptitude à faire exister dans son esprit deux idées contraires à fonctionner.

Si nos élites dirigeantes n’arrivent plus à coordonner deux pensées opposées, ils peuvent par contre, à l’intérieur de leur monologue figé, supporter les plus grandes des contradictions. Le même philosophe - activiste - géopoliticien - moraliste (et on en passe) qui approuve une révolte armée en Libye, prédéterminée comme un idéal ne portant aucune contradiction interne, le même considère intolérable que l’on séquestre pour quelques heures un patron. Quelle que soit la souffrance des salariés, il existe un nombre incalculable de moyens d’action pour protester crie-t-il sur le petit écran. Excepté, bien entendu, celui qu’ils choisissent. 

Lorsque le ministre allemand de l’économie répète que les grecs sont sur la bonne voie, mais il faut qu’ils persévèrent,  il considère que la seule bonne voie reste la sienne, et que toute autre leur ferait plus de mal que de bien. Autiste et aveugle, il répète exactement le même discours depuis quatre ans, tandis que les résultats de sa bonne voie sont la personnification même de la désolation. Et cela, même selon ses propres standards. Comme Goebbels.

Imaginons un peintre peignant encore et toujours le même tableau. Un mathématicien qui, oubliant la poésie et l’aléatoire des nombres, n’utiliserait que les variables débouchant sur des dividendes sonnants et trébuchants. Imaginons un musicien qui composerait le même morceau durant toute sa vie. Avec indulgence, on dirait d’eux qu’ils sont obsessionnels. Pour les dirigeants qui en font de même, sans indulgence aucune, on peut affirmer qu’ils sont redevenus des barbares totalitaires qui, en sacrifiant à (leur) idéal esthétique et moral perdent toute efficacité. Clausewitz écrivait : Quand vous modélisez c’est comme quand vous marchez sur la terre. Mais quand, ensuite, vous mettez en œuvre le plan, vous marchez sur l’eau. Aucun plan idéal ne vaut le sacrifice des intéressées, ajoute Matthieu (V,13) : Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel perd sa saveur, avec qui la lui rendra-t-on ?

Après la victoire du Front National dans un bled perdu de ce sud français depuis longtemps acquis au « il n’y a qu’à qu’à…  » et la rouspétance hâbleuse, mais aussi à une classe politique corrompue plus qu’ailleurs et qui prospère sur idéal médiocre qu’elle cultive allègrement, le monologue crétinisant a repris, tel-quel depuis vingt ans. Comme d’habitude. En démontrant que le « il n’y a qu’à  » - démuni de toute pensée critique -, a transité sans vergogne d’un parti tribunitien vers la superstructure gouvernante. C’était déjà le cas dans les déclarations formatées et certains actes, maintenant c’est le discours politique qui, se répétant à l’identique, devient indigent. Or, cette pauvreté accélérée de l’entendement quémande, pour exister et continuer à tout démolir, le loup garou FN. Ou plutôt du discours formaté et immuable le concernant, sur lequel s’assoient nos hommes politiques.

Comme l’écrivait le poète alexandrin Constantin Cavafy : Et maintenant, que ferons nous sans les barbares ? En quelque sorte, ils étaient une solution…



2 réactions


  • Alois Frankenberger Alois Frankenberger 15 octobre 2013 12:08

    Le problème des déficits c’est qu’un jour il faut forcément les rembourser et plus on tarde, plus c’est pénible.

    Les instances gouvernementales sont responsables des déficits qu’elles ont généré et elles doivent rembourser les dettes qu’elles ont créées sinon on n’est plus dans le cadre d’un Etat de droit.

    Moralité : les Etats ne devraient pas s’endetter puisque l’endettement finira toujours par coûter plus cher qu’une hausse des impôts pour financer un projet qui va peut être capoter.

    Mais ça, nos politiciens prometteurs de lendemains qui chantent ne sont pas prèts de l’admettre !


    • sleeping-zombie 16 octobre 2013 09:33

      Hello,

      Le problème des déficits c’est qu’un jour il faut forcément les rembourser

      Excellent exemple du propos de cet article.


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