Être ou ne pas être… homophobe
L'homophobie désigne « une attitude allant de l'hostilité à l'aversion vis-à-vis d’homosexuel×les ». Du point de vue naturaliste, il s’agit d’un instinct profond qui trouve son origine dans la préservation de l’organisation d’un groupe et sa pérennité… La sexualité est le principal moyen retenu par la Nature pour le maintien de la vie, la reproduction asexuée est largement minoritaire dans le monde animal. Pour faciliter les rencontres, le coït produit des plaisirs que rien n’égale pas même les festins ou, plus tard, l’art pariétal. Mais la recherche d’un tel plaisir doit être orienté vers la procréation plutôt que vers la distraction pour pérenniser l’espèce. Il faut trouver un partenaire réceptif, dans la force de l'âge et, qui plus est, consentant : les parades amoureuses font partie des premières œuvres d’art et ont certains traits avec celles qui suivront.
Un groupe de chimpanzés repose sur une hiérarchie stricte entre ses différents membres. Une place enviable permet à l'animal d'avoir un accès plus aisé à la reproduction, à la nourriture, et lui assure donc de meilleures chances de survie. Pour les mâles, il n'y a qu'une façon de grimper l'échelle sociale : se battre. Les chimpanzés n'hésitent donc pas à attaquer leur supérieur direct et produisent des vocalisations d’intimidation, véritables actes d'insubordination qui précèdent un combat où le gagnant accède au rang supérieur de son adversaire. Chez les femelles, la technique est différente : elles préfèrent accepter leur statut social et attendre que leur "supérieure" décède afin de prendre sa place. Les accouplements sont pratiqués par le chimpanzé plus souvent que nécessaire. La popularité d’une femelle dépend de son cycle menstruel et de son âge : les femelles les plus âgées étant préférées. Une femelle peut également choisir un mâle : ceux qui la toilettent ou jouent avec elle, et ceux qui ont un rang hiérarchique éminent seront avantagés. Elles ne se reproduiront que très rarement avec leurs frères ou leurs fils.
Nos cousins les bonobos comme les chimpanzés, dont nous sommes séparés depuis plusieurs millions d’années, partagent environ 99% du génotype humain et sont donc tous deux proches d’Homo sapiens. Les bonobos ont cependant une vie sociale aux antipodes des chimpanzés. Chez les bonobos, les relations sexuelles sont souvent utilisées afin de résoudre un conflit. Les trois quarts des rapports sexuels entre bonobos n'ont pas de fin reproductive, et quasiment tous les bonobos ont des relations sexuelles indistinctement avec un mâle ou une femelle. Ainsi, un subordonné peut utiliser des actes sexuels pour apaiser un autre individu plus agressif. Mais si la fréquence des rapports est exceptionnelle, environ 8 fois par jour, les accouplements sont rapides, sans aucun geste préparatoire, et ne durent en moyenne qu'une dizaine de secondes. Leur seul tabou semble l'inceste, même si les ébats sexuels incluent également les tout jeunes. Élevés précocement ensemble les frères et soeurs ne ressentent apparemment pas d'attirance les uns pour les autres arrivés à maturité sexuelle. Malgré ses activités incessantes, le Bonobo n’a pas un taux de natalité supérieur aux autres espèces de singes.
La démarche naturaliste n’a pour seul but que de montrer que poser la question « Êtes-vous homophobe ? » implique la prise en compte de mécanismes essentiels de l’espèce humaine qui ne peuvent être occultés : tous les Hommes sont homophobes, ou du moins n’éprouvent naturellement aucune attirance sexuelle pour le même sexe, il n’y a jamais, sauf exception, de séparation entre le plaisir de l’instant et les devoirs de toujours.
Les hommes ne descendent ni du chimpanzé commun, ni des bonobos mais peut-on poursuivre quelque peu le jeu des analogies et des différences. Les chimpanzés communs sont capables de concevoir des outils : pierres pour briser les coquilles de noix, utilisation de mousses pour recueillir de l’eau, brindilles pour pêcher des algues…Chez les bonobos, des comportements associés aux outils sont observés, mais ils sont rares et moins sophistiqués que ceux observés chez les chimpanzés. Peut-on penser que s’adonner frénétiquement aux jouissances élémentaires dessert l’épanouissement de la pensée ? C’est en tout cas ce que toutes les églises tiennent pour acquis.
Dès le Ve siècle av. J.-C. des textes considérés comme sacrés essaient de canaliser les ébats sexuels vers la procréation : « Quand un homme couche avec un homme comme on couche avec une femme, tous deux commettent une abomination ; ils seront mis à mort, leur sang retombera sur eux. » (Lv 20, 13). En effet, la vie doit être faite d’efforts en vue de seulement survivre et aucune activité qui distrait de la consolidation de la famille ne peut être tolérée : c’est la priorité absolue accordée à la pérennité de l’espèce sur toute considération individuelle. La pression sociale d’origine instinctive ou religieuse n’a d’autre but que la survie à long terme d’un collectif : le sacré n’est qu’une expression de la primauté de la communauté sur l’individualisme.
Une des multiples études disponibles montre que 4% des hommes et 3% des femmes ont eu au moins une relation homosexuelle au cours de leur vie. 0,5 % des femmes et 1,1 % des hommes se définissent eux-mêmes comme « homosexuels ». Si le fait d’être homophobe n’a aucun sens, les actes d’homophobie peuvent bien entendu exister. Après plusieurs années de baisse, 2017 a conduit à plus de témoignages d'agressions physiques homophobes que l’année précédente : 139 contre 121. Dans le même temps on comptait en France 2,3 meurtres par jour soit 825 homicides en 2017 auxquels il faut ajouter 223 000 victimes déclarées de coups et blessures volontaires. Il est toujours indécent de noyer des souffrances au sein de chiffres, il n’en reste pas moins que le nombre d’agressions homophobes ne constitue pas, loin de là, la majorité des actes de malveillance relevés quotidiennement et que la place prise dans les médias des uns au détriment des autres pose un réel problème. Les informations doivent-elles servir pour former un nouvel Homme, sur le modèle du Surhomme du siècle dernier. L’homophobie sert actuellement à classer plus ou moins arbitrairement les Hommes en Bons et Mauvais au même titre que la xénophobie, le racisme, l'antisémitisme, l’immigration. Il ne s’agit pas de lutter contre des faits monstrueux mais de rendre monstrueuse une partie de la population. Cette catégorisation veut remplacer les traditionnelles recommandations chrétiennes : « Tu ne tueras point ; et celui qui tuera sera punissable par le jugement… moi je vous dis que quiconque se met en colère contre son frère sans cause, sera puni par le jugement… il ne faut pas se séparer de sa femme ni convoiter d’autre femme… tu ne commettras point adultère… Que si ton œil droit te fait tomber dans le péché, arrache-le et jette le loin de toi… Si vous n’aimez que ceux qui vous aiment quelle récompense en aurez-vous ?... Mais amassez-vous des trésors dans le ciel, où les vers ni la rouille ne gâtent rien, et où les larrons ne percent ni ne dérobent point. »
L’approche chrétienne privilégie le genre humain alors que les propositions modernistes tout au contraire se concentrent sur les cas de minorités rendues volontairement visibles afin de modeler une organisation sociale sur des exceptions. Selon cette approche, la classe sociale ne représente plus un déterminant essentiel permettant de comprendre le sort et la destinée des gens : on est discriminé parce qu’on est homosexuel, étranger, femme, musulman, juif… jamais parce qu’on est pauvre. Le pauvre est seulement quelqu’un qui n’a pas réussi à être riche. Pourra-t-on bâtir l’indispensable sacré de toute société en utilisant une stigmatisation sans espoir de rédemption ? Il est acquis de que toute la puissance publique comme celle des médias et des réseaux sociaux nous incite à calquer notre comportement sur celui des bonobos pacifiques et libertins en abandonnant celui des chimpanzés brutaux et jaloux. Mais imposer le pacifisme par des moyens guerriers peut poser problème.
La pérennité de l’espèce humaine, sauf catastrophe majeure, ne pose plus problème puisque de nombreux outils (PMA, GPA, ciseaux génétiques, utérus artificiels, congélation de gamètes…) sont disponibles ou sur le point de l’être. L’immense contrainte consciente ou subliminale qui régit les comportements pour que l’espèce se perpétue n’existe en grande partie plus. La vie restera-t-elle le sacré absolu que rien ni personne ne peut égratigner ? L’Homme est devenu presque totalement libre, mais que fera-t-il de sa liberté ?